21/05/2016 – 08H00 New York (Breizh-info.com) – Tout au long des élections américaines de 2016, retrouvez chaque vendredi l’analyse de Pierre Toullec, spécialiste de la politique américaine, en exclusivité pour Breizh Info ! L’occasion de mieux comprendre les enjeux et les contours d’élections américaines finalement assez mal expliquées par la majorité de la presse subventionnée – sponsor démocrate de longue date. L’occasion également d’apprendre ce qui pourrait changer pour nous, Européens, suite à l’élection d’un nouveau président de l’autre côté de l’Atlantique.
L’erreur stratégique de Hillary Clinton
La division au sein du Parti républicain reste profonde et dangereuse pour son avenir et pour les élections de novembre 2016. Cependant, une opportunité de conserver la mainmise sur le pouvoir au Congrès pourrait se présenter. A droite, les deux derniers adversaires de Donald Trump, le sénateur Ted Cruz et le gouverneur John Kasich, ont abandonné la course suite à la victoire du milliardaire dans l’Indiana. Le processus de nomination chaotique qui a duré des mois est terminé et le Parti républicain sera donc représenté par Donald Trump aux élections présidentielles.
Dans le même temps, la primaire démocrate qui, au contraire, s’était déroulée de manière relativement paisible, avec une bonne entente entre Hillary Clinton et Bernie Sanders, prend un tournant violent, à la fois dans le langage mais aussi physiquement !
Cette évolution est liée au fait que Clinton ne parvient pas à vaincre Sanders. Au cours des mois de février et mars, l’ex-première dame a accumulé les victoires principalement dans le Sud, avec des marges impressionnantes, comme en Caroline du Sud (78 % des voix), en Louisiane (71 % des voix) ou encore au Mississippi (82,6 % des voix). Etant donné la répartition à la proportionnelle des délégués au sein des primaires démocrates, pour les observateurs politiques, ces victoires auraient dû lui permettre de prendre une forte avance sur son adversaire. C’était bien le cas : les délégués engrangés durant les votes du Sud ont apporté à Hillary Clinton une telle avance qu’elle se considéra très tôt comme la gagnante et que désormais les Démocrates devaient se réunir derrière sa candidature.
Ses victoires dans cette partie des Etats-Unis ont été liées à des facteurs spécifiques au Sud. Hillary Clinton est populaire auprès des minorités, notamment noires, qui sont présentes en grand nombre dans ces Etats et y représentent la majorité des électeurs démocrates. De plus, son époux était gouverneur de l’Arkansas, un Etat au cœur du Sud et fut un président particulièrement apprécié de la communauté afro-américaine pour ses politiques de discrimination positive. Enfin, dès le début de la campagne, Hillary Clinton s’est orientée comme héritière naturelle des années Obama, un pari gagnant pour s’assurer le soutien des minorités.
Ainsi à la mi-mars, la candidate était donnée déjà gagnante. Son adversaire ne s’est pas résigné. Au contraire, Bernie Sanders a utilisé l’argument des victoires de Clinton dans le Sud pour affirmer qu’elle n’est qu’une candidate « régionale » incapable de gagner dans le reste du pays. Il n’avait d’ailleurs pas essayé de la combattre dans ces Etats, préférant se concentrer dans des territoires plus favorables. Il semble que les faits lui aient donné raison : depuis le 15 mars, le sénateur Sanders accumule les victoires et rattrape progressivement son retard.
L’enthousiasme de Clinton a joué contre elle. Sûre de sa victoire, elle a commencé dès la mi-mars à se détourner de la primaire démocrate pour se préparer à l’élection nationale de novembre contre le futur candidat républicain. L’argent et l’organisation ont commencé à manquer pour les primaires qui ont suivi du fait de cette réorientation stratégique. Comme en 2008, Hillary Clinton a fait l’erreur de penser avoir gagné alors que le match n’était pas terminé.
La conséquence de cette erreur est particulièrement grave dans cette élection. En effet, il est désormais certain qu’aucun des deux candidats n’aura suffisamment de délégués pour remporter la primaire de la convention nationale de juillet. Hillary Clinton conserve un avantage car elle a le soutien de la majorité des super-délégués, mais ces derniers peuvent changer d’avis à tout moment, en particulier s’ils voient que le vent tourne définitivement en faveur de Bernie Sanders.
