Henri VIII (1457-1509) est un personnage qui passe bien à l’écran. Deux séries récentes en donnent un portrait aussi savoureux qu’atroce : Les Tudors (2008-2010) et Wolf Hall (2015). Evidemment, les aspects romanesques et sentimentaux (!) sont mis en avant même si le contexte politique et religieux est présent, évoqué avec justesse et beaucoup de soin, surtout dans Wolf Hall.
Les biographies d’Henri VIII sont légion, en majorité anglaises mais aussi françaises. Les dernières, celle de Bernard Cottret (Payot, 2005) et celle d’Aimé Richardt (Le Cerf, 2012).
Mais on peut, on doit aussi retourner à un historien plus ancien, Philippe Erlanger (1903-1987). Les éditions Perrin ont la bonne idée de rééditer quelques-uns de ses meilleurs essais, Marie Stuart (2006), Gabriel d’Estrées (2000) ou encore Monsieur, frère de Louis XIV (1999). D’une famille juive (Les Camondo du côté de sa mère), agnostique, homosexuel déclaré, Erlanger avait intégré la haute fonction publique. Aux affaires culturelles, il fit l’annonce en 1938, à la Mostra, de l’ouverture d’un festival du cinéma à Cannes. Et ce, alors qu’on remettait les Lions d’or à Leni Riefenstahl et à Vittorio Mussolini…
Passionné d’histoire, érudit et vulgarisateur à la fois, Erlanger écrivait bien et on peut ranger ses meilleures biographies au niveau de celle d’un Stefan Zweig. Son « Henri VIII » le montre maîtrisant parfaitement le Tudor. L’ogre aux six femmes était aussi un lettré, parlant et écrivant en français et en latin. Il protégeait les arts et fut un grand bâtisseur. Ses intrusions dans les conflits du continent asséchèrent sa trésorerie. Il eut vite l’idée de prendre l’argent là où il se trouvait.
Très influencé sur le plan religieux par Anne Boleyn (sa deuxième femme, décapitée en 1536) et par le réformateur William Tyndale (strangulé pour hérésie, à Vilvorde, en Flandre espagnole), Henri VIII décida de rompre avec la papauté. Sur le plan doctrinal et liturgique, il ne s’éloigna guère du catholicisme ; il se mit à distance des réformes conduites par Luther et Calvin. Mais il n’oublia pas de se proclamer « unique chef suprême de l’Eglise d’Angleterre », d’exiger un serment de fidélité (d’où le procès et l’exécution de Thomas More), de reprendre la traduction anglaise de la Bible par Tyndale et d’imposer un « livre de la prière commune ». Et comme les congrégations refusaient tout en bloc, il se saisit de 800 monastères, garda une bonne part des terres, en revendit à des bourgeois et de riches paysans, créant ainsi une petite noblesse, la « gentry ».
Ce fut son « Brexit » à lui, un temps remis en cause par Marie, la fille de sa première épouse Catherine d’Aragon, rétabli et renforcé par sa seconde fille, Elisabeth. Aujourd’hui, l’Eglise anglicane est toujours dominante. Mais toutes les religions sont acceptées sur le sol britannique, à part entière, avec les risques que l’on sait de particularisme et de communautarisme.
Mais sur le fond, le « Brexit » d’Henri VIII eut des suites positives. Il ouvre sur le monde, tournant l’Angleterre vers l’Amérique, l’Inde, l’Afrique et l’Océanie. Les Anglais se mêlèrent moins des guerres du continent, n’intervenant qu’en appoint, en fonction de leurs intérêts. Ils ne s’engagèrent qu’en cas de menace mortelle pour leur suprématie, contre l’Empire napoléonien, les II et IIIème Reich. Tout cela à méditer en lisant ou en relisant le Henri VIII d’Erlanger.
Jean HEURTIN
Philippe Erlanger, Henri VIII, Perrin, 2016
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