Breizh-info vous propose désormais régulièrement une chronique intitulée« 7 films à voir ou à revoir » et réalisée par Virgile pour le Cercle Non Conforme, qui nous a donné son accord pour reproduire le texte.
Cette semaine, 7 films à voir ou à revoir sur le thème de la littérature russe
Il est un fait évident que la littérature russe compte parmi le fleuron des arts littéraires du Vieux continent, au sein duquel le 19ème siècle fait figure d’âge d’or. Jugeons-en plutôt à la lecture de l’école romantique d’Alexandre Pouchkine, Nicolas Gogol, Ivan Tourgueniev, Fiodor Dostoïevski, Léon Tolstoï ou Anton Tchekhov !
Avec moins de faste, le début du 20ème siècle poursuit un certain classicisme russe dont Maxime Gorki constitue la figure de proue. L’avènement du bolchévisme au pays du Grand Ours marque un coup d’arrêt dans la magnificence de la littérature russe, tant il est vrai que si le génie personnel de tout écrivain est la condition première à la réalisation d’un chef-d’œuvre, il est des climats politiques qui compliquent la tâche, voire la rendent impossible. Notons tout de même les œuvres de Boris Pasternak, Mikhaïl Boulgakov et Mikhaïl Cholokhov. Ces listes ne sont, bien entendu, pas exhaustives. Et comment pourrions-nous évoquer les lettres russes sans évoquer le caractère plus fiévreux des ouvrages d’Alexandre Soljenitsyne, bien sûr, dissident politiquement incorrect qui renvoie dos à dos le communisme et le capitalisme, mais également les théoriciens de l’anarchisme Mikhaïl Bakounine et Pierre Kropotkine ?
Et plus proche de nous, l’inclassable écrivain franco-russe, fondateur du parti national-bolchévique, Edouard Limonov. Si comme toutes les littératures nationales, les lettres moscovite et saint-pétersbourgeoise furent très influencées par la littérature occidentale, plus particulièrement française, elles n’en conservent pas moins des aspects particuliers. Plus que tout autre, la littérature russe est certainement déterminée géographiquement et psychologiquement par l’âme de sa Nation, dont la construction identitaire est marquée par la violence des soubresauts de son Histoire récente. Le lecteur profane en Histoire russe pourrait rapidement se heurter à une littérature absconse qui lui ferait manquer la dimension charnelle de l’œuvre. Littérature pessimiste, voire nihiliste, dans laquelle les cicatrices et fractures morales de l’individu constituent des aliénations, littérature dense faisant figurer de nombreux protagonistes, acteurs d’une intrigue diffuse et compliquée, la littérature russe est très difficilement transposable sur une pellicule.
Il est d’ailleurs à noter que ce ne sont pas des cinéastes russes qui s’attaquèrent aux monuments littéraires de leur patrie éternelle. Adapter, c’est trahir dit-on ! Cela vaut certainement encore plus pour Dostoïevski et Tolstoï ! Aussi, qui est exégète de ces œuvres littéraires, dont la force et la beauté demeurent un apport incommensurable à l’identité européenne, sera déçu des films présentés. Pour les autres, il s’agira d’une formidable découverte.
ANNA KARENINE
Film américain de Clarence Brown (1935)
La Russie tsariste dans la seconde moitié du 19ème siècle. Anna Karénine est l’épouse d’un sombre et despotique noble, membre du gouvernement. Prisonnière d’un mariage de raison, l’épouse délaissée n’a jamais vraiment manifesté de sentiment amoureux pour son mari, à la différence de son jeune garçon Sergeï qui constitue son seul rayon de soleil. L’amour qu’elle porte à son enfant ne lui suffit néanmoins pas. Sa vie faite de convenances bourgeoises et de respectabilité sociale l’ennuie terriblement. Aussi, lors d’un voyage à Moscou, succombe-t-elle aux avances du colonel Comte Vronsky, jeune cavalier impétueux. Vronsky ne tarde pas à suivre Anna à Saint-Pétersbourg. L’idylle adultère est bientôt découverte et provoque un scandale. Anna est chassée de la maison sans possibilité de revoir son enfant. Elle va tout perdre, d’autant plus que si le Comte est un fougueux prétendant, sa véritable maîtresse est l’armée du Tsar…
Fait rare ! Greta Garbo interprètera à deux reprises l’héroïne du roman éponyme de Tolstoï, après une première adaptation muette d’Edmund Goulding sept années plus tôt. La présente adaptation de Brown est soignée mais la retranscription hollywoodienne de la Russie tsariste a un côté « image d’Epinal » très décevant. On n’y croit guère ! On ne peut que se rendre compte qu’adapter à l’écran la richesse d’une œuvre dense de plusieurs centaines de pages est une gageure. Egalement, peut-être la volonté du réalisateur était-elle justement de gommer le caractère russe de l’œuvre de Tolstoï afin de délivrer une vision plus universelle de cet amour interdit. A cet égard, la mise en scène est impeccable, de même que les décors et les costumes. Garbo et Fredric March ont un jeu impeccable.
