Après 41 ans passés au Congo, le père Roger Nicol a rejoint le diocèse de Nantes. Ce prêtre breton – il parle couramment la langue de ses pères – était du voyage avec les collaborateurs de Breizh-info qui se sont rendus récemment en Syrie avec l’association France-Syria (contact : [email protected]) . Il nous livre ici son témoignage.
Prêtre de la Société des missions africaines, ayant travaillé en République démocratique du Congo pendant une bonne quarantaine d’années, je me trouve aujourd’hui à Nantes dans le Service Diocésain de la Coopération Missionnaire, accompagnant une Communauté Chrétienne Africaine et assure aussi un service dans une paroisse au nord du diocèse. Je continue ainsi une longue tradition Missions Africaines d’une présence missionnaire dans le diocèse de Nantes et d’ouverture vers l’ailleurs. Spontanément nous avons une attention particulière pour les pays d’Afrique en tant que Missions Africaines. Entre autre, nous organisons des voyages en Afrique pour ceux qui souhaitent approcher ce continent. Cette année nous organisons un voyage au Togo du 24 juillet au 8 août 2016.
Mais notre sensibilité nous conduit aussi à nous rendre ailleurs dans le monde. Cette année j’ai accompagné un groupe de 17 personnes (dont un journaliste belge du « Vif l’Express » avec un autre jeune et un hollandais) en Syrie, dans ce Proche Orient si agité
La volonté de tous est de vérifier le quotidien, la réalité du leur vécu des populations syriennes vis à vis de la situation actuelle : attentats, clivages entre les populations. Quels sont leur ressenti et leurs espoirs pour le futur ? Autant de questions auxquelles chacun souhaitait une réponse.
Nous voulions également témoigner à cette population une amitié et lui dire qu’elle n’est pas oubliée et qu’elle ne doit pas tomber dans le jeu des politiques d’intérêts hasardeuses des pays du Golfe, des Israéliens, des Américains et des Occidentaux.
Il s’agit ici de dire ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vécu au contact d’une population si diverse religieusement et ethniquement,… « tous Syriens » comme ils le disent.
En Syrie, au cœur de la résistance aux Forces internationales
Un voyage en Syrie n’est pas une folie, c’est possible et on peut même le souhaiter, sous certaines conditions bien sur. La situation n’est pas celle qui nous est présentée. Nous étions 17 à prendre l’avion « Air Serbia » pour Belgrade puis Beyrouth. La suite du voyage s’est faite en car jusqu’à Damas. Dans nos bagages : médicaments, fauteuils roulants, béquilles… transportés à titre gracieux par la compagnie.
Quelques constats
Le mouvement des printemps arabes n’a guère été accueilli par les Syriens, mis à part quelques poches d’opposition des petits villages de campagne qui ont vainement tenté d’entrainer les villes dans la rébellion : « si vous voulez manifester, allez manifester chez vous dans vos villages… », leur a-t-on répondu. C’est bien le cas de Hama, une ville de 500 000 habitants : une ville considérée comme ville test pour tout mouvement d’opinion. Les villages qui ont refusé de suivre cette rébellion en ont payé le prix fort: pillages, destructions, assassinats de masse avec des méthodes proche de l’horreur.
L’ASL, (Armée Syrienne Libre) née de la défection de quelques officiers de l’armée régulière n’avait pas de grandes ambitions belliqueuses au départ, mais plutôt celle de protéger les manifestants dans leurs revendications. Très vite, comme beaucoup d’autres groupes, après quelques mois, l’ASL s’est militarisée en ayant accès aux armes venant surtout de l’Occident et en versant dans la violence et l’horreur. Malheureusement, ces mouvements ont ouvert des brèches en Syrie aux combattants étrangers qui, eux aussi, très vite, ont versé dans l’horreur. Aujourd’hui, la guerre en Syrie est la guerre des étrangers (islamistes venant d’Asie, de l’Europe Centrale, de l’Europe, du Maghreb, du Soudan…) avec l’association de quelques villages mécontents.
Nous avons circulé dans la zone contrôlée par l’État (40 % du territoire avec ses 60% de la population totale) tout en approchant d’assez près (3 km) des lignes de front : Damas, Seydnaya, Maaloula, Homs, Hama, les villages dans les montagnes au nord en direction d’Alep, Lataquié, Tartous, Damas.
Durant notre voyage nous avons été en contact avec l’armée présente aux points de contrôle de tous les carrefours. Elle a le soutien de la population qui lui voue une totale confiance. Partout les civils prêtent mains fortes aux soldats dans les points de contrôle pour empêcher ou du moins limiter au maximum les infiltrations de djihadistes. Tel ce coiffeur qui entre dans son salon de coiffure avec le treillis militaire. Il est coiffeur la journée et consacre une partie de l’après-midi ou de la nuit à seconder les soldats. « Nous sommes avec notre armée et le pouvoir, Bachar est notre représentant », entendons-nous régulièrement. « Nous aimons notre armée, sans elle que serions-nous… ? ».
