26/07/2016 – 19H45 Philadelphie (Breizh-info.com) – Pendant les conventions républicaines et démocrates du mois de juillet 2016 aux Etats-Unis, Pierre Toullec vous présente chaque jour un résumé de la journée précédente, en exclusivité pour Breizh Info. Au tour de la convention démocrate !
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Lundi 25 juillet – La catastrophe évitée de justesse
Ce lundi 25 juillet, la convention démocrate de 2016 s’est ouverte à Philadelphie, en Pennsylvanie. Cette première journée cruciale pour la détermination des règles de fonctionnement du parti aurait dû se passer sans problème : contrairement au parti républicain, la nomination de Hillary Clinton ne devait plus faire de doutes suite au soutien officiel de Bernie Sanders à son adversaire.
Mais deux jours avant le début de cette convention de l’unité, un scandale soupçonné de longue date a été révélé par WikiLeaks et mis à bas tout le système prévu par le parti démocrate.
Debbie Wasserman Schultz, présidente du parti démocrate
Debbie Wasserman Schultz est devenue la présidente du parti démocrate en mai 2011. Contrairement à nombre de ses prédécesseurs et à Reince Priebus, président du parti républicain, elle ne s’est jamais contentée de son rôle qui est théoriquement de faire appliquer les règles et assurer la bonne marche du parti. En effet, contrairement aux partis politiques Européens en général, le président d’un parti au niveau fédéral a, dans la pratique, très peu de pouvoirs. Chez les républicains, les libertariens et les démocrates, ce rôle n’est pas qu’administratif mais doit s’assurer avant tout de la bonne marche d’un mouvement politique qui a peu d’équivalents dans le reste du monde démocratique.
Les présidents de partis locaux, dans chaque Etat, ont un rôle bien plus similaire à ce que l’on voit en Europe. Le système fédéral encourage ce fonctionnement et le ou la président(e) au niveau « national » doit théoriquement rester un arbitre impartial.
Wasserman Schultz a rompu violemment avec cette tradition. Depuis sa victoire à la nomination, réclamée par le président Obama dès le mois d’avril 2011, elle a passé un temps particulièrement important à débattre, aller sur les plateaux de télévision, à attaquer les républicains et à donner son opinion sur un très grand nombre de sujets. Son hyperactivité et sa présence médiatique sans précédent pour quelqu’un à ce poste additionné avec le rôle de président du parti et donc de toute cette action administrative qu’elle devait réaliser a certes fait d’elle une star de la gauche américaine : Debbie Wasserman Schultz est nationalement connue de par ses fréquentes apparitions et engagements dans des débats, prenant position même sur des sujets qui divisent le parti démocrate. A l’inverse, Reince Priebus, tout comme son prédécesseur Michael Steele, sont à peine connu du grand public, leur influence étant surtout ressentie dans l’organisation du parti et leurs personnalités connues par les spécialistes de la politique.
Ceci a eu deux conséquences graves : premièrement, en cumulant (cas extrêmement rare aux Etats-Unis où le cumul des mandats, même de chef de parti et de maire ou toute autre fonction d’élu est particulièrement mal vu) les rôles de présidente du parti, oratrice démocrate et représentante (députée) de Floride, Debbie Wasserman Schultz a lourdement délaissé son rôle d’élue. Sur les 535 membres du Congrès Américain, elle est la 45ème la plus absente tous partis confondus, à égalité avec des membres qui ont des maladies graves ou de grandes difficultés dans leurs familles. La différence est que ce n’est pas le cas de Mme Wasserman Schultz : ses absences répétées sont dues à sa trop grande présence sur les plateaux de télévision, l’empêchant de faire son travail de députée.
Deuxièmement, son action militante et engagée l’a toujours plus éloignée de son rôle d’administratrice impartiale, jusqu’à sa chute le week-end dernier…
Tricheries et favoritisme
Après une convention républicaine chaotique, les démocrates anticipaient avec plaisir leur convention de l’unité. Mais ce week-end, Wikileaks a publié plusieurs e-mails d’échanges entre la direction du parti démocrate, Hillary Clinton et les dirigeants de partis locaux. Il ne s’agissait pas de quelques conversations mais bien de la mise en place d’une stratégie à grande échelle pour garantir à Hillary Clinton la victoire ! Des règles génériques ont été mises en place dès le début de la primaire puis plus spécifiquement contre Bernie Sanders lorsqu’il est devenu évident qu’il était la principale menace pour Hillary Clinton.
- Le déroulement d’un très petit nombre de débats : six en tout – ce chiffre peut surprendre un lecteur Européen, car nous avons de la chance quand un débat est organisé au cours d’une primaire et il n’y en a généralement qu’un seul lors des présidentielles françaises. Mais aux Etats-Unis, la donne est complètement différente. Pour l’élection générale, quatre débats sont organisés aux mois de septembre et d’octobre (ce n’est pas une règle : il pourrait y en avoir davantage) mais le nombre de débats au cours des primaires tend davantage vers onze ou douze, voire parfois plus (vingt débats lors de la primaire républicaine de 2012). L’objectif est de permettre aux candidats moins connus de pouvoir être découverts par les électeurs.En limitant volontairement le nombre de débats (décision critiquée par les adversaires de Hillary Clinton dès le début de la campagne), Debbie Wasserman Schultz a favorisé Hillary Clinton pour protéger son statut de favorite.
