12/01/2015 – 08H00 Belfast (Breizh-info.com) – Irlande. Comté d’Ulster. Entre le Belfast des années 90, c’est à dire avant les accords du vendredi saint, et le Belfast d’aujourd’hui, il y a un grand fossé. Un fossé sans doute particulièrement difficile à comprendre pour ceux qui n’ont pas pu visiter ou habiter dans cette ville chargée d’histoire, avant et après les années de guerre civile.
Nous avons retrouvé Eric, un flamand de Lille, qui a vécu de nombreuses années là-bas et qui a accepté de replonger dans son passé avec nous, alors qu’à Belfast aussi se préparent les cérémonies du centenaire de la révolution irlandaise.
Breizh-info.com : qu’est ce qui vous a fait atterrir à Belfast dans les années 90 ? Quelles ont été vos premières impressions, sensations en arrivant dans une ville marquée par la guerre civile ?
Eric : Ma femme est originaire d’Omagh en Irlande du Nord , mais nous nous sommes rencontrés à Lille où elle était assistante d’Anglais . Nous sommes partis à Belfast suite à une proposition d’emploi parue dans le journal local. Mes premières impressions furent mitigées car à l’époque il y avait relativement peu de pubs , de restaurants , etc . Le soir , il n y avait que le « golden mile » ( sur Dublin road ) .
C’était plutôt une ville fantôme . Le gros choc a évidemment été la présence de l’armée Britannique dans les rues avec ses checkpoints , patrouilles et autres véhicules blindés.
Les choses ont bien changé aujourd’hui et Belfast vient d’être élue ville la plus attractive de Grande Bretagne
Breizh-info.com : Combien de temps y êtes vous restés ? Avez vous constaté une évolution des mentalités durant tout ce temps ?
Eric : Au départ , je pensais y rester 1 an ou 2 , finalement j’y suis resté de 1990 à 2004 , Les choses ont certainement évolué après les accords de paix , au moins économiquement ,mais relativement peu au niveau des mentalités . Les choses sont différentes maintenant avec une génération qui n’a pas connu la guerre civile .
Breizh-info.com : ce qui frappe, quand on voyage à Belfast, c’est cette différence entre un centre ville « mixte » et assez riche, et des quartiers (les enclaves) toujours séparés, où l’on sent toujours un brin de tension, dès lors que l’on est un étranger au quartier. Pouvez-vous revenir sur cet « apartheid » de fait, au sein même des classes populaires ?
Eric : Je dirais que le centre ville et les alentours de Queen’s university sont mixtes , Belfast Sud extrêmement riche et le reste relativement pauvre et populaire . Le Nord et l’Est de la ville sont en majorité Protestants avec des enclaves Catholiques comme Ardoyne, ce qui ne manque pas des créer des conflits lors des marches Orangistes de Juillet.
L’ouest de la ville est séparé par une » peace line » (un mur de séparation) entre Falls road la catholique et Shankill road la protestante. A l’époque , les deux communautés ne se mélangeaient pas et s’aventurer en territoire « ennemi » était à vos risques et périls : j’ignore si c’est toujours le cas .
Breizh-info.com : Avez vous eu l’occasion de participer à des marches, d’assister à certaines ? Qu’y avez vous vu et ressenti ?
Eric : Juillet est le mois des marches Orangistes ( marching season ) , j’y ai assisté une fois avec un sentiment de malaise . Le 12 Juillet est la commémoration de la bataille de la Boyne qui a vu le prince William d’Orange défaire le roi James II et pérenniser la mainmise Protestante sur l ‘Irlande .
Les « festivités » commencent dans la soirée du 11 ; c’est la » Bonfire night » où des buchers géants sont érigés des semaines durant dans les quartiers Protestants et allumés , surmontés du drapeau tricolore de la république d’Irlande.
Le lendemain, les loges Orangistes défilent dans les rues accompagnées de fanfares , le tout dans une ambiance bruyante , alcoolisée et tape à l’oeil . Tout cela ne poserait pas de problèmes si ces mêmes loges n’insistaient à traverser des quartiers Catholiques , ce qui est évidemment ressenti comme une provocation .
Breizh-info.com : Avez-vous ressenti, comme sans doute d’autres extérieurs à la question irlandaise, une hostilité, voir une méfiance bcp plus fortes vis à vis de l’étranger européen dans les quartiers protestants ? Comment l’expliquez-vous ?
Eric : oui , sans doute , je crois que c’est du au fait qu’inconsciemment, les protestants savent qu’ils ne sont pas réellement » chez eux » . D’où le désir de maintenir des traditions un peu désuètes et dépassées ; les mentalités sont très différentes également : l’Irlandais est naturellement accueillant , l’Anglo-Saxon beaucoup moins .
Breizh-info.com : pouvez-vous nous parler de Falls Road, le célèbre bastion nationaliste irlandais ?
Eric : Falls était un quartier populaire avec ses petits commerces , pubs , le QG du Sinn Fein , les fresques et un énorme bunker qui est en fait une station de police . Il y a également le cimetière de Milltown et son carré Républicain . Personnellement ,je vivais à Andersontown qui est situé tout au bout de Falls road et je n’ai jamais eu de problèmes ; une atmosphère un peu village où tout le monde se connait , d’ailleurs je recommande le » Felons club » pour y boire une bonne Guinness.
Breizh-info.com : Vous étiez également amateur de football. Pouvez-vous nous expliquer le football, les rivalités, les supporteurs, en Irlande du Nord et à Belfast plus particulièrement. Un club comme Glentoran draine des fans protestants et des joueurs catholiques, comment-est-ce possible ?
Eric : Alors , il y a 4 clubs à Belfast : Linfield , Glentoran , Crusaders et Cliftonville. Le niveau est relativement faible , un peu l’équivalent de la CFA en France . De ces 4 clubs , seuls Cliftonville et Linfield sont ouvertement uniquement Catholique et Protestant ( joueurs et fans ) les 2 autres étant plutôt mixtes et non sectaires .
Le championnat est relativement peu suivi et les amateurs de foot suivent d’avantage le championnat Anglais ou Ecossais avec en particulier les 2 clubs de Glasgow , le Celtic et les Rangers.
Breizh-info.com : pourquoi cette préférence pour les Celtics ou les Rangers et le championnat d’Ecosse, presque aussi faible que le championnat nord irlandais ?
Eric : Tout simplement par le clivage Protestant/Catholique attaché aux 2 clubs historiquement , mème si les choses évoluent ( interdiction de chants sectaires par exemple). Les fans des 2 clubs se haïssent désormais cordialement . J’ai eu la chance d’assister à un » Old firm game » (le match Rangers contre le Celtic) dans les années 90 à Celtic Park et l’atmosphère , bien que fantastique , dépassait clairement le cadre d’un match de foot : chants à la gloire de l’IRA d’un coté , à la gloire de l’UVF/UFF de l’autre …
A noter que le Celtic avait une branche à Belfast jusqu’en 1949 , le Belfast Celtic Football Club .
Breizh-info.com : Avez vous eu l’occasion de retourner en Ulster depuis ? Avez vous ressenti un changement ?
Eric : Non , je n’y suis pas retourné mais pense le faire prochainement .
Breizh-info.com : que vous inspire cette « reformation » pressentie d’une nouvelle IRA ?
Eric : Je ne dirais pas » reformation » dans le sens ou continuity IRA et real IRA sont nées dés les accords du Vendredi saint . Tant que l’Irlande ne sera pas réunifiée , ils seront présents et sans doutes de plus en plus actifs .
Breizh-info.com : si vous aviez des conseils de visites sur Belfast et l’Ulster quels seraient-ils ? Ainsi que des bonnes adresses ?
Eric : Faire le tour de West Belfast pour voir les fresques murales . S’arrêter dans des pubs dont le Kelly’s , le plus vieux pub de Belfast. Découvrir le quartier de la cathédrale pour ses restaurant ainsi que le musée consacré au Titanic . Pousser un peu plus loin et aller visiter la distillerie Bushmill à Portrush ,la chaussée des géants , la route qui y mène longe l’Atlantique et est à couper le souffle .
Propos recueillis par Yann Vallerie
Photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2015, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.