04/07/2016- 07H00 Rennes (Breizh-info.com) – Au beau milieu de la rue Vasselot, au cœur du vieux Rennes, il est possible d’entrer dans un vieux porche pavé, surmonté de plafonds à colombage placés de biais. Il débouche de façon étrange dans un porche en pierre assez épais, sur lequel prend appui un escalier de bois à double volée. Cette maison abritait un ancien couvent des Carmes qui donna lieu à une étrange tradition rennaise.
Le couvent des Carmes s’installa en 1450 rue des Dames, dans la Maison au Vicomte donnée par Jean, sire de Malestroit et de l’Argoët, vicomte de la Bellière et maréchal de Bretagne. Deux ans avant, le 6 juillet 1448, le duc de Bretagne François Ier autorisait le premier établissement fixe des Carmes à Rennes ; ils étaient déjà implantés à Nantes. Peu après, le couvent qui y manquait d’espace, acquit le manoir de la Tourniole rue Vasselot, qui lui fut donné par Dame Marie Madeuc, femme de messire Jean de Lorgeril, seigneur de Repentigné. Par la suite de diverses acquisitions et de dons, entre les années 1475 et 1498, les Carmes acquirent les maisons entre le 32 et le 40 de la rue Vasselot, soit un grand carré de 272 par 276 pieds, ou d’un hectare 30 de superficie, de la rue Vasselot aux terrasses des remparts de la ville.
Les ducs de Bretagne se considéraient comme fondateurs du couvent. Sa première cloche fut d’ailleurs donnée par le duc Pierre II. Elle était jusqu’alors établie dans une tour de la vieille enceinte, la tour saint James, près de la porte Jacquet ; l’horloge de la ville y avait été installée pour les besoins du guet en 1468. La construction de la nouvelle enceinte la rendit inutile. Le couvent des Carmes fut bâti dans un style gothique, et se développa grâce aux dons des rennais et à l’activité des frères, reconnus pour leurs prêches aux XVe et XVIe siècles. Par ailleurs trois frairies – il s’agit là de confréries, et non des frairies ou trêves qui existaient jusqu’au XXe siècle dans la campagne bretonne – existaient dans le couvent. La première, dite « frairie blanche », était dédiée à Notre-Dame du Carme. Une autre, dédiée à sainte Barbe, fut établie dans une chapelle du cloître, puis dans l’église après 1543 ; juste à côté de l’autel, des peintures représentant la légende de Sainte-Barbe furent faites sur la muraille par le peintre flamand le Béchot en 1544-45. Une troisième était dédiée au Scapulaire.
Pendant les guerres de Religion, la Chambre des Comptes de Bretagne, lorsqu’elle fut installée à Rennes, se trouva dans ce bâtiment ; elle était normalement installée à Nantes, et le bâtiment où elle était, sis entre l’Erdre et la vieille ville, est devenu la préfecture de Loire-Atlantique. Le couvent compta quant à lui 90 religieux au XVIe, et même 102 en 1604. Comme d’autres établissements conventuels il subit de plein fouet la crise religieuse du XVIIIe siècle – il n’y eut en 1758 que 42 religieux, y compris les novices, et plus que 28 lorsque les Carmes furent expulsés en 1792.
L’immeuble actuel, dans la cour duquel on débouche, date de 1665. Il permet d’admirer le travail des charpentiers et menuisiers du XVIIe : l’escalier à double volée, prenant appui sur le porche et débouchant au premier étage, les coursives des second et troisième niveaux, les colombages renforcés par des écharpes de biais sur les côtés de la cour… La chapelle des Carmes, érigée de 1460 à 1480, se trouvait dans la cour, et son maître-autel a pris la place d’un ancien four banal, appelé four saint Thomas. Ce vocable est celui d’un ancien prieuré devenu collège des Jésuites ; l’église de ce collège, dédiée aussi à saint Thomas, prend le nom de Toussaints en 1803 quand le vocable d’une ancienne église de ce nom, située à proximité, lui est transféré avec le siège de la paroisse. Cette église, dont la restauration intérieure a été achevée en 2015, est l’une des plus grandes églises de style Jésuite actuellement conservée en France.
Si la chapelle des Carmes a disparu, les bâtiments ont été sauvés, notamment parce qu’ils ont été reconvertis – encore avant la tourmente, en 1779, un hôpital militaire fut installé dans une partie du couvent. Il devint en 1793 un hospice révolutionnaire, et ce jusqu’en 1804. La bibliothèque des Carmes, riche de 10.600 volumes, devint une partie de la bibliothèque publique de Rennes. Au XIXe subsistaient encore plusieurs arcades du cloître des Carmes, bâties dans un style ogival ; ce cloître était au sud de l’ancienne chapelle. Le presbytère de la paroisse de Toussaints a été établi au XIXe dans une ancienne dépendance de ce couvent.
La sainte aux Pochons, canonisée par la ferveur populaire
La chapelle a, elle, été détruite en 1798. Elle abritait plusieurs enfeus, notamment ceux des familles de Coëtlogon, Cornulier, Robien… On y trouva en 1798 le corps de dame Philippe-Hélène de Coëtlogon, marquise de Coëtlogon, née en 1630 et décédée le 14 décembre 1677. Elle avait épousé, en 1643 son parent René de Coëtlogon, vicomte de Méjusseaume, gouverneur de Rennes. Ils eurent ensemble quatre enfants, à savoir René-Hyacinthe, marquis de Coëtlogon, qui fut à son tour gouverneur de Rennes, Louis-Marcel, Anne-Marie et Louise-Philippe. Dame Philippe-Hélène était connue à l’époque comme une dame d’une grande piété, bienfaitrice des pauvres, morte en odeur de sainteté.
Sa dépouille avait été retrouvée intacte – une propriété que l’on appelle l’incorruptibilité et que l’on retrouve chez un certain nombre de saints, dont Bernadette Soubirous, Padre Pio ou le saint curé d’Ars pour ne prendre que des exemples récents – et la défunte eut immédiatement réputation de sainteté.
Transportée dans le récent cimetière du Nord (n°36, avenue du Gros Malhon), elle donna lieu à une tradition étrange, qui perdure jusqu’à nos jours : au pied de la croix de la tombe, on prenait un peu de terre qu’on glissait dans un pochon de toile. Ce dernier était placé au cou du malade. Après neuf jours de prière, on rapportait le pochon à la tombe de la dame, et le miracle de la guérison était censé s’accomplir. La tombe de celle qui fut très vite appelée la « sainte aux pochons » se trouve section 8, rang n°8, tombe n°12. Elle est entièrement couverte de lierre, croix y comprise, et est toujours fréquentée ; de nos jours, les pochons en plastique ont remplacé ceux de toile. Depuis près de deux siècles, la tradition se maintient.
L.B. Greffe
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