04/07/2016 – 08H15 New York(Breizh-info.com) –Tout au long des élections américaines de 2016, retrouvez chaque vendredi l’analyse de Pierre Toullec, spécialiste de la politique américaine, en exclusivité pour Breizh Info ! L’occasion de mieux comprendre les enjeux et les contours d’élections américaines finalement assez mal expliquées par la majorité de la presse subventionnée – sponsor démocrate de longue date. L’occasion également d’apprendre ce qui pourrait changer pour nous, Européens, suite à l’élection d’un nouveau président de l’autre côté de l’Atlantique.
Le terrible mois de Donald Trump
Partie III : les divisions politiques
La période entre la victoire dans la primaire d’un candidat jusqu’à sa nomination officielle au cours de la convention nationale est généralement une période calme pour les vainqueurs. Le travail réalisé se concentre généralement à panser les blessures de l’élection interne et à mettre en place une campagne nationale qui ne sera réellement lancée qu’une fois les conventions des deux grands partis terminées – avec un démarrage en douceur durant le mois d’août.
Pourtant, depuis des mois, les candidats dits « antisystème » internes aux partis républicains et démocrates que sont Bernie Sanders et Donald Trump ont commencé à faire craindre une situation similaire à celle de 1968.
Officieusement (sa victoire ne pourra être officielle qu’à la fin de la convention républicaine de mi-juillet), Donald Trump a remporté la primaire républicaine il y a un mois. Pourtant, au cours des quatre dernières semaines, en lieu et place de ce qui aurait dû être une simple marche vers la constitution d’une campagne digne de ce nom, le milliardaire a vécu une période bien plus difficile que la primaire à travers laquelle il est passé au cours du premier semestre de cette année 2016. Et, effectivement, aucun parti ni républicain ni démocrate n’a eu autant de mal à se regrouper autour de son candidat depuis l’échec cuisant de la gauche américaine en 1968.
Une convention à hauts risques
Depuis des mois, les craintes d’une convention républicaine divisée sont mentionnées. L’absence d’union qui semble s’organiser autour de Donald Trump est particulièrement surprenante. Le 21 juin dernier, un premier sondage de CNN a montré que 48% des électeurs républicains veulent un autre candidat que Donald Trump. Il est vrai que « The Donald » a réalisé un record d’impopularité au cours de la nomination : bien qu’il y ait eu un record de participation à la primaire républicaine, seuls 44,9% des électeurs ont voté pour Trump. C’est le plus mauvais score réalisé par un nominé républicain depuis (toujours cette même fameuse année) 1968 lorsque Richard Nixon n’a obtenu que 37,5% des voix et a tout de même remporté la nomination. Un seul autre nominé républicain n’a pas dépassé les 50% des voix depuis 1968 : John McCain en 2008 avec 46,7% des voix.
Les militants #NeverTrump n’ont jamais lâché l’affaire malgré l’abandon de tous les adversaires de Trump. Ce sondage les a revigorés. Mais pire que tout, le 27 juin au soir, un nouveau sondage réalisé par le Wall Street Journal a confirmé cette tendance : 52% des électeurs républicains veulent que Donald Trump soit viré au moment de la convention républicaine et seuls 45% souhaitent conserver ce dernier.
Le mouvement #NeverTrump espère depuis le mois d’avril parvenir à obtenir une majorité de délégués à la convention nationale qui se prononcerait pour qu’ils soient libres de leur vote au moment de désigner le candidat, et ainsi pouvoir nominer une autre personne que Donald Trump. Leur espoir était que Ted Cruz est parvenu à faire nominer nombre de ses fidèles en tant que soutiens de Donald Trump, ce qui permettrait d’obtenir ce résultat. Cela semble encore aujourd’hui peu probable. Le journal Politico a réalisé une étude précise sur les délégués qui sont sensés se rendre à la convention, démontrant que le mouvement #NeverTrump n’a pas assez de soutiens pour assurer une modification des règles. Pourtant, la campagne de Donald Trump prend cette menace très au sérieux. Au cours des deux dernières semaines, une équipe de crise a été mise en place pour appeler un par un chaque délégué et s’assurer d’avoir un soutien suffisant, ce qui montre que le risque reste réel !
Or, Newt Gingrich, ex-leader des républicains au cours des années 1990 et aujourd’hui l’un des principaux soutiens à Donald Trump a fait une lourde faute ce 22 juin : il a appelé les délégués qui ne veulent pas soutenir le vainqueur des primaires à rester chez eux plutôt que de se rendre à Cleveland. Cette stratégie est particulièrement risquée ! Si les règles de la nomination ne sont pas modifiées mais que des délégués liés à Donald Trump tout en faisant partie du mouvement #NeverTrump décident de rester chez eux, cela signifie que, selon les règles actuellement en place, ces délégués ne pourront pas voter à la convention. Cela n’annulera pas la règle selon laquelle le nominé doit obtenir 1237 délégués. Ainsi, si des délégués liés à Trump mais anti-Trump décidaient de rester chez eux et de ne pas participer à la convention, en respectant les règles en place, le milliardaire pourrait se retrouver sans les 1237 votes au premier tour, rendant immédiatement la convention ouverte à la nomination de n’importe quel membre du parti républicain.
