15/03/2016 – 08h15 Paris (Breizh-info.com) – Les éditions Perrin publient le 17 mars prochain un ouvrage d’Eric Alary, agrégé d’histoire et ancien assistant de René Rémond à l’Académie française, intitulé « l’histoire des paysans français ».
Pour Eric Alary, l‘Histoire des paysans français débute à la Belle Epoque, période où la IIIe République achève d’initier les paysans à la démocratie républicaine. Grâce à l’école, au service militaire et à l’arrivée des chemins de fer, les campagnes se désenclavent progressivement, marquant la fin d’un XIXe siècle caractérisé par une relative prospérité. Un siècle plus tard, les paysans sont méconnaissables. Ils ont traversé deux guerres mondiales – dont la première fut dévastatrice –, le dépeuplement des villages, la révolution mécanique, l’entrée dans l’Europe, puis le choc de la mondialisation. Ces héros nourriciers qui ont porté la France à l’autosuffisance alimentaire accusent le coup et entrent dans la modernité avec fracas.
Un monde fondé sur des mémoires, des traditions et des savoir-faire s’enfuit, chassé par une agriculture d’une nouvelle ère. Le visage des campagnes se transforme : les petites exploitations familiales laissent place aux grandes et les villages vidés de leurs paysans deviennent des lieux de villégiature pour citadins en mal de tranquillité.
Que reste-t-il alors de la société paysanne ? L’artisanat, les fêtes et les foires ne sont-ils qu’une culture reléguée au rang du folklore ? A l’heure où la société accuse les agriculteurs d’être des pollueurs et des empoisonneurs, où le fossé se creuse entre ruraux et citadins, Eric Alary retrace avec finesse les joies et les peines de la paysannerie française. Il le fait selon son habitude au plus près des sources, donnant corps à l’histoire en l’incarnant dans des destins individuels.
Un livre pour comprendre l’évolution du monde paysan – à partir du 19 ème siècle puisque l’auteur a fait le choix de faire débuter l’histoire des paysans français à cette période, c’est à dire à partir de leur « intégration » au sein de la « démocratie républicaine ». Un choix assez déroutant, la paysannerie ayant joué un rôle fondamental, primaire, dans l’histoire du pays. Ce livre permet toutefois de replonger dans ce qui a profondément transformé la paysannerie, l’agriculture en France, pour aboutir à la crise qu’elle traverse aujourd’hui.
Entretien avec l’auteur.
Breizh-info.com : Pourquoi le monde paysan a-t-il été, depuis la Belle Époque, toujours conservateur , et cela malgré les révoltes – qui n’ont jamais été faites pour renverser l’ordre établi ?
Eric Alary : Oui, vous avez raison, les révoltes ou mécontentements paysans expriment un malaise par rapport aux prix ou par rapport à de mauvaises récoltes mélangées au sentiment d’être abandonnés par les hommes politiques de la Belle Epoque. On oublie souvent qu’avec l’émergence de la classe ouvrière, les hommes politiques ont dû aussi s’occuper de ce nouvel électorat; nombre de paysans ont pensé qu’on ne s’occupait plus d’eux, ce qui était faux. Enfin, les migrations rurales ne sont plus temporaires mais définitives, ce massivement. Après un Second Empire mitigé, nombre de paysans ont été touchés de plein fouet par la concurrence des pays neufs et le protectionnisme n’a pas apporté de mieux-être à beucoup.
Breizh-info.com : Le monde paysan n’a t-il pas finalement volé en éclat après la seconde guerre mondiale, notamment en raison de l’influence américaine et de la mondialisation ? Le raisonnement « je dois produire pour nourrir mon village », puis « je dois produire pour nourrir mon pays » puis « je dois produire pour nourrir des milliards d’être humain » n’a t-il pas tué la paysannerie traditionnelle en France ?
Eric Alary : Après la Seconde Guerre mondiale, les paysans les plus âgés ont dû affronter la volonté de modernisation de leurs fils poussés à faire vivre mieux les exploitations agricoles; l’arrivée masive des tracteurs dans les années 1950 est due en partie au surplus américains et au plan Marshall permettant la reconstruction des usines en France.