LE DOCTEUR JIVAGO
Titre original : Docteur Zhivago
Film américain de David Lean (1965)
Moscou en 1914, peu avant que la Première Guerre mondiale n’achemine la Russie tout droit vers la Révolution bolchévique. Le docteur Youri Jivago est un médecin idéaliste dont la véritable passion demeure la poésie. Jivago mène une vie paisible auprès de son épouse Tonya et leur fils Sacha, que vient bientôt bousculer Lara, fiancée à un activiste révolutionnaire, dont le médecin tombe immédiatement amoureux. Lorsqu’éclate la guerre, Jivago est enrôlé malgré lui dans l’armée russe et opère sans relâche les blessés sur le front. Sa route croise de nouveau celle de Lara devenue infirmière. D’un commun accord, ils se refusent mutuellement cette histoire sans lendemain. Après la Révolution d’octobre 1917, la vie devient précaire dans la capitale moscovite. Jivago se réfugie dans sa propriété de l’Oural avec sa famille afin d’échapper à la faim, au froid et à une terrible épidémie de typhus qui ravage le pays…
Film librement inspiré du roman éponyme de Pasternak et là aussi, un pavé de plusieurs centaines de pages à porter à l’écran. Lean s’en sort à merveille au cours de ces trois heures-et-demi, en retranscrivant magnifiquement l’épopée de ce jeune médecin en quête de vérité dans le tumulte de l’aube du vingtième siècle. Aussi, à la différence du livre, le film est-il recentré sur les protagonistes principaux. Pour que celui-ci soit à la hauteur, les producteurs y ont mis les moyens et ne se sont pas montrés avares en dépenses ! Le film, longtemps censuré au pays des Soviets, reprend bien évidemment avec la plus grande fidélité la critique du régime bolchévique par Pasternak. Ce qui n’est pas très surprenant non plus, concernant une production américaine en pleine période de guerre froide. Omar Sharif est convaincant. Une fresque grandiose qui a quand même un peu vieilli.
LE JOUEUR
Film franco-italien de Claude Autant-Lara (1958)
En 1867, Le général Comte russe Alexandre Vladimir Zagorianski prend du bon temps avec sa famille à Baden-Baden en attendant le décès de sa riche tante Antonina dont il espère l’héritage prochain. Le général est accompagné d’Alexeï Ivanovich, précepteur des enfants. L’oisiveté à laquelle la vie du général est toute dévouée le pousse à s’abandonner dans les bras de Blanche, habile intrigante. Quant à sa fille Pauline, elle est la maîtresse du marquis des Grieux, un riche aristocrate français qui entretient toute la famille du général tant qu’Antonia n’a pas expiré. Et la tante ne semble guère pressée de trépasser. Certes en fauteuil roulant, elle rend visite à son général de neveu en Allemagne. Ivanovich, qui avait prévu de retourner à Moscou après qu’il se soit fait éconduire par Pauline, change ses plans à l’arrivée de la riche tante qui le prend à son service. Antonia épouse le démon du jeu et a tôt fait de dilapider la fortune qui faisait tant l’espoir de Zagorianski…
Autant-Lara ne tire pas son meilleur film de sa libre adaptation du roman éponyme de Dostoïevski. Loin de là… Et Liselotte Pulver, Gérard Philipe et Bernard Blier ne sont pas au mieux de leur forme. Certes, Dostoïevski n’est pas l’auteur dont les personnages sont les plus simples à camper… Le film d’Autant-Lara est plus proche du Vaudeville que de la restitution de l’hédonisme russe en Allemagne. Néanmoins, cette fantasque description de l’univers du jeu au 19ème siècle, parfois trop caricaturale et mièvre, revêt des caractères plaisants bien rendus par les décors et l’atmosphère des villes d’eaux du duché de Bade. A réserver aux inconditionnels du réalisateur de La Traversée de Paris.