L’union des démocrates se réalise
Le plus grand espoir de Donald Trump était l’explosion du parti démocrate avec l’échec de justesse de la candidature de Bernie Sanders. Officiellement, ce dernier n’a pas apporté son soutien à Hillary Clinton mais il a commencé à avancer vers un soutien officiel, affirmant qu’il voterait pour Clinton . Les deux candidats se sont aussi rencontrés dans les derniers jours et leurs campagnes respectives ont commencé à travailler ensemble pour soigner les plaies de la primaire.
Pire, fin mai, près de 45% des électeurs de Bernie Sanders affirmaient qu’ils ne voteraient pas pour Clinton si elle remporte la nomination. Aujourd’hui, seuls 18% affirment qu’ils voteront pour un autre candidat que Hillary Clinton.
Alors même que la division au sein du parti républicain s’aggrave et le rejet de Donald Trump devient de plus en plus populaire, la gauche américaine s’unit et parvient à préparer une campagne solide. La perspective d’une candidature indépendante de Bernie Sanders contre Clinton, Trump et Johnson s’éloigne de plus en plus.
La montée du Libertarian Party
La montée du parti libéral américain est vu par de nombreux républicains comme une menace. Effectivement – cela a été abondamment traité dans cette chronique au cours des derniers mois – de nombreux républicains historiques abandonnent leur parti pour rejoindre le « LP ». Gary Johnson, son candidat, reste pour le moment sous la barre des 15% d’intentions de vote ce qui ne lui permettra pas d’être dans les débats. Mais même s’il prenait seulement 10% des voix, il pourrait modifier à lui seul l’ensemble des résultats de la présidentielle car – rappelons-le – la présidentielle américaine ne se fait qu’à un tour.
Fort heureusement pour Donald Trump, la position libérale de Gary Johnson ne le handicape pas directement. Certes, les républicains qui défendent moins d’impôts, moins de redistribution, davantage de libre-échange et moins de pouvoir de l’Etat Fédéral se tournent vers sa candidature. Mais dans le même temps, ses positions libérales sur les questions sociales (immigration libre, légalisation des drogues, privatisation du mariage, etc.) attirent de nombreux électeurs démocrates.
Selon les derniers sondages , il semble que Gary Johnson attire autant d’électeurs proches de Clinton que d’électeurs proches des républicains, diminuant d’autant le score de la (probable) candidate démocrate. Or, il y a seulement quelques semaines, les paris étaient que la candidature de Gary Johnson allait fortement favoriser Hillary Clinton. Ce point est très certainement le plus positif de ce mois de juin très difficile que Donald Trump a eu à vivre.
La candidature de Marco Rubio
Au cours de la primaire républicaine, l’inimitié entre le sénateur Rubio et Donald Trump n’était un secret pour personne. Par campagnes interposées, au cours des meetings mais aussi en plein milieu des débats, les deux hommes se sont ouvertement attaqués allant jusqu’à des insultes très basses, littéralement en dessous de la ceinture : Marco Rubio est allé jusqu’à se moquer de la taille des doigts de Trump et ce dernier y a répondu en affirmant qu’il avait de gros doigts, sous-entendu comme son pénis.
Lors de la primaire de Floride, État d’origine du sénateur Rubio, Donald Trump est parvenu à écraser son adversaire, le forçant à quitter la course. A partir de ce moment-là, le sénateur est retourné à Washington, travaillant dur pour laisser une trace à plus long terme étant donné qu’il n’en est qu’à son premier mandat et avait annoncé de longue date qu’il ne serait pas candidat à sa réélection.
Plusieurs éléments ont progressivement modifié sa décision. Au début, Donald Trump lui-même a appelé Marco Rubio à se représenter et rester au sénat après janvier 2017. Ceci n’a eu aucun effet mais l’objectif du milliardaire était d’utiliser cet argument pour parvenir à diminuer les tensions qui restaient avec les conservateurs traditionnels. Dans les semaines qui ont suivi, de nombreux dirigeants républicains se sont tournés vers le sénateur pour l’encourager à être candidat. Sa « retraite » politique était en effet risquée pour le GOP. Après la vague républicaine de 2010, le contrôle de la chambre haute par les républicains est mis en péril. Le siège de Floride était une cible de choix pour les démocrates : l’absence de candidat républicain connu les donnait vainqueur.
Puis est arrivé l’attentat d’Orlando. Il semble que cet événement fut un facteur majeur. Les premières rumeurs venant de proches de Marco Rubio ont été entendues, tout d’abord de manière anonyme, puis de plus en plus précisément. Finalement, ce mercredi 22 juin, le sénateur l’a annoncé : devant la montée de la violence dans son État, abandonner ceux qui lui avaient fait confiance en 2010 semblait irresponsable.
