15/05/2016 – 05H45 France(Breizh-info.com) – Ce samedi 14 mai, le nouveau numéro du magazine bimestriel Éléments est sorti, avec un dossier central intitulé « je suis la guerre ».
Editorial : Une société flottante
Dans un récent numéro du Débat, Marcel Gauchet fait une intéressante remarque. « Étrange moment historique que celui où nous vivons, écrit-il : tout le monde sent ou sait peu ou prou qu’il n’est pas possible de continuer par-devant, et cependant rien ne se passe. Nos sociétés sont entraînées par un mécanisme tellement puissant et les esprits enfermés dans un cadre de pensée à ce point contraignant qu’ils anesthésient les consciences et refoulent le doute général. Quelques phases d’éveil viennent bien secouer de temps à autre cette torpeur conformiste. L’abîme entrevu décourage vite les velléités correctrices et le cours ordinaire repart de plus belle ».
Voici en effet des années, des décennies peut-être, qu’on répète que « ça ne peut plus durer », que « ça va craquer », que « nous sommes en 1788 », qu’« on danse sur un volcan ». Et pourtant, tout continue. Les crises sont de plus en plus violentes, le corps social se désagrège toujours plus, l’avenir est toujours plus menaçant, mais le « changement » est toujours renvoyé à plus tard. Tout se passe comme si la majorité des citoyens avait intériorisé le message subliminal que distillent tous les médias, à savoir que l’histoire est finie, l’imagination humaine épuisée et qu’on ne peut plus désormais changer de société. On se traîne, on grogne, on déprime, mais on vit plus que jamais sous l’horizon de la fatalité. Le désespoir n’engendre que la résignation.
La société est devenue flottante. Elle s’est coupée du passé et a cessé de croire en l’avenir, se maintenant ainsi dans un éternel présent où rien ne fait plus sens. Ayant perdu tout ancrage, devenue étrangère à elle-même, elle zappe d’une idée à l’autre, comme on passe d’un produit à l’autre. Elle obéit à la logique de la Mer, faite de flux et de reflux, perdant ainsi le sens de la Terre. Elle donne la priorité à l’économie et au commerce, au détriment de la politique et de la culture. Société liquide, dit Zygmunt Bauman. Liquide est le mot, puisque tout y est liquidé. Le navire flotte lui aussi – jusqu’au moment où il coule.
Homo festivus allume une bougie pour la paix
Dans cette époque molle, souple, flexible, précaire, où l’on préfère les formes rondes aux formes droites, on déteste la verticalité. On aime le vocabulaire maternel : le dialogue, la compréhension, la tolérance, l’accueil, l’ouverture, quitte à se montrer féroce avec ceux qui ne communient pas dans l’idéal du magma. Terrorisme du Bien, compassionnel et lacrymal à tous les étages. Le sentimentalisme a tué le sentiment, tout comme la sensiblerie a tué la sensibilité. On se méfie des héros, on leur préfère les victimes (fait révélateur : on célèbre de moins en moins les actes héroïques des résistants, mais on parle de plus en plus des « victimes du nazisme »). Les attentats, qui viennent çà et là troubler la torpeur ambiante, sont un révélateur remarquable. Ils ne suscitent pas le désir de prendre les armes, ils n’aiguisent pas les volontés, mais ouvrent les vannes d’un Niagara de pleurs. On allume des bougies, on récite des hymnes à l’amour, on fait des minutes de silence, on organise des « marches blanches » et autres pitreries. On ne chante pas le Dies Irae, mais Give Peace a Chance. Homo festivus, quand il est pris pour cible, n’a qu’un souci : montrer comme on est injuste avec lui, alors qu’il est si gentil. Dans le monde des bobos, il y a quelques cerveaux et beaucoup de ventres. On demande des colonnes vertébrales.
On est en guerre, paraît-il. Mais pour l’immense majorité de nos concitoyens, la guerre est un gros mot, une réalité du passé. Personne ne veut la guerre. C’est pourquoi on proclame que les méchants ne nous empêcheront pas de rigoler, d’aller en discothèque et de boire un verre sur les terrasses. Ah, mais ! Qu’on soit en guerre devrait être une occasion de méditer sur la notion d’ennemi, sur celle de conflit ou de violence armée, sur l’affrontement des volontés. On préfère faire comme s’il était possible de ne pas avoir d’ennemi ou comme s’il était possible de faire disparaître la guerre en déclarant la paix. Contre la guerre, hélas, les proclamations de paix sont dérisoires.
On est en guerre, mais contre qui ? Il y a apparemment un ennemi, mais on s’applique à ne jamais donner son nom. Pour brouiller les pistes, on préfère montrer du doigt des abstractions. On fait la guerre au « terrorisme », au « fanatisme », à la « radicalisation », à la « haine ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Le terrorisme n’est pas un ennemi, c’est seulement un moyen auquel l’ennemi a recours. Et qu’entend-on au juste par « radicalisation » ? En 1919, Heidegger écrivait que « c’est dans le radicalisme seulement que tout ce qui est grand prend racine ». Veut-on s’en prendre à ce qui est « grand » ou à ce qui prétend aller aux « racines » ? Quant à la « haine », de quoi parle-t-on ? La haine de qui envers qui ? Et pour quelles raisons ?
À « Nuit debout », on multiple les assemblées populaires sans peuple (le peuple doit se lever tôt le matin). On refait le monde dans la stratosphère, ce qui est sympathique, mais en réclamant simultanément la fin de la logique du profit et l’abolition des frontières – comme si le capitalisme, qui lui ne dort jamais, pouvait s’en laisser remontrer en matière de sans-frontiérisme ! Des mots contre les maux. On aimerait bien, pourtant, pouvoir chanter encore : « T’en fais pas, Nicolas, la Commune n’est pas morte ! » Mais de révolution, il n’est bien sûr plus question depuis que le lumpenprolétariat a été mis à la place du peuple. Le lumpen d’un côté, les people de l’autre : étreinte mortelle. La grève générale de Mai 68 est plus loin que jamais, et ceux qu’on appelle encore des gauchistes (des
« soissante-huitards » dans le langage réactionnaire petit-bourgeois) ne sont plus aujourd’hui que des libéraux qui veulent seulement que le marché s’ouvre encore plus aux exigences du « désir ». Le peuple, le vrai peuple, voudrait conserver sa sociabilité propre, préserver ses manières de vivre, ses valeurs partagées, dont l’effritement lui faire craindre la perte du commun, c’est-à-dire la désintégration de son être.
Pendant ce temps-là, les nuages noirs continuent de grossir à l’horizon.
Voici le sommaire complet…
Éditorial
Une société flottante par Alain de Benoist
Forum
L’entretien
Chantal Delsol : empêcher que le monde se défasse
Cartouches
Le regard de Michel Marmin
La revue des revues : Les jeunes intellectuels à l’assaut du vieux monde par Paul Matillion
Chronique d’une fin du monde sans importance par Xavier Eman
Relire les classiques de la BD par David L’Épée
Chronique cinéma par Ludovic Maubreuil
Champs de bataille : musée royal de Bruxelles par Laurent Schang
Sciences par Bastien O’Danieli
Le combat des idées
L’Amérique
Donald Trump, anatomie d’un phénomène. Le plébiscite de la classe ouvrière blanche
Par James Littel, notre correspondant aux États-Unis
Nichola Spykman, le père de la géopolitique américaine
Entretien avec Olivier Zajec
Droits de l’homme : le livre capital d’Alain de Benoist
Par François Bousquet
Notre plaidoyer pour le populisme
Entretien avec Vincent Coussedière
recueillis par Alain de Benoit et François Bousquet
L’énergumène Beppe Grillo. Un populisme du troisième type
Par Marco Tarchi
Ernesto Laclau : le seul et vrai théoricien du populisme de gauche
Par Alain de Benoist
Marcel Gauchet : bienvenue parmi les maudits !
Par Thibaut Isabelle
Le douanier Rousseau. L’imbécile heureux sans frontières
Par Christophe André Maxime
Saison après saison, l’Europe sauvage
Par Fabien Niezgoda
Cap au Nord, Homère dans la Baltique
Par Jean Haudry
Thierry Marignac is back
Par Pierric Guittaut
Les affres de l’impuissance. Le Long cri de révolte de Léo Malet
Par Michel Marmin
Mon « ami » André Glucksmann
Par Kostas Mavrakis
Raphaël Glucksmann notre « ennemi »
Par Pascal Eysseric
Dany-Robert Dufour. La généalogie sexuelle du paitalisme
Par Thomas Hennetier
Dossier
La « génération déni » face au spectre de la guerre
Par Pascal Eysseric
Entretien avec le général Desportes
Propos recueillis par Pascal Eysseric
Pourquoi l’armée française gagne-t-elle les batailles, mais pas les guerres ?
Par Serge Godal
La gauche et l’armée, pour une révolution des mentalités
Par Laurent Henninger
OTAN : retour sur un anniversaire oublié
Par Pascal Eysseric et thibault Isabel
Le bel avenir de la guerre urbaine
Par Laurent Schang
Nouvelles menaces
Comment la police se militarise et l’armée se « policiarise »
Par Pierre Martin
Panorama
L’œil de Slobodan Despot
Séries télés & politique : Game of Thrones
Par Frédéric Dufoing
Philosophie : la conscience de l’individu
Par Jean-François Gautier
L’esprit des lieux : mise au vert à Dublin
Michel Thibault
C’était dans Éléments : l’esprit militaire
Par Dominique Venner
Éphéméride : juin
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Crédit photo : DR
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Une réponse à “Sortie du magazine Éléments N°160 : Je suis la guerre”
Pourquoi ce gaucher traite-t-il ceux qui dénoncent les soixante-huitards comme des réactionnaires?Il se contredit lui-même et se défend puisqu’il en fut!Nous les gaullistes -les vrais à la Malraux-ne sommes ni réactionnaires ni révolutionnaires en peau de lapin et ne l’avons jamais été mais des réalistes,appuyés sur une poignée de principes immuables comme l’indépendance nationale ou la participation, courageux et transformateurs-et pas réformateurs d’une barraque en ruines!