08/07/2016 – 5H30 Rennes (Breizh-info.com) –Avec ses 140 débits de boisson, Rennes compte parmi les villes de France – et de Bretagne – les mieux pourvues en cafés. Certes, Brest, avec 143 bars, et Nantes, avec 165 la surclassent, mais elle reste une ville bien connue pour sa « rue de la soif » et sa vie nocturne. Certains bars cependant avaient une toute autre destination par le passé. Ainsi, l’un des bars rennais était-il… une chapelle.
Il s’agit du café du Port, situé à l’angle de la bien nommée rue Le Bouteiller et de la rue des Dames, non loin de la Vilaine canalisée (et couverte). De loin, la bâtisse, strictement carrée, avec une corniche à modillons tout aussi carrés sous le toit, intrigue. Ancien hôtel particulier reconverti après la Révolution ? Pas même. De plus près, on voit sur le côté nord une baie cintrée qui a été bouchée, et au sud, une coursive manifestement postérieure au bâtiment, qui donne sur une porte elle-même ouverte dans une ancienne baie cintrée. Derrière se trouve un bâtiment ancien à colombages qui a visiblement échappé au grand incendie de 1720 qui avait détruit une grande partie du centre ancien, tour de l’Horloge et hôtels particuliers y compris, entraînant une reconstruction de Rennes en plus moderne… et selon un plan orthogonal. Carré en somme.
Le café du port est aménagé dans une ancienne chapelle, celle de l’Ecce Homo, construite en 1661 sur l’emplacement d’une chapelle plus ancienne. De plan carré, elle avait selon un plan ancien un chevet à trois pans. Elle dépendait de l’hôpital Saint-Yves, fondé en 1358 par un prêtre du diocèse de Tréguier, Eudon Le Bouteiller et par le curé de la paroisse Saint-Étienne de Rennes, pour combattre la misère qui naquit de la guerre de Succession de Bretagne. La ville venait de subir neuf mois durant, d’octobre 1356 à juillet 1357, un épuisant siège de la part de l’armée anglaise commandée par le duc de Lancastre et qui soutenait le parti de Jean de Montfort. Saint Yves, quant à lui, venait tout juste d’être canonisé en 1347 ; ce conseiller juridique du diocèse de Tréguier, qui fut aussi prêtre et avocat des pauvres, est le saint patron des avocats et des professions juridiques. L’hôpital avait aussi sa chapelle, dédiée à saint Yves, et qui a survécu jusqu’à nos jours ; elle accueille désormais l’Office de Tourisme.
Pendant la Révolution, les religieuses – des Augustines – sont chassées de l’hôpital Saint-Yves, qui est en partie désaffecté de 1792 à 1806, voire 1810 pour certains locaux. La chapelle de l’Ecce Homo est elle aussi désaffectée. Elle retrouve une utilisation imprévue : en 1810, l’Ecole de Médecine doit quitter une partie de l’hôpital Saint-Yves qu’elle occupait. Elle se recase là où elle peut : tandis que les leçons d’anatomie sont données de 1810 à 1813 au second étage de la tour sud de la Cathédrale alors délabrée, l’amphithéâtre fut installé dans l’ancienne chapelle de l’Ecce Homo. Mais la proximité du port saint Yves, avec les cris des bateliers et le tapage des charrettes, l’exiguité de la chapelle et l’éclairage médiocre fit abandonner les lieux aux médecins vers 1850, lorsque leur école fut transférée dans des locaux plus vastes. Reconvertie en maison d’habitation, elle devint par la suite un café. Elle perdit après 1880 le joli campanile ajouré qui surmontait son toit, et qui ne fut pas rétabli dans les restaurations de 1968 et de la fin des années 1980.
Rennes avait une autre chapelle de l’Ecce Homo, située près de l’église Saint-Hélier. Son emplacement est marqué par une croix érigée en 1832 à la fourche formée par les rues de Vern et Châteaugiron, au bout de la rue Saint-Hélier. On sait de cette seconde chapelle qu’on y transportait en 1767, lors de l’épidémie de dysenterie, les cercueils de la campagne avoisinante en attendant leurs obsèques en l’église paroissiale voisine. Cette seconde chapelle de l’Ecce Homo a eu moins de chance que l’autre : elle a probablement été emportée par la fureur révolutionnaire. Seule la croix, érigée lors d’une épidémie de choléra et restaurée en 2014-2015 par la ville avant d’être réinstallée à son emplacement historique, rappelle son souvenir.
L.B. Greffe
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