Cependant, lors de son interview sur CNN pour annoncer sa candidature le jour-même, l’annonce des raisons qui l’ont poussées à s’engager fut particulièrement dure pour Donald Trump. Marco Rubio a en effet annoncé que sa candidature était principalement liée au fait qu’il fallait un sénat qui restait aux mains des républicains pour s’opposer à une présidence Trump ou Clinton, mettant les deux adversaires sur le même plan, considérant qu’un sénat démocrate travaillerait main dans la main avec les deux candidats à la Maison Blanche. Il a reconnu que Hillary Clinton était pire que Donald Trump à ses yeux, mais qu’il refusait de faire campagne dans son État en faveur de Trump et que, s’il est réélu au sénat, il travaillera à bloquer les propositions d’une présidence Trump.
Ce dernier événement est-il celui de trop pour une candidature du milliardaire qui souffre durement depuis un mois ? Une chose est sûre : ses deux principaux adversaires lors de la primaire, Ted Cruz et John Kasich, refusent toujours de soutenir Donald Trump mais ont immédiatement annoncé leur soutien à la candidature de Marco Rubio pour le sénat.
La candidature de Donald Trump est-elle vouée à l’échec ?
Après un mois de juin aussi catastrophique, le lecteur peut en venir à penser que toutes les chances de Donald Trump de remporter l’élection présidentielle en novembre sont perdues. Fort heureusement pour le candidat républicain, il n’en est rien. Il est vrai qu’il part de loin mais il lui reste de nombreux atouts en main.
Le premier est bien entendu les grandes faiblesses de la candidature de Hillary Clinton. L’élection est encore loin et rien n’est joué. Hillary Clinton a eu un très bon mois de juin mais rien n’est gagné pour elle. Les conventions nationales ne sont pas passées et, en 2008, après une primaire très longue et difficile contre Clinton, la campagne de Barack Obama était aussi dans un état lamentable, avec peu d’argent en caisse et un parti démocrate profondément divisé. L’été lui a permis de se refaire pour finalement se retrouver avec une structure bien plus solide que celle de John McCain et un trésor de guerre de plus de 500 millions de dollars, un record à l’époque.
De même, au début de l’été 2008, Barack Obama était derrière John McCain dans les sondages et il semblait bien que le candidat républicain allait parvenir à assurer un troisième mandat de droite de suite. Finalement, après une campagne brutale en septembre et en octobre de cette année-là, le sénateur Obama a remporté la victoire haut la main en recevant le meilleur résultat à une élection présidentielle américaine depuis la réélection de Ronald Reagan en 1984.
La compétition pour la présidentielle de 2016 est loin d’être terminée.
Retrouvez les articles précédents :
1 – L’Iowa et Ted Cruz (5 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/05/usa-iowa-retour-sur-la-victoire-de-ted-cruz-aux-primaires-republicaines/)
2 – Le New Hampshire et Donald Trump (12 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/12/new-hampshire-retour-victoire-trump-primaire-republicaine/)
3 – Le décès du juge Scalia (19 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/19/elections-usa-les-consequences-du-deces-du-juge-scalia/)
4 – L’ascension de Donald Trump (26 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/26/39697/etats-unis-donald-trump-poursuit-son-ascension)
5 – Qui a réellement gagné le Super-Tuesday du 1er mars ? (4 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/04/40056/elections-americaines-qui-a-gagne-super-tuesday)
6 – La convention républicaine de 2016 : l’arrivée d’une crise politique majeure ? (11 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/11/40308/elections-americaines-convention-republicaine-de-2016-larrivee-dune-crise-politique-majeure)
7 – La primaire républicaine : une course à deux ou à trois ? (18 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/18/40559/etats-unis-la-primaire-republicaine-post-15-mars-2016-une-course-a-deux-ou-a-trois)
8 – Les conséquences des attentats du 22 mars sur les élections américaines (25 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/25/40896/consequences-attentats-22-mars-elections-americaines)
9 – 2016 : la compétition des impopulaires ? (2 avril 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/04/02/41152/elections-americaines-2016-competition-impopulaires)
10 – Le 5 avril 2016 : un tournant dans les primaires ? (8 avril 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/04/08/41594/usa-5-avril-2016-tournant-primaires-republicaines-democrates)
11 – L’Etat de New York : la surprise (22 avril 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/04/22/42453/elections-usa-letat-de-new-york-surprise)
12 – Donald Trump : la victoire au bout des doigts (19 avril) (https://www.breizh-info.com/2016/04/29/42803/elections-americaines-donald-trump-victoire-bout-doigts)
13 – L’erreur stratégique de Hillary Clinton (20 mai 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/05/21/43850/elections-aux-etats-unis-lerreur-strategique-dhillary-clinton)
14 – Les conventions républicaines et démocrates seront-elles sans risques ? (28 mai 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/05/28/44252/elections-etats-unis-conventions-republicaines-democrates-seront-risque)
15 – 2016 : l’année des candidats alternatifs ? (5 juin 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/06/05/44592/elections-aux-etats-unis-trump-clinton-primaires)
16 – L’échec du mouvement #NeverTrump ? (10 juin 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/06/10/44830/lechec-mouvement-nevertrump)
17 – Les conséquences politiques de la fusillade d’Orlando (20 juin 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/06/20/45207/elections-americaines-consequences-politiques-de-fusillade-dorlando)
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