12/07/2016 – 07H45 Carnac (Breizh-info.com) – Il est difficile d’imaginer aujourd’hui que l’État, il y a encore vingt ans à peine, envisageait de faire un énorme complexe touristique à Carnac, afin que les alignements, très prisés par les touristes, renflouent ses caisses. Une association locale, Menhirs libres, s’est battue sans relâche contre le projet, très vite baptisé Menhirland, et a réussi à le faire capoter grâce à la loi Littoral, après une bataille judiciaire acharnée. Un livre vient de sortir qui retrace le combat pour la liberté des menhirs et de ceux qui les visitent.
Comme pour Plogoff, par le passé, ou pour Notre-Dame des Landes maintenant, l’ouvrage met en évidence que ressorts mis en œuvre par l’Etat pour arriver à ses fins sont toujours les mêmes : intoxication, mauvaise foi, voire passage en force. Le livre est écrit par Chantal Ferré, professeur de lettres classiques, et Céline Mary, qui fut au cœur de la lutte, la ferme de Guy et de Céline Mary, la Petite Métairie, était située au cœur du site et aurait du être abattue, si Menhirland se faisait. C’est à partir cette ferme que fut impulsée la résistance, comme c’est le cas de nos jours pour le GAEC Fresneau aux Domaines, au cœur de Notre-Dame des Landes, à l’emplacement même de l’hypothétique future aérogare.
De 1991 à 2004, avec la complicité de certains pouvoirs locaux – l’Etat a commencé par spolier les bretons de leurs alignements, en les entourant de grillages, car ils se déchaussaient soi-disant à cause du piétinement touristique. Jusque là, le site était propriété de l’Etat, mais d’accès libre. Ce que 5000 ans de vicissitudes historiques diverses n’ont pu faire, des Vikings aux combats de la Chouannerie, les touristes l’auraient fait en deux décennies depuis 1970. Loin de s’arrêter lorsque l’inanité de ces arguments, relayés par une presse d’autant plus servile qu’elle était loin, le pouvoir s’empressa de construire un belvédère peu esthétique sur le site – et payant – puis de commencer à acquérir des dizaines d’hectares autour du site.
En tout 248 parcelles, appartenant à 149 propriétaires et couvrant 86 hectares. Plusieurs maisons pluriséculaires – dont la Petite Métairie qui date du XVe – doivent être abattues, une route importante déviée. L’affaire divise la commune, les opposants mobilisent, de veillées en festoù-noz, puis finissent par donner un coup d’arrêt au projet grâce à la loi Littoral. Le 27 décembre 2002, la cour administrative d’appel de Nantes enterre Menhirland car il y a violation de la loi Littoral.
Cependant, les menhirs ne sont pas libérés pour autant. Alors que Guy Mary est rappelé à Dieu début 2004, il fait disperser ses cendres à la Petite Métairie, pour rester à tout jamais là où il est né. Des années après, les menhirs sont toujours grillagés, le provisoire installé par l’Etat dure, et Menhirs libres continue d’exister et de veiller, face à des pouvoirs publics qui tardent toujours à reconnaître leurs torts et à rendre la liberté aux menhirs enfermés.
Ce livre, un menhir libre est un menhir heureux, reprend le slogan de Menhirs libres et rappelle que face à l’État, les citoyens ne sont pas toujours le pot de terre contre le pot de fer, pourvu qu’ils s’unissent, ne soient pas dupes et ne manquent ni de patience, ni de volonté. Il montre aussi que pour les menhirs, et le patrimoine en général – naturel, culturel ou immatériel – il y a toujours urgence, et la vigilance est plus que jamais nécessaire face à ceux qui affirment l’inutilité de la culture si elle ne rapporte pas.
L’ouvrage est préfacé par le navigateur Eugène Riguidel. Natif d’Arradon, ce navigateur rebelle, farouchement breton, de gauche, régionaliste et libertaire avait soutenu la lutte pour la liberté des menhirs dès les premières heures. Connu pour avoir gagné plusieurs courses – le Cap-Rio en 1971, la course de l’Aurore en 1974, la Transat en double avec Gilles Gahinet en 1979, 1er de la troisième étape de la Whitbread en 1981 sur un bateau construit par trois jeunes architectes et nommé le Mor Bihan, etc. – il continue à naviguer pour son plaisir, et à résister, contre le nucléaire notamment ; il était d’ailleurs entré en 2004 illégalement dans l’arsenal de Cherbourg alors qu’il participait à une action de GreenPeace. Il s’oppose aussi à la réglementation de la mer.
Pour celui qui pense que « la mer est le dernier endroit où on est libre », la lutte réussie contre le Grand Enfermement des Menhirs de Carnac rappelle qu’il faut « toujours tenir bon ». Une résolution éminemment bretonne, qui est depuis des siècles la devise de la ville de Douarnenez : Dalc’h Mad, Tiens bon.
Photo : DR
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