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Philadelphie. Etait-ce vraiment une convention démocrate ?

29/07/2016 – 15H00 Philadelphie (Breizh-info.com) – Pendant les conventions républicaines et démocrates du mois de juillet 2016 aux Etats-Unis, Pierre Toullec vous présente chaque jour un résumé de la journée précédente, en exclusivité pour Breizh Info. Au tour de la convention démocrate !

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Jeudi 28 juillet – Un sans-faute, mais était-ce une convention démocrate ?

Pour la dernière journée de la convention démocrate de 2016, l’attente centrale était à propos de Hillary Clinton. La nominée démocrate n’est pas une grande oratrice. Son ton de voix n’est pas toujours correctement posé. On sait qu’elle préfère le travail politique, c’est-à-dire la mise en place de réformes et le travail sur la rédaction de lois plutôt que les grands discours pour faire applaudir le public. En cela, elle n’est pas du tout égale à Barack et Michelle Obama, Mitt Romney ou même son propre époux Bill Clinton. Elle le reconnait elle-même. Son point fort n’est pas dans les apparitions publiques mais dans la connaissance des sujets et la mise en place de réformes.

La question n’était pas de savoir si les électeurs seraient séduits par les détails de son programme. Ses positions sont connues depuis de nombreuses années. De centre gauche avec un héritage familial conservateur, elle défend depuis des dizaines d’années un programme économique fortement interventionniste d’inspiration Keynésienne associé à une vision conservatrice des valeurs de la société. Bien qu’elle ait changé de position sur la question du mariage homosexuel, elle était, au cours des primaires de 2008 et 2016, la candidate des démocrates « conservateurs » de centre-gauche. La menace de Bernie Sanders l’a forcé à s’orienter davantage à gauche, notamment sur la question de la gratuité de l’enseignement supérieur. Malgré cela, elle reste une candidate bien moins radicale que le président Obama ne le fut.

Du coup, avant le début de cette dernière journée, les observateurs se sont principalement attardés sur sa capacité à réaliser un discours inspirant et sans faute au moment de l’acceptation de la nomination. Beaucoup pariaient déjà sur le fait qu’elle n’y parviendrait pas et que son manque de charisme – qui lui a déjà coûté l’élection en 2008 – risquait de la mettre en difficulté.

Hillary Clinton a réussi un coup de maître en changeant complètement le sujet de discussion. La question qui se pose ce vendredi matin est : était-ce réellement une convention démocrate défendant des valeurs de gauche ?

Etait-ce réellement une convention démocrate ?

Cette question était déjà sur toutes les lèvres après la journée de mercredi : plutôt que de défendre leurs propres idées et le détail de leur programme, les démocrates ont une fois encore à peine abordé les idées qu’ils défendent et qu’ils représentent. Ceci a certes aggravé en partie la division entre les soutiens de Bernie Sanders et ceux de Hillary Clinton, mais la stratégie semble clairement de ne pas aller chercher un maximum de voix à gauche comme Barack Obama l’a fait en 2008 et 2012.

Tout au long de la soirée, les élus démocrates étaient peu présents. En revanche, des militaires, des vétérans, des parents de soldats tués en Irak et en Afghanistan se sont enchaînés pour dénoncer le fait que Donald Trump et son programme de retrait des forces américaines du reste du monde libre trahissait ce pour quoi ils se sont battus.

A la suite de cela, des républicains, dont certains qui ont fait partie des administrations Reagan et Bush, sont venus et ont clairement affiché leurs désaccords avec Hillary Clinton, affirmant qu’ils ont toujours été de droite et qu’ils n’apprécient pas sa philosophie, mais qu’ils ont moins de désaccords avec elle qu’avec Donald Trump et donc qu’ils voteront pour la candidate démocrate.

Les thèmes abordés étaient aussi en radicale opposition avec les discours de 2004, 2008 et 2012. Ce n’est pas un discours progressiste qui a été affiché au cours de la soirée. Au contraire, le thème de la défense de la constitution fut martelé alors qu’il s’agit de l’un des sujets favoris des républicains. L’idée de liberté comme priorité, avant l’égalité, a été répétée encore et encore. Enfin, le message était particulièrement patriotique et conservateur : les Etats-Unis n’ont pas besoins d’être changés pour (re)devenir grands. Les Etats-Unis sont déjà un grand pays, le plus grand, le plus libre, le plus prospère et le plus puissant au monde. Les Etats-Unis doivent simplement être améliorés pour lutter contre quelques problèmes et aider le quotidien des citoyens. L’objectif était de répondre au slogan de Donald Trump : l’Amérique n’a pas besoin de « redevenir grande » car elle l’est déjà, citant Ronald Reagan et allant jusqu’à féliciter le président George W Bush pour sa réaction en faveur de New York après le 11 septembre dans une vidéo pour présenter la candidate avant son intervention.

Ce discours n’a pas été entendu chez les démocrates depuis l’élection de 2000. Au contraire, c’était le discours de George W Bush, John McCain et Mitt Romney : patriotisme à travers la défense de la liberté, de la constitution et conserver les Etats-Unis comme première puissance mondiale à la fois en termes militaires et économiques.

Ce ne sont pas que les invités militaires, vétérans et républicains qui ont abordé ce thème. Hillary Clinton a certes mentionné certaines de ses politiques et des parties de son programme, notamment rendre l’éducation universitaire gratuite. Mais même dans ses prises de positions chères aux démocrates, telles que la limitation du droit de port d’armes, elle a utilisé une rhétorique conservatrice. Sur ce sujet précis, elle a affirmé qu’elle ne souhaitait pas limiter le second amendement de la constitution ni empêcher les citoyens de s’armer de la manière dont il le souhaite. Elle a précisé que son seul souhait était de s’assurer que les criminels ne puissent pas obtenir d’armes. Elle s’est ainsi posée en défenseur du droit de port d’armes, une inversion complète comparée au discours du président Obama et à son propre programme !

Enfin, Hillary Clinton a cité les « pères fondateurs », une habitude principalement républicaine et libérale. Elle a prôné la révolte des colons en 1776 et leur rejet de l’Etat et du roi, un thème particulièrement libéral et conservateur. Elle est même allée jusqu’à citer Alexis de Tocqueville, considéré par la droite américaine comme une référence mais habituellement ignoré par les démocrates.  L’ensemble de cette dialectique de sa part s’est accompagné de fortes attaques sur Donald Trump, l’accusant de ne pas être digne de confiance, de ne pas « croire » dans l’Amérique, dans la liberté et dans l’exceptionnalisme des Etats-Unis.

Ce discours fut accompagné toute la soirée par son slogan de campagne : « Stronger Together » (Plus forts Ensemble). L’appel était clair ce soir : Hillary Clinton appelle les libéraux et les conservateurs à rejoindre les démocrates pour des Etats-Unis plus forts et plus patriotes, fiers de leur culture et de leurs valeurs, affirmant qu’au contraire, Donald Trump représente l’antithèse des idées qui ont fondé les Etats-Unis il y a exactement 240 ans.

Une stratégie risquée pour Hillary Clinton et l’ensemble du parti démocrate

Il est trop tôt pour savoir quel sera l’impact à long terme de cette convention et si les démocrates vont continuer avec ce discours. Plusieurs conservateurs à succès ont réagi en direct pour applaudir ce thème et le ton de cette journée mais parier dès aujourd’hui sur le succès de cette stratégie est prématuré. Il est certain que ce fut une véritable surprise mais le programme de Clinton et de son parti restent profondément en désaccord avec les idées défendues par les conservateurs et les libéraux.

Au-delà de ce pari incertain pour récupérer des voix de droite, le risque est grand pour l’ensemble du parti démocrate. Certes, leur programme n’a pas été modifié. La percée de Bernie Sanders a orienté la gauche américaine vers le programme le plus extrême de son histoire, que ce soit sur les questions d’éducation, d’avortement, d’immigration, etc. Mais comment vont réagir les électeurs à cette manière de présenter les choses ?

Oui, Hillary Clinton a – personnellement – beaucoup à gagner à présenter son programme avec une orientation conservatrice. Le mouvement #NeverTrump reste présent et puissant malgré leur défaite à la convention la semaine dernière . Il est vrai que pour gagner l’élection présidentielle et vider le réservoir de voix de Donald Trump, cette stratégie peut fonctionner. Mais deux conséquences directes peuvent menacer la gauche américaine.

Premièrement, après avoir eu beaucoup de mal à unifier son parti suite aux scores historiques de Bernie Sanders, Hillary Clinton prend le risque de voir la partie la plus à gauche de l’électorat décider de rester chez eux le jour de l’élection ou bien de se tourner vers Jill Stein, la candidate écologiste. C’est cette même stratégie qui a fait perdre Al Gore en 2000 et permis au gouverneur George W Bush d’entrer à la Maison Blanche.

Deuxièmement, les élections de novembre ne touchent pas uniquement la présidentielle, et contrairement aux élections françaises, les électeurs américains ne votent pas automatiquement pour le même parti politique aux élections législatives et exécutives. En particulier à ce jour, les républicains restent favoris pour conserver le contrôle de la Maison des Représentants (députés) et le Sénat. Comment les candidats progressistes du parti démocrates parviendront-ils à défendre leur programme devant les électeurs de gauche si leur candidate à l’élection présidentielle et la direction du parti décide de développer un discours qui doit raisonner davantage chez les électeurs de droite et de centre-droit ? En particulier dans une élection où nombre de candidats républicains se distancent volontairement de Donald Trump, Hillary Clinton leur donne l’argument pour dire que l’on peut voter conservateur pour le Congrès sans voter pour le candidat républicain à la présidentielle.

Ce ton est bien risqué pour la gauche américaine dans son ensemble. S’ils conservent ce discours jusqu’à la fin de la campagne, les électeurs de gauche pourraient décider de ne pas se déplacer et, dans ce cas, même si Hillary Clinton parvient à remporter l’élection présidentielle, elle pourrait se retrouver avec les deux chambres législatives largement contrôlées par les républicains, l’empêchant de fait de mettre en place son programme et de faire nommer un juge progressiste pour la cour suprême.

Le sans-faute au ton particulièrement négatif

L’ensemble de cette dernière journée fut ainsi un sans-faute clair. Comparé à lundi et mardi, le déroulement de la conférence a été propre, sans erreur et a lancé le parti démocrate dans l’élection présidentielle de manière bien plus efficace en termes de communication et d’organisation que lors des conventions républicaine, qui fut probablement la pire de l’histoire de ce parti depuis 1964 en termes d’organisation et d’unité, et celle des libéraux, qui fut mentionnée mais peu suivie par les médias.

Il reste que, dans la droite ligne du message développé mercredi, le parti démocrate sait que sa candidate est particulièrement impopulaire et que la victoire viendra non pas en développant une bonne image de Hillary Clinton, mais au contraire en partant fortement à l’offensive négative contre Donald Trump pour détruire sa candidature et sa personnalité aux yeux des américains.

Avec la conclusion de ces deux semaines, la campagne électorale américaine pour novembre 2016 est définitivement lancée. Elle sera extrêmement négative, probablement jusqu’au dernier jour.

Merci pour votre suivi et votre fidélité à Breizh-Info ! Au cours des prochaines semaines et prochains mois, vous pourrez continuer à suivre l’analyse de la campagne américaine dans toute la Bretagne et dans le monde entier !

Crédit photo : DR
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