- La vieille stratégie du « Solid South » : après la guerre de sécession, le Sud des Etats-Unis a voté démocrate dans l’immense majorité des élections présidentielle pendant en gros cent ans : de 1860 à 1968. Le parti de la gauche américaine a ainsi basé sa stratégie électorale sur le « Solid South », le « Sud Solide », partant du principe que ces Etats leurs étaient quasiment acquis. Le Sud s’est progressivement tourné vers les républicains dans les années 1970 et 1980 mettant, pendant ces années-là, le parti démocrate en grande difficulté.La même stratégie a été mise en place pour Hillary Clinton, mais de manière inversée. De 1866 à 1965, les partis démocrates des Etats du Sud interdisaient aux minorités (majoritairement les noirs) de voter dans les primaires de leur parti, garantissant l’impossibilité pour les non-blancs de se faire élire. Mais après le Civil Rights Act de 1964, cette pratique fut bannie, inversant progressivement la tendance. Aujourd’hui dans les Etats du Sud, le parti démocrate désormais minoritaire est principalement composé de minorités, dominé par l’électorat noir et hispanique.
Bill Clinton ayant été gouverneur de l’Arkansas, le lien des Clintons avec le Sud est solide. De plus, de par ses politiques de redistribution et de « discrimination positive », le président Clinton était surnommé « le premier président noir ». Le parti démocrate en entier a joué cette carte pour garantir le vote des minorités à Hillary Clinton dans la primaire, encourageant les minorités à ne pas voter pour « un autre vieil homme blanc ». Ceci a été accentué en favorisant le vote des Etats du Sud en leur donnant la possibilité de tous voter dans les premiers, laissant les Etats du nord et de l’ouest voter après le Sud, favorisant encore Hillary Clinton.
- Enfin, pour solidifier le vote du Sud, les démocrates n’ont pas hésité à jouer sur la « carte juive ». En effet, les minorités aux Etats-Unis représentent un solide vote pro-Palestinien et anti-Israël. En insistant sur le fait que Bernie Sanders est juif, le parti démocrate a encore solidifié le vote du Sud en faveur de Hillary Clinton, lui permettant de remporter tous les Etats de cette région, avec des scores astronomiques dépassant même les 80% des voix dans de nombreuses circonscriptions ! L’avance énorme de Clinton dans le Sud lui a permis de remporter la primaire car son adversaire n’a jamais réussi à rattraper son retard.
- Le dernier scandale – considéré par certains comme le plus grave – est que le parti démocrate a ouvertement contacté de riches donateurs en leur promettant une place dans le futur gouvernement Clinton s’ils donnaient d’importantes sommes à la campagne de Hillary Clinton et aux différents Super-PACs qui la soutiennent.
La fureur des soutiens de Bernie Sanders
A la suite de ces révélations, Debbie Wasserman Schultz a immédiatement démissionné de son poste de présidente du parti démocrate et… été embauché quelques heures plus tard par la campagne de Hillary Clinton.
Les réactions politiques ne se sont pas faites attendre, en particulier chez les partisans de Bernie Sanders. Ils ont immédiatement fait part de leur colère. Devant la montée en puissance et les menaces d’émeutes exprimées par les manifestants anti-Clinton, le parti démocrate et les autorités de Pennsylvanie ont commencé à paniquer face aux risques de sécurité. De manière particulièrement ironique alors que le principal sujet d’attaque contre Donald Trump est son projet de mur sur la frontière Mexicaine, les autorités, à la demande du parti démocrate, ont fait dresser une barrière de 6,5 kilomètres de long et de 2,5 mètres de haut tout autour du lieu de la convention pour empêcher les manifestants d’entrer ! Ils ont aussi ajouté, au sein de la convention, une longue barrière entre les délégués présents et l’estrade des orateurs, une première !
Le début de la convention a été particulièrement difficile, bruyant et au bord du chaos. Les délégués pro-Sanders ont clairement exprimé leur rejet de Hillary Clinton. Si les différents orateurs qui ont pris la parole (dont Michelle Obama) sont parvenus à temporairement calmer la tension, ce n’est que le discours de Bernie Sanders lui-même qui a finalement remis les choses en ordre. Alors qu’il aurait pu profiter de cette occasion pour condamner les tricheries organisées contre sa candidature et retirer son soutien à son ex-adversaire, il a au contraire fait un discours de soutien à Hillary Clinton long et passionné.
Cette décision de sa part, qui était inconnue jusqu’à sa prise de parole, a permis enfin de calmer les esprits (bien que certains de ses propres militants l’ont hué pour son refus de se battre pour obtenir la nomination ce mardi). La soirée s’est finie calmement et, sauf surprise, il semble que les adversaires d’hier sont à nouveau alliés contre Donald Trump.
La convention démocrate au bord du chaos a été sauvée de justesse et le risque de catastrophe a transformé cette première journée en succès.
Retrouvez le résumé de la journée du 26 juillet demain sur Breizh Info !
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