Le sénateur a été clairement sous-estimé par les dirigeants du parti. Les super-délégués sont désignés parce qu’ils représentent le Parti démocrate à un poste d’élu à l’échelle nationale ou locale. Or, la vague « Bernie Sanders » ne s’est pas faite uniquement sur les délégués à remporter. Ces victoires lui ont permis de placer ses fidèles à des postes stratégiques voire à la direction des partis locaux dans plusieurs Etats. Cette situation change la donne car elle menace directement les super-délégués : ceux qui soutiennent Clinton alors que leur Etat a voté pour Bernie Sanders pourraient se voir éjectés du parti lors des primaires pour le Congrès et les postes d’élus représentant le parti démocrate. Si Bernie Sanders continue d’accumuler les victoires, de plus en plus de super-délégués pourraient se voir forcés de modifier leur soutien pour garantir leur poste.
Le danger de l’enthousiasme féminin
L’une des plus grandes forces derrière la candidature de Hillary Clinton, au-delà du soutien des minorités, vient du soutien féminin. De très nombreuses femmes soutiennent et votent pour Hillary car elles veulent garantir l’élection de la première femme présidente des Etats-Unis, ou au moins la première nomination d’une femme à la tête d’un des deux grands partis américains. Il est clair que cet enthousiasme lui a permis de gagner plusieurs votes. Aujourd’hui, la campagne de Clinton se retrouve face à une difficulté particulièrement délicate à gérer : des milliers de femmes veulent être élues déléguées pour se rendre à la convention de juillet et voter pour elle lors de cet événement. La conséquence première est que la campagne de Clinton se retrouve débordée par le travail de sélection des délégués car il y a beaucoup trop de candidats, et particulièrement de candidates.
Sur le principe, un tel enthousiasme est généralement bénéfique lors d’une élection. Le problème central est qu’il est lié ici au genre de la candidate et non à ses idées ou à ses propositions. Actuellement, la campagne de Clinton a beaucoup de mal à sélectionner ses futurs délégués à cause de cet afflux massif de candidates. Autrement dit, sa campagne n’est pas en mesure de faire une sélection solide sur les délégués qui la soutiennent. Ceci signifie que de nombreuses femmes (notamment) seront présentes à la convention pour voter pour elle, mais ces délégués peuvent partager les idées de Bernie Sanders. Même si Hillary Clinton parvient à être nominée par la convention, nombre de ses propres supporters pourraient alors voter contre ses idées et faire valider un programme politique en désaccord avec le programme de Hillary Clinton, et pire, pourrait donner les clefs du parti démocrate aux proches de Bernie Sanders, mettant en péril une potentielle présidence Clinton qui pourrait se retrouver avec le parti qui l’a élue hostile à sa gouvernance !
La division démocrate : l’opportunité gagnante pour Donald Trump ?
Enfin, Hillary Clinton peut tout à fait remporter la nomination et garantir ainsi la victoire de Donald Trump. Au début de la campagne, la candidate a souffert dans plusieurs Etats de la présence du milliardaire car plusieurs dizaines de milliers de ses soutiens sont allés voter dans la primaire républicaine en faveur de Trump. Malgré cela, les sondages donnaient Clinton largement vainqueur contre le candidat républicain.
Depuis, alors que le ton a commencé à monter entre les deux adversaires démocrates, de plus en plus d’électeurs de Bernie Sanders s’engagent dans un mouvement « Never Hillary » semblable à celui que des républicains continuent de monter contre Donald Trump.
La tension est si forte entre les deux camps que de plus en plus de soutiens de Bernie Sanders affirment aujourd’hui être prêts à voter pour Donald Trump si Hillary représente le parti démocrate. Ceci était impensable il y a encore quelques mois, mais il y a de nombreuses similarités entre les candidatures des deux hommes. Certes leurs programmes diffèrent, mais ils ont tous les deux construit leur discours autour d’un message « anti-Washington », « anti-élites » et « anti-Wall Street ». Cette image d’outsiders qu’ils partagent favorise fortement le candidat républicain.
Cette évolution ne s’observe pas seulement dans les intentions de votes et dans les sondages. Les conventions des différents Etats deviennent de plus en plus chaotiques, avec des violences verbales et physiques ! La convention démocrate du Nevada qui s’est tenue au cours du week-end dernier a vu des militants des deux bords s’insulter, se menacer de mort et envoyer sur les militants adverses des projectiles, principalement des chaises et des bouteilles en verre ! Les soutiens de Bernie Sanders ont accusé la direction du parti démocrate du Nevada de violer les règles des votes de désignation des délégués et de favoriser Hillary Clinton. Ce mercredi, sur CNN, le directeur de campagne de Bernie Sanders lui-même a accusé la direction du Parti démocrate de truquer les conventions d’Etats et certains votes pour garantir la victoire de Clinton.
En réaction, de plus en plus de soutiens de Bernie Sanders rejoignent les rangs des « Démocrates pour Trump ». Ce mouvement s’est vu notamment dans l’évolution rapide dans les sondages. Donald Trump a toujours du mal à regrouper son camp et nombre d’électeurs républicains se tournent vers le parti libéral ou sont en recherche d’un autre candidat à présenter sous l’étiquette « conservateur ». Cependant, sa victoire désormais garantie lui a permis de voir l’opposition de droite à sa candidature diminuer.