LOLITA
Film anglais de Stanley Kubrick (1962)
C’est l’été dans la petite ville de Ramslade dans le New Hampshire. Humbert Humbert est un séduisant professeur de littérature française récemment divorcé qui cherche une chambre à louer dans la ville. C’est dans la demeure de Charlotte Haze, veuve érudite en mal d’amour, qu’il trouvera son bonheur, surtout après avoir entraperçu Dolorès, quatorze ans, surnommée Lolita, la charmante fille de Charlotte. La propriétaire essaye par tous les moyens de s’attirer les faveurs du professeur bien plus tenté par le charme de la juvénile Lolita. Afin de pouvoir continuer à demeurer chez les Haze à l’issue de sa location, et ainsi à proximité de l’adolescente , Humbert n’hésite pas une seconde et épouse la mère. Le bonheur marial est de courte durée. Charlotte ne tarde pas à démasquer les véritables intentions de son nouveau mari…
Réalisation très librement inspirée du roman éponyme de Vladimir Nabokov qui ne fit pas l’unanimité. Certains allèrent jusqu’à hurler à la trahison de l’œuvre du moins russe des écrivains russes, dont la famille s’exila après la Révolution d’octobre 1917. Il est vrai que le film de Kubrick, qui n’a pourtant jamais craint d’érotiser son œuvre, contient une sensualité moindre que le roman. Il est vrai aussi que la censure exerçait encore de nombreuses contraintes à l’orée de la décennie 1960. Kubrick avait d’ailleurs déclaré, après avoir dû couper plusieurs scènes, qu’il aurait préféré ne pas tourner cette adaptation critique de la libéralisation sexuelle outre-Atlantique. La jeune Sue Lyon est merveilleuse, de même que James Manson. Il est difficile de juger si Lolita figure parmi les meilleurs Kubrick. Mais ça reste du grand Kubrick !
LES POSSEDES
Film français d’Andrzej Wajda (1987)
Vers 1870, dans une ville de province de l’Empire russe, un group d’activistes révolutionnaires tente de déstabiliser la Sainte-Russie. Aux réunions, grèves et diffusions de tracts, succède bientôt l’action clandestine. Conduits par l’exalté fils d’un professeur humaniste, Pierre Verkhovenski, la cellule nihiliste confie la direction du mouvement à Nicolas Stavroguine, de condition aristocrate, mais cynique et désabusé. Fanatique et charismatique, Stavroguine exerce un pouvoir sans pitié sur le groupe. Aussi, ordonne-t-il l’exécution de Chatov, ouvrier honnête qui manifestait ses distances avec la bande au sein de laquelle les tensions s’exacerbent. Verkhovenski intrigue afin que Kirilov, un athée mystique, endosse le crime. Kirilov est contraint au suicide…
Au risque de se répéter, une nouvelle fois, le film est inférieur au roman, bien que la présente réalisation de Wajda conserve un intérêt majeur et de splendides images. Le fond de l’intrigue est survolé et perd, ainsi, en intensité, au regard des centaines de pages de l’œuvre de Dostoïevski, mais comment pourrait-il en être autrement ? Si Omar Sharif incarne, de nouveau et de manière satisfaisante, un héros de la littérature russe, les personnages du film pourront être perçus comme excessifs à l’exception de Sjatov, révolutionnaire qui garde raison plus que les autres. Wajda semble assez peu à l’aise dans sa représentation de l’esprit révolutionnaire qu’il apparente trop vulgairement à une soif de violence gratuite. A voir quand même !
LE PREMIER CERCLE
Titre original : The First circle
Film américain d’Aleksander Ford (1972)
En 1949, un jeune diplomate découvre, à la lecture d’un dossier, l’arrestation imminente d’un grand médecin. Le diplomate prend la décision de prévenir anonymement le futur embastillé, ne se doutant que des oreilles mal intentionnées enregistrent la conversation téléphonique. La mise sur écoute n’est pas encore jugée suffisamment au point par les services secrets. Nombre de savants s’ingénient ainsi à perfectionner le système dans une charachka, laboratoire de travail forcé, de la banlieue moscovite. L’un des ingénieurs, conscient que l’écoute téléphonique est une arme coercitive précieuse pour les services secrets, entreprend de détruire sa création perfectionnée. Ce sabotage n’a d’autre issue que sa déportation en Sibérie. De même pour le diplomate bientôt identifié qui avait tenté de sauver la liberté du médecin. Parmi tout l’appareil répressif communiste, les laboratoires dans lesquels sont mