Entre Renoir et Taine, il faut choisir…
Des haut-le-coeur effarouchés ou indignés ont accompagné la sortie du dernier film de Jean-Marie Poiré, Les Visiteurs : la Révolution. Ne le cherchez plus, il est à peu près invisible désormais. En attendant son passage à la télé. Ce fut un échec… et c’est bien dommage car il renouvelle la lecture que nous pouvons avoir de la Terreur. Je ne vous raconterai pas le scénario étant donné que la série se construit toujours de la même manière : des Visiteurs, venus d’un autre temps, se trouvent impliqués dans des complications qui les mettent momentanément dans l’embarras. C’est un remake à rallonges, sans vouloir offenser personne, du rôle d’Honorin (Fernandel) dans François Ier, film de Christian-Jaque (1937). D’où un effet comique plus ou moins « léger », mais fort animé. Christian Clavier est, selon son habitude, l’a-t-on assez répété, Jacquouille la Fripouille, et, cette fois, se trouve être (ou son descendant) compagnon de Charlotte Robespierre (rôle tenu par l’excellente Sylvie Testud) : en fait, c’est un Enragé. Pour un professionnel de la profession, ce film mérite de s’inscrire entre la Marseillaise de Jean Renoir et les Origines de la France contemporaine d’Hippolyte Taine. Les deux en même temps, pas moins. Mais la difficulté de choisir est grande…
Tout d’abord, la Marseillaise de Jean Renoir. Ce film raconte la montée sur Paris, du 3 au 29 juillet 1792, d’un bataillon de cinq cents volontaires marseillais venant soutenir la Révolution en réponse au mot d’ordre de « la Patrie en danger ». On peut ne pas aimer ce film, un tantinet stalinien. En effet, la Marseillaise, la chanson, bonifie le peuple, considéré comme le représentant du Bien, et inquiète le couple royal et l’aristocratie, représentants du Mal. Mais elle n’est audible qu’à la cinquantième minute du film. Il faut laisser « le temps au temps », même en cinématographie. Renoir insiste sur trois gaillards marseillais, Ardisson, Moissan et Bomier, qui mettent en train la foule des figurants : femmes et enfants compris. La violence révolutionnaire n’intervient qu’à la fin du film lorsque les « émeutiers du 10 août » prennent d’assaut les Tuileries et massacrent très salement Suisses et Gardes françaises. Louis Jouvet, dans le rôle de Roederer, procureur syndic, exfiltre le roi (Pierre Renoir), la reine (Lise Delamare) et toute la famille. Le film ne va pas plus loin. On entend déjà la « louison » siffler (en créature du docteur Louis plutôt que du docteur Guillotin). Il est aujourd’hui difficile de s’identifier à ces « héros » complètement englués dans une idéologie reconstituée. La bonne excuse : on préparait le tournage à l’époque du Front populaire et les intellectuels, « de gôche », lui étaient majoritairement favorables.
J’en étais là de mes supputations lorsque le hasard de cet après-midi d’ennui me fit gagner mon fauteuil devant la télé. Calamité : je fus « scotché » par un épisode de Barnaby. Ce policier britannique enquêtait lors du tournage d’un film « en costumes ». J’étais tombé sur une scène décrivant l’exécution d’un aristo français par la « louison »… On voyait la tête tomber et le sang gicler. Très réaliste, manière anglaise. Mais ce qui me frappa, c’est que la production demandait aux figurants encore plus de réalisme : il fallait d’urgence des « gueux » et des « péquenots » qu’on s’empressa de motiver comme le firent, jadis, en vrai, chez nous, les tyranosaures de la République. Cela me rappela une vieille lecture, celle du grand Hippolyte Taine et de ses Origines de la France contemporaine.
D’où l’autre choix qui s’offrait à moi. Les Origines compte douze volumes groupés en trois ensembles : L’Ancien régime, la Révolution et le Régime moderne. C’est le deuxième titre qui nous intéresse ici. L’analyse qu’il donne de la Révolution et des pouvoirs jacobins qui naissent, progressent et trépassent, est parfaitement résumée ainsi : « Il s’agit de soumettre les méchants aux bons, ou, ce qui est plus court, de supprimer les méchants ; à cet effet, employons largement la confiscation, l’emprisonnement, la déportation, la noyade et la guillotine ; […] le Jacobin a canonisé ces meurtres et maintenant c’est par philanthropie qu’il tue ».
Les Visiteurs sont, dans ce cas, une parfaite illustration parodique et fantasmée de tels principes. Le film n’a pas été accepté par les descendants des sans-culottes qui, à l’extrême gauche mais aussi dans la presse et les institutions, considèrent, comme Sartre, que « les révolutionnaires de 1793 n’ont probablement pas assez tué. » En 1875, Taine avait bien raison de prophétiser : « Nous en souffrirons encore pendant un siècle, et peut-être davantage ».
Morasse
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3 réponses à “A propos du film Les Visiteurs : la Révolution”
Un film dans la même patte que le premier « les visiteurs » qui est aujourd’hui complètement aux antipodes du politiquement correct.
Pour parler de films sur la révolution il y a le très beau « L’anglaise et le duc » d’Eric Rohmer
J’avais vu, à la télé, le tout premier des Visiteurs, et je n’avais pas aimé, me demandant pourquoi il avait eu autant de succès, alors je ne risquais pas d’aller au cinéma pour voir cette dernière version. Mais peut-être était-il meilleur que les autres…