Nous avons vu les soldats vivre en harmonie avec la population, toujours corrects et rigoureux dans leur service avec une pointe de dignité. L’armée a toujours manifesté son attachement au pouvoir. Les quelques défections dans ses rangs ne semblent pas avoir beaucoup pesé.
Il était donc prévisible dès le départ que le régime ne tomberait pas facilement comme l’avait déjà dit, dès le début, l’ambassadeur de France à Damas. Il est en fait assez solide. Les problèmes de la Syrie auraient pu être réglés par les Syriens eux-mêmes s’il n’y avait pas eu cette intrusion étrangère. On se prend à penser « mais que ferions- nous, ici, dans notre propre pays si nous avions une vingtaine de milliers de djihadistes armés et financés de l’extérieur ? »
« Notre problème ici, ce sont les pays du Golfe qui financent la rébellion et les djihadistes…( y compris toutes ces agences souterraines de recrutement de nouveaux djihadistes) avec leurs alliances avec les pays européens qui arment les rebelles… », nous disait le curé de la Cathédrale de Homs qui a joué un rôle important d’intermédiaire entre les rebelles et l’armée dans sa ville de Homs et qui a permis d’éviter des tueries supplémentaires.
Quant à « l’opposition que vous appelez modérée, une opposition faite d’hommes qui ont commencé dans la contrebande, qui par la suite sont devenus des chefs rebelles et qui ont semé chez nous la terreur, qui ont égorgé, volé, violé, pillé…. Ils sont aujourd’hui les interlocuteurs de la Syrie à Genève ! … nous les connaissons, nous avons leur nom, nous savons où ils habitent… », nous dira un guide doublement déçu et blessé dans la ville martyre de Maaloula, « Nous sommes amis du peuple français, mais nous ne comprenons pas ses dirigeants… ».
L’Église en Syrie est une Église reconnue, respectée. Les chrétiens vivent en harmonie avec la population : le père de famille musulmane, chez qui nous avons été hébergés, m’a dit quand il a appris que j’étais prêtre: « laisse ton groupe avec son programme, demain tu viens avec moi nous allons voir les chrétiens …». En cas de danger pour les chrétiens, ils ont moyen de les avertir. En cas de situations difficiles, on se tourne facilement vers les chrétiens pour trouver des solutions, y compris les rebelles eux- mêmes.
A la tombée de la nuit, nous nous trouvons sur une colline qui surplombe l’immense plaine agricole de Hama. A l’horizon 3 villages, un allaouite, l’autre sunnite, le troisième chrétien. Un peu plus loin un village rebelle tenu par les hommes d’Al Nostra : les hommes sont restés seuls, ils ont envoyé leurs femmes et leurs enfants plus loin, dans un village de chrétiens pour les mettre en sécurité. Là, elles reçoivent l’aide de l’État. « Partout on a besoin de nous mais partout on nous chasse » nous disait le curé de la cathédrale de Homs. Une Église discrète mais efficace, une Église d’une foi paisible et de confiance, une Eglise de prière et de courage. Plusieurs églises et monastères ont été détruits ou détériorés, mais partout on répare ou on reconstruit.
La vie sociale
Dans la partie ouest du pays, contrôlée par le pouvoir, la vie sociale se déroule normalement : écoles, hôpitaux, Croissant rouge … dans un esprit de grande solidarité. Les déplacés de guerre ne sont pas relégués dans des camps de réfugiés isolés. Ils sont pris en charge par les habitants qui leur offrent un espace dans leur maison ou on cherche à les loger dans des maisons de façon à ce qu’ils soient chez eux. Nous avons pu visiter l’une de ces maisons qui abrite une trentaine de personnes avec qui nous avons échangé un bon moment assis ensemble dans une grande pièce. Chacun raconte comment il a fui de nuit son village envahi par les rebelles Al Nosra ou ASL. Ils en étaient encore horrifiés.
Des associations de femmes (nous avons rencontré une) se sont formées pour apporter aux soldats l’aide dont ils ont besoin : nourritures, vêtements, soins. D’autres prennent en charge les orphelins issus de la guerre – nous avons ainsi visité un orphelinat d’enfants âgés de 7 à 8 ans mais aussi des enfants bien plus jeunes.