En 1950, pour la première fois, la France est autosuffisante pour ce qui est de la production céréalière. qui pouvait s’en plaindre? Il est vrai aussi qu’au fil des années 1950-1960 il a été assigné aux paysans français le rôle de grenier international pour nourrir les Français, des Européens. De Gaulle pensait que l’agriculture était un secteur comme un autre de l’économie et qu’il fallait moderniser et produire à outrance afin de dégager des revenus nationaux; les paysans sont alors acteurs de la mondialisation coûte que coûte; résister à ce choix collectif était difficile en raison de l’apparition de grosses industries agro-alimentaires et en raison des mesures prises par la loi d’orientation de 1960 + IVD etc. Grossir pour vivre de son métier est devenu une sorte d’adage.
Breizh-info.com : Quelle différence faites vous entre le paysan français et l’agriculteur français ? Le gros exploitant agricole, syndiqué à la FNSEA et exportant un maximum de marchandises à travers le monde est-il réellement un paysan ou bien est-il un fonctionnaire d’Etat, voir Européen, qui ne vit que de subventions publiques ?
Eric Alary : Il est clair que les paysans ont vécu de subventions pour beaucoup; en tout cas, ne les assimilons pas à des « profiteurs »; ils ont suivie des normes (obligés) et ont gagné leur vie; mais les contradictions existent aussi.
En 1984, les éleveurs sont contre les quotas laitiers et de nos jours ils sont plutôt pour. On peut s’interroger sur rôle récent de la FNSEA; il faudra entendre ceux des historiens du syndicalisme qui la connaisse le mieux. Pourtant, il est clair qu’on est à un tournant, celui d’un choix de société.
LEs citoyens doivent parler plus fort et dire aux paysans qu’ils veulent se mettre autour de la table pour créer un autre mode de consommation et un autre type d’agriculture encore plus respectueuse de l’environnement et de la santé de chacun (paysans et consommateurs); cela suppose de résister à des lobbies; le Bio se développe de mieux en mieux et même plus vite que prévu; les AMAP fonctionnent très bien.
Alors? Les hommes politiques doivent avoir le courage de dire qu’en France on fait un autre choix économique sans faire la révolution mais en redéployant les bonnes volontés, en respectant et le paysan qui doit gagner sa vie et le consommateur piégé par ce qu’il achète dans les grandes surfaces. Les intermédiaires et transformateurs doivent aussi se remettre en question me semble t il.
Breizh-info.com : La crise du monde paysan ne vient-elle pas du fait que des ministères aux syndicats, ceux qui décident pour les paysans aujourd’hui sont totalement déconnectés des réalités de terrain ?
Eric Alary : C’est fort possible. en tout cas, ils connaissent sans doute bien le monde paysan, mais ils sont aussi pris dans l’étau de l’économie de marché. Que faire? Aider tout le monde et poursuivre dans un entre-deux: sauver une agriculture moyenne et en même temps poursuivre les travaux de regroupement de terres et d’animaux dans des fermes géantes ou bien dire franchement aux paysans qu’il n’y a de la place que pour ceux que les hommes politiques appelaient les « gros » dans l’entre-deux-guerres? MAis il y a la voie peut-être aussi la voie évoquée dans la question précédente, mais là je suis historien et non visionnaire…
Breizh-info.com : Le retour à la terre, et aux petites exploitations, opéré aujourd’hui par une partie importante de néo-paysans, mais aussi d’héritiers de grandes exploitations, est-il une forme de renouement avec la paysannerie d’antan et ses valeurs ?
Eric Alary : Je ne sais pas; c’est une autre forme de paysannerie. Sans doute que la nostalgie en motive certains, mais il faut que cette nostalgie soit constructive et non pas confinée dans un lamento qui consisterait à dire que c’était mieux avant et que maintenant c’est la catastrophe; cela peut aboutir au repli sur soi.
Ce qui est sûr c’est que nombre de néo-ruraux ont besoin de fuir la vie épuisante des villes. Est-on aussi au bout d’un mode de vie urbain qui n’a cessé d’enserrer les citoyens dans le bruit,la pollution, etc ?
Les néo-ruraux sont peut-être une chance pour certaines campagnes. Là encore, ne faut-il pas repenser les campagnes du futur tous ensemble, paysans et néo-ruraux et inviter les pouvoirs publics à réflchir aussi autrement, à freiner la machine à broyer des vies tant à la ville qu’à la campagne? Vaste question et l’historien pourra en reparler dans 20 ou 30 ans si cela évolue.
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