A l’occasion de la réédition de son ouvrage Carrier et la Terreur nantaise (Ed. Perrin), l’historien nantais Jean-Joël Brégeon, spécialiste de la Révolution et de l’Empire, a répondu à nos questions.
Breizh-info : Les éditions Perrin rééditent en livre de poche (Tempus) votre Carrier et la Terreur nantaise. N’était-ce pas votre premier essai historique ?
Jean-Joël Brégeon : Effectivement. Il est paru en 1987. Je l’ai écrit sous la houlette du professeur Yves Durand, un de nos meilleurs historiens du 18° siècle, disciple de Roland Mousnier qui avait formé des doctorants réfractaires à la lecture marxiste-léniniste de l’histoire, alors dominante.
Breizh-info : En 1987, on approchait du Bicentenaire de la Révolution, voulu par François Mitterrand comme un éloge sans nuances des Lumières et des droits de l’homme. Votre livre n’allait pas dans ce sens, comment fut-il perçu ?
Jean-Joël Brégeon : En fait, le Bicentenaire fut le premier grand échec idéologique de la gauche. De nombreux historiens contestèrent la pertinence de la démarche élyséenne. Autour de Jean Tulard, François Bluche, Yves-Marie Bercé, Jean Meyer, des auteurs s’employèrent à remettre en cause cette lecture bien pensante de la Révolution. Il y eut pis : deux « renégats » (qui avaient milité, étudiants, au P.C.F.), François Furet et Emmanuel Leroy-Ladurie les rejoignirent.
Mon « Carrier » était un petit boulet mais il visait juste, je crois, sur cette terreur nantaise de l’hiver 1793-94 au cours duquel périrent de 6 000 à 10 000 Vendéens et Nantais, guillotinés, fusillés, noyés sans distinction d’âge et de sexe.
Breizh-info : La même année, 1987, vous sortez le fameux pamphlet de Gracchus Babeuf « La Guerre de Vendée et le système de dépopulation ». Comment l’avez-vous trouvé ?
Jean-Joël Brégeon : Il vivotait dans sa poussière à la Bibliothèque municipale de Nantes. Personne ne s’y était intéressé. Babeuf, père primitif du communisme, adulé et étudié de près en U.R.S.S. et en France par les historiens staliniens (Soboul), avait commis là un texte destiné à envoyer à la guillotine Jean-Baptiste Carrier. Il lui avait été commandé par Joseph Fouché. Babeuf affirmait que Robespierre était l’instigateur d’une entreprise « populicide » visant à exterminer tous les ennemis de la république jacobine, les Vendéens en premier. Grâce à Reynald Secher et à Emmanuel de Waresquiel, je pus obtenir une édition critique du pamphlet.
Breizh-info : Tous ces épisodes remontent à près d’un demi-siècle. Depuis, vous avez mené d’autres travaux sur la Révolution. Le regard a-t-il évolué, s’est-il éloigné de ces combats idéologiques ?
Jean-Joël Brégeon : Oui. Il n’y a plus d’historiens de premier plan se référant à feu le marxisme-léninisme. Il s’agit plutôt de néo-jacobins (Michel Biard, Jean-Clément Martin). Les travaux d’Alain Gérard, en particulier ses « Archives de l’extermination » (C.V.R.H, 2013) ont fait la démonstration qu’il y a bien eu tentative de « génocide » à l’égard des Vendéens. J’espère que cette troisième édition du « Carrier » sera lue comme une confirmation, à Nantes, de cette nouvelle grille de lecture.
Carrier et la Terreur nantaise, J.J. Brégeon, Tempus/Perrin, 368 pages, 11 euros.
* Jean-Joël Brégeon a fait paraître en 2011 « Ecrire la Révolution française » (Ellipses).