Mais le plus fort mouvement observable au cours des dernières semaines est la rapide augmentation du nombre de démocrates pro-Sanders qui se disent prêts à voter pour Trump si Hillary Clinton remporte la nomination ! Le mouvement devient tellement important que la direction de la campagne de Sanders travaille à renverser la tendance. La menace est si forte que Bernie Sanders lui-même est intervenu pour dire à ses électeurs que s’il perd la primaire, il ne faut pas qu’ils aillent voter pour Trump mais bien qu’ils votent pour Hillary Clinton. Pour la première fois depuis très longtemps, deux sondages (Fox News et Rasmussen) ont donné Donald Trump gagnant en cas de duel contre Hillary Clinton, notamment grâce aux soutiens de Bernie Sanders.
Mais la division des démocrates ne va pas que dans un sens. Les supporters de Hillary Clinton aussi commencent à se détourner de Bernie Sanders. Dans deux sondages, en cas de duel Trump – Sanders, le même mouvement apparait. Une forte partie de l’électorat de Hillary Clinton commence à exprimer son refus de voter pour Sanders et préférer voter pour Trump, donnant ces deux candidats au coude à coude.
Depuis le début de la semaine, les événements s’aggravent entre les deux camps. Le parti démocrate du Nevada a officiellement déposé une plainte auprès du parti national le lundi 16 mai demandant la condamnation publique de la campagne de Bernie Sanders, un mouvement qui n’a pas manqué d’attiser la colère des militants du sénateur du Vermont. Le lendemain, la présidente du parti démocrate, Debbie Wasserman Schultz, a exprimé par le biais d’un communiqué de presse son inquiétude face à la montée des tensions internes au parti. Sa direction doit dans les prochains jours organiser une rencontre entre les dirigeants des campagnes de Clinton et Sanders pour tenter d’apaiser la situation.
Il y a seulement quelques semaines, les démocrates étaient impatients de voir la nomination de Donald Trump du côté républicain, pariant sur le fait que sa victoire en juillet aurait garanti la victoire démocrate en novembre. L’erreur stratégique de Hillary Clinton en mars a créé une division d’une violence non vue au sein du parti démocrate depuis la primaire de 1968. Cette erreur pourrait bien donner sur un plateau la présidence des Etats-Unis à Donald Trump, comme ce fut le cas pour Richard Nixon cette année-là.
Retrouvez les articles précédents :
1 – L’Iowa et Ted Cruz (5 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/05/usa-iowa-retour-sur-la-victoire-de-ted-cruz-aux-primaires-republicaines/)
2 – Le New Hampshire et Donald Trump (12 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/12/new-hampshire-retour-victoire-trump-primaire-republicaine/)
3 – Le décès du juge Scalia (19 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/19/elections-usa-les-consequences-du-deces-du-juge-scalia/)
4 – L’ascension de Donald Trump (26 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/26/39697/etats-unis-donald-trump-poursuit-son-ascension)
5 – Qui a réellement gagné le Super-Tuesday du 1er mars ? (4 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/04/40056/elections-americaines-qui-a-gagne-super-tuesday)
6 – La convention républicaine de 2016 : l’arrivée d’une crise politique majeure ? (11 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/11/40308/elections-americaines-convention-republicaine-de-2016-larrivee-dune-crise-politique-majeure)
7 – La primaire républicaine : une course à deux ou à trois ? (18 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/18/40559/etats-unis-la-primaire-republicaine-post-15-mars-2016-une-course-a-deux-ou-a-trois)
8 – Les conséquences des attentats du 22 mars sur les élections américaines (25 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/25/40896/consequences-attentats-22-mars-elections-americaines)
9 – 2016 : la compétition des impopulaires ? (2 avril 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/04/02/41152/elections-americaines-2016-competition-impopulaires)
10 – Le 5 avril 2016 : un tournant dans les primaires ? (8 avril 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/04/08/41594/usa-5-avril-2016-tournant-primaires-republicaines-democrates)
11 – L’Etat de New York : la surprise (22 avril 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/04/22/42453/elections-usa-letat-de-new-york-surprise)
12 – Donald Trump : la victoire au bout des doigts ? (29 avril 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/04/29/42803/elections-americaines-donald-trump-victoire-bout-doigts)
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2 réponses à “Élections aux États-Unis. L’erreur stratégique d’Hillary Clinton”
@languillem La Clinton ne fera QUE DES ERREURS ! via
faux! Clinton possede 420 superdélégués contre 14 pour Sanders