Nous sommes allés à la rencontre d’une association « Résister malgré nos blessures » créée par un officier amputé d’une jambe à la guerre et dont le but est de venir en aide à tous les militaires blessés à la guerre ou victimes des attentats. Au moment où nous sommes passés, on comptait 300 blessés pris en charge. Les blessés de guerre et des attentats sont soignés chez eux à domicile. Les infirmiers et les médecins militaires passent de maison en maison pour les soigner…
Le responsable de cette association nous a conduit dans plusieurs maisons où l’on soignait les victimes du dernier attentat survenu à Homs huit jours avant notre passage et dans lequel 145 personnes ont trouvé la mort. Nous avons visité le site qui connut 3 explosions successives aux moyens d’un camion, d’une voiture…et d’un kamikaze.
Dans une maison, nous avons trouvé des infirmiers en train de soigner un couple bléssé avec leur fille aux jambes brisées. A côté sur un matelas par terre deux enfants, (7 ans, 9 ans) blessés eux aussi. Sur le mur de la chambre les photos de 3 de ses enfants militaires tués par les rebelles. De son lit il nous dira : « j’avais 4 fils, 3 sont déjà morts, maintenant Je suis prêt à offrir le quatrième pour défendre mon pays ».
Dans les villages traversés, nous trouvons accrochés aux poteaux ou contre les murs ces grandes photos de militaires, dans un village d’environ 3000 habitants j’en ai compté une trentaine… Ils sont partis, mais ils demeurent toujours présents dans les mémoires.
En conclusion
Nous avons rencontré une armée qui montre sa volonté d’être au service et à la protection de la population et non une armée qui prendrait plaisir à la bombarder. Il est cependant possible et même certain qu’à certains moments elle ait dû déloger les rebelles avec des effets collatéraux. Cela est malheureusement inévitable.
En ce qui concerne l’utilisation des armes chimiques sur les environs de Damas, les rapports de laboratoires ont démontré que leur nature était autre que celle des stocks de l’Etat Syrien, mais correspondaient plus à celle des stocks de la Libye. Les analyses balistiques démontrent aussi qu’ils venaient du côté rebelle. Ces produits auraient transité par la Turquie et auraient été livrés aux rebelles ; une version communément admise aujourd’hui.
Indéniablement, le régime a une assise et une légitimité populaire. Nous sommes avec une guide sunnite, elle affirme, comme de très nombreux autres sunnites : « Bachar n’est pas celui qui massacre son peuple comme on le dit dans les capitales occidentales… ».
L’intervention de la Russie en Syrie rassure. Son intervention est saluée par tous ceux que nous avons rencontrés. Le maître du terrain aujourd’hui, c’est bien la Russie. Quand elle aura réduit les poches de résistance autour d’Alep il lui restera avec l’armée syrienne à se consacrer à Daech.
Les groupes entrés dans l’opposition et dont le nombre est difficile à évaluer, semblent à bout de souffle et se rendent compte, aujourd’hui, qu’ils ne peuvent pas gagner. Ils ont opté pour la trêve.
L’objectif clairement identifié de l’EI est de reconstituer le grand Califat tout autour de la Méditerranée avec comme capitale : Raqa en Syrie et par la suite poursuivre plus loin.
En Syrie nous avons rencontré une population cultivée, digne, accueillante, ayant le sens de l’autre, le sens de la nation, attachée à son État.
L’économie du pays a subi le contrecoup de cette situation de guerre, les usines textiles par exemple, de Alep et qui étaient florissantes ont été détruites et les machines acheminées et vendues en Turquie. Elles parviennes à fonctionner uniquement avec le dixième de leur personnel présent auparavant.
Les plaines du nord immenses produisent blé, légumes, fruits, olives, viande, produits d’élevage… ce qui permet de contourner, au moins en partie, l’embargo occidental. Le sud est beaucoup plus pauvre.
Le peuple syrien demeure avec une conscience vive d’être victime d’une injustice internationale. Si elle n’avait pas de gaz… elle serait probablement en paix.
La communauté monastique de St Jacques le Mutilé à Qara, au sud de Homs, qui faisait partie du programme de nos visites, et où nous avons rencontré la sœur Claire Marie originaire de Nort sur Erdre (30 km au nord de Nantes) nous a tous fortement impressionnés…
Avant la guerre elle connaissait un grand rayonnement, surtout auprès des jeunes. Mère Agnès Maryam, la supérieure du monastère, est une personnalité. Elle joue un rôle important dans la défense des droits et de la justice. Elle a reçu, de façon exceptionnelle, un prix décerné par une organisation russe et réservé aux Russes.
Ce monastère a connu pendant 2 ans une situation difficile avec la présence tout autour d’une foule de rebelles. Un lieu de retrouvaille des rebelles venant de tous les côtés et tournant autour du monastère avec leurs véhicules et leurs drapeaux noirs….. Un beau jour ils ont disparu… sans avoir franchi la porte du monastère. !
Roger Nicol
Crédit photos : Breizh-info.com
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Une réponse à “Syrie. Le témoignage d’un prêtre breton”
Très intéressant témoignage sur ce pays qui souffre depuis 5 ans d’une guerre sans merci.