28/05/2016 – 05H30 France (Breizh-info.com) – Sébastien Albertelli vient de publier, aux éditions Perrin, un ouvrage passionnant intitulé « Histoire du sabotage, de la CGT à la Résistance ». Le livre nous plonge à la fin du 19ème siècle et dans le 20ème siècle, au milieu des luttes sociales, politiques, syndicales, mais aussi des guerres mondiales qui ravagèrent l’Europe. Alors que la France s’enlise jour après jour dans la grève, en partie pilotée par la CGT justement, cet ouvrage arrive à point nommé pour expliquer les origines et les méthodes utilisées (ici le sabotage donc) pour affronter le système en place.
Sébastien Albertelli est enseignant et historien. Spécialiste de la Résistance, notamment de la France Libre, et des services secrets. C’est sous la direction de Jean Pierre Azéma qu’il a consacré sa thèse aux services secrets du général de Gaulle à Londres chargés d’assurer ses contacts avec la Résistance en France. Plusieurs de ses ouvrages ont tarité de ces questions…
Il a consacré plusieurs ouvrages à ces questions, dont l’un, très illustré et destiné à un large public : Les services secrets de la France Libre (nouveau monde édition, 2012).
Nous l’avons interrogé sur son ouvrage.
Breizh-info.com : D‘où vous est venu l’envie de travailler puis de rédiger votre histoire du sabotage ? Pourquoi avoir axé uniquement sur la France ?
Sébastien Albertelli : Le sabotage fait partie de mes sujets d’étude comme spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance. Le projet initial était de centrer l’étude sur cette période. Comme tous les historiens, j’aime évidemment savoir ce qui s’est passé avant et d’où viennent les phénomènes que j’étudie. J’ai alors réalisé qu’il n’y avait aucune étude consacrée au sabotage et que les connaissances que nous avions sur le sujet étaient très peu fiable. Cet ouvrage vise donc à combler cette lacune.
Le choix de la France s’est imposé car c’est en France que le sabotage a été conceptualisé. Le mot français s’est d’ailleurs imposé dans pratiquement toutes les langues. Ceci dit, le livre montre que le phénomène est beaucoup plus large et que de très nombreux échanges ont lieu sur le sujets, notamment entre les Français, les Anglais, voire les Allemands.
Breizh-info.com : Pourquoi avoir voulu distinguer le sabotage du terrorisme ou de la destruction ? N’y a il tout de même pas interpénétration entre ces trois notions ?
Sébastien Albertelli : Le terme sabotage est devenu un terme très vague, qui sert à désigner un peu tout et n’importe quoi. Il était donc nécessaire de mieux cerner le phénomène. Le sabotage est une forme bien particulière de destruction du fait qu’il est clandestin et qu’il est donc organisé par des groupes soit eux-mêmes clandestins, soit chargés, à l’image des services secrets, de préparer et d’exécuter des opérations clandestines. Les armées pratiquent de très nombreuses destructions qui n’ont rien de clandestin. De même, ceux que l’on a pris l’habitude d’appeler les « casseurs » détruisent le plus souvent pour détruire, sans que cette action vise à paralyser un mécanisme ou un réseau, et sans qu’elle s’inscrive dans une stratégie.
Le saboteur se distingue également du terroriste en ce qu’il vise essentiellement les biens matériels et qu’il ne recherche pas nécessairement la publicité.
Mais il y a bien sûr de nombreux actes que l’on ne peut pas facilement classer et qui peuvent relever des deux logiques en même temps.
Breizh-info.com : De la CGT à la résistance sous titre votre ouvrage. Y-a-t-il réellement une étiquette politique à apposer sur le sabotage ? Le sabotage est-il de gauche ?
Sébastien Albertelli : Le sous-titre de l’ouvrage vise surtout à proposer une chronologie du phénomène : de la fin du XIXe siècle (la CGT a été créée en 1895) à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le sabotage a moins été conçu comme une arme politique que comme une arme syndicale et une arme militaire. Certains militants syndicaux ont cru que le sabotage était l’arme idéale pour lutter contre le patronat. Ils ont rapidement été marginaux face à ceux qui, à gauche, plaidaient pour que les ouvriers privilégient l’organisation de masse. Pour les socialistes et les communistes – contrairement à ce qui a pu être dit – le sabotage relève d’une pratique anarchiste, qui nuit davantage à la classe ouvrière qu’elle ne la sert.
Breizh-info.com : Vous évoquez Tarnac dans votre introduction. Le conflit social important que connait actuellement la France peut-t-il permettre une nouvelle émergence de « saboteurs » ? Existent-t-ils déjà ?
Sébastien Albertelli : On peut trouver des similitudes entre ce qui se passe aujourd’hui et ce qui s’est passé voici une centaine d’années. Il existe incontestablement des petits groupes, qui se veulent extrêmement actifs, pour qui le sabotage constitue un moyen de provoquer des ruptures dans les réseaux : réseaux de chemins de fer, réseaux électriques, etc.
Pour autant qu’on puisse le savoir, le groupe interpelé pour avoir tenté de saboter le métro de Rennes s’inscrit dans cette veine. Ces groupes ont toujours existé, mais ont aussi toujours été très minoritaires. Ils ont toujours été dénoncés par la masse de ceux qui participent aux mouvements sociaux comme des alliés objectifs des gouvernants puisqu’ils tendent, par leur violence, à décrédibiliser le mouvement dans son ensemble. Ajoutons qu’ils ont toujours été étroitement surveillés et même infiltrés et que ce n’est sans doute pas un hasard s’ils sont le plus souvent interpelés avant d’avoir pu agir.
Breizh-info.com : Quels sont les derniers ouvrages que vous avez lus ? Sur la question de la contestation sociale, avez-vous des conseils de lecture à apporter à nos lecteurs ?
Sébastien Albertelli : Mes recherches actuelles, consacrées à des femmes engagées dans la Résistance, me conduisent à approfondir certains parcours passionnants. J’ai ainsi lu le livre d’Allison Taillot, Les intellectuelles européennes et la guerre d’Espagne, consacré au parcours de 16 femmes engagées dans la guerre civile espagnole. Je suis en train de lire le livre que Simone Pétrement a consacré à Simone Weil (La vie de Simone Weil), une merveilleuse philosophe engagée, notamment pour soutenir la classe ouvrière. Et, puisque vous évoquiez Tarnac, je ne saurais trop conseiller le livre du journaliste David Dufresne, Tarnac, magasin général, qui est le résultat d’une enquête passionnante sur cette affaire qui a défrayé la chronique.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Résistants dynamitant des ponts, agents britanniques détruisant des usines… le sabotage s’est imposé comme l’une des armes du combat contemporain, à laquelle la Résistance a conféré ses lettres de noblesse pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais le phénomène n’est pas né avec l’armée des ombres. Les contours de cette arme nouvelle se dessinent à la fin du XIXe siècle, à la croisée de deux mondes que tout oppose : les syndicalistes de la jeune CGT, qui imposent l’idée et le mot ; les militaires, qui développent le concept, mais rechignent à adopter le terme, précisément parce qu’il vient des Rouges.
Les adeptes du sabotage en sont convaincus : les sociétés industrielles sont fragiles ; machines et réseaux – de transmissions ou de communication -, à la base de leur puissance, peuvent être paralysés par des destructions ponctuelles aux effets considérables. Alors que s’estompe la différence entre le temps de paix et le temps de guerre, les espoirs et les craintes que suscite le sabotage se diffusent, qu’ils empruntent les traits de l’anarchiste, du communiste ou de l’Allemand. Au-delà des espoirs et des peurs, la pratique du sabotage se développe elle aussi. Encore modeste au cours de la Grande Guerre, elle s’affirme lors de la Seconde Guerre mondiale. Tous les acteurs l’incluent dans leur stratégie, des Allemands aux Soviétiques, des Britanniques aux Américains, des résistants aux services secrets. Pour la première fois, cet ouvrage lève le voile sur un enjeu majeur des temps contemporains.
Sébastien Albertelli – histoire du sabotage de la CGT à la Résistance – Perrin – 25 euros
Crédit photo : DR
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