28/04/2016 – 05H00 Bretagne (breizh-info.com via Centre d’Histoire de Bretagne) – La Bretagne divisée en deux blocs : Est et Ouest ? C’est en effet la question que l’on peut se poser lorsque l’on traverse l’intégralité de la Bretagne, du Conquet à Fougères ou de la Pointe du Raz à Clisson : l’Est ou Haute Bretagne, industrieuse, dynamique, joyeuse ou presque, plus jeune, dominée par Rennes et Nantes, vraies métropoles, considérées parmi les plus agréables de l’Hexagone, et l’Ouest ou Basse Bretagne plus agricole, plus déprimée, plus âgée, dont les cités souvent petites et moyennes ont du mal à se constituer de réelles zones d’influence. Regardons de nouveau vers l’histoire de la Bretagne pour savoir si nous sommes en présence d’un phénomène ancien ou récent ?
Dans mes recherches sur le Moyen Age breton, j’ai rencontré pour la première fois les termes de Basse Bretagne et de Haute Bretagne dans un document de Du Guesclin des années 1370 lorsqu’il gouvernait le duché en l’absence de Jean IV parti en exil en Angleterre. Auparavant, force est de constater que la Bretagne était divisée entre le Nord et le Sud, suivant ainsi la disposition de son relief. Politiquement depuis le XIe siècle, le Nord était gouverné par les princes bretons, les Eudonides, descendants d’Eudes de Rennes, fils du duc de Bretagne, Geoffroy Ier (mort en 1008) qui n’acceptaient la succession sur le trône breton qu’en ligne masculine et le Sud qui était contrôlé par les ducs de Bretagne, descendants de ce même Geoffroy, mais en ligne féminine.
Les Eudonides et leurs parents ont développé les villes de Fougères, Dinan, Guingamp, tandis que les riches évêques bretons de Dol, Saint-Malo, Rennes, Tréguier, Saint-Pol-de-Léon et Saint-Brieuc faisaient de leurs cités des pôles économiques, politiques et spirituels. Quant aux ducs, au Sud, ils avaient bien du mal à faire face à la puissance des évêques de Nantes, Quimper, Vannes dans leurs cités, à tel point qu’ils préfèrent s’en écarter et s’installer dans leur château de Suscinio, dans le domaine de Sarzeau, véritable résidence ducale du début du XIIIe à la fin du XVe siècle. Ces ducs (de la maison de Dreux) firent aussi de Ploërmel, le centre – le mot capitale étant anachronique – de la Bretagne. De Ploërmel, ils pouvaient ainsi surveiller le Nord de la Bretagne et leurs rivaux, les Eudonides. C’est à Ploërmel que certains d’entre eux se firent inhumer. C’est là qu’ils construisirent une importante forteresse. C’est aussi là qu’ils convoquaient leurs vassaux qui devaient approuver leurs décisions (comme en 1240 l’expulsion des Juifs).
Ce n’est pas pour rien qu’il y a eu non loin de Ploërmel le Combat des Trente (1351), combat homérique et illustre dans toute la Chrétienté, dont le véritable objectif était de contrôler l’un des principaux passages entre le Nord et le Sud. Il y en avait d’autres dont aujourd’hui on a le plus grand mal à percevoir l’énorme importance. Leurs emplacements sont fournis par les grands évènements militaires de la guerre de Succession de Bretagne (1341-1381) : bataille de Restilliou, entre Carhaix et Guingamp, non loin d’une zone de rupture de charge pour les marchands allant du Nord vers le Sud ; bataille de Mauron (1352), prise du Grand-Fougeray par Du Guesclin.
Ce n’est qu’après 1420 lorsque le duc Jean V de la maison de Montfort chassèrent du Nord ses cousins, les Penthièvre, héritiers des Eudonides, que les deux parties de la Bretagne furent unifiées. Et à partir de ce moment on vit fleurir dans les documents administratifs ducaux les termes de Basse et Haute Bretagne : il y avait un trésorier en Haute Bretagne et un autre en Basse Bretagne.
Peut-on dire que les ducs favorisèrent plus Haute que Basse Bretagne ? En fait, non ! Ils étaient des souverains itinérants allant d’un de leurs très nombreux châteaux et manoirs (plus d’une centaine) à un autre. Ils n’oubliaient pas de visiter régulièrement toutes les régions de leur duché. Il est très surprenant de constater en suivant l’itinéraire de Jean V qu’il dormait jamais trois nuits de rang au même endroit. Il ne faut pas oublier que les autres souverains d’Europe faisaient la même chose. Et les agents gouvernementaux suivaient.
Au point de vue économique, une division est-ouest ou même nord-sud est très difficile à appréhender. Partout, les autorités ducales (à Carhaix, Ploërmel), les seigneurs (à Pontivy, Vitré, Châteaubriant, Clisson, Dinan etc), les évêques, les abbés et les prieurs, les marchands se sont préoccupés du dynamisme des bourgs et des cités qu’ils administraient. Le résultat est le maillage urbain actuel constitué de très nombreuses petites et moyennes villes, cités étroitement liées aux campagnes environnantes. Jusqu’à récemment, soit dans les années 1950-60, les foires se comptaient par centaines, dans les bourgs comme dans les villes, foires souvent favorisées par les princes de Bretagne ou des seigneurs laïcs et ecclésiastiques. Il n’y avait pas une région qui dominait l’autre. Les côtes n’étaient pas séparées comme aujourd’hui de l’intérieur. Par exemple, j’ai été très étonné par l’aspect de certaines seigneuries bretonnes, comme celle du Stang-Brunault, près de Locarn, étirée de l’intérieur vers les côtes sud et nord de la Bretagne. Seule dominait la ruralité, c’est-à-dire cette alliance entre l’agriculture et l’artisanat, artisanat qui correspondait davantage dans certaines régions (Loudéac, Haut-Léon, etc) à de l’industrie. Et cette situation perdura pendant des siècles, acceptée par les rois de France, héritiers des ducs de Bretagne, situation que surent apprécier Richelieu et Fouquet au XVIIe siècle.
Peut-on dire que les choses changèrent à partir de ce cher Louis XIV ? Il est clair que son ministre de l’économie, Colbert, était un homme de l’Est (les Colbert sont originaires de Champagne), que les représentants principaux en Bretagne de l’Etat, les puissants intendants, demeuraient à Rennes en Haute Bretagne, et que Nantes et Rennes devinrent les grands pôles politiques de la Bretagne. La situation empira bien sûr après la Révolution. Avant cette période, l’ouverture de la Bretagne au grand commerce mondial permit de développer les ports bretons et bien sûr les arrières pays qui fournissaient marchandises et ravitaillements pour les navires qui partaient vers les Indes, l’Amérique ou l’Afrique. Après la Révolution et le blocus continental, les ports furent ruinés entraînant dans leur chute les arrières pays. La Bretagne connut sans doute un de ses âges les plus noirs. Le schéma ferroviaire, si important pour l’essor économique des XIXe et XXe siècles, ne la favorisa guère : il fallait relier Nantes et Rennes, soit les deux grandes villes de Haute Bretagne, à la capitale, Paris, mais aussi permettre de ravitailler en hommes et en marchandises le plus rapidement possible les garnisons et les ports militaires de Bretagne, c’est-à-dire que l’intérieur de la Bretagne fut oublié, que les axes Nord-Sud disparurent, que les villes de Nantes et de Rennes connurent des développements bien plus importants que les villes de Basse Bretagne, que Quimper, Morlaix, Carhaix, Saint-Pol-de-Léon, Quimperlé, etc, restèrent de petites villes. Brest et Lorient connurent un réel essor grâce bien sûr à la marine de guerre et à la colonisation.
Après la Libération, le CELIB mena tout un travail pour rééquilibrer la Bretagne : chemin de fer, quatre voies, haute technologie à Lannion, projet pour le port de Roscoff. Mais aujourd’hui force est de constater que cela n’a pas été suffisant, le déséquilibre entre Basse et Haute Bretagne demeure.
Frédéric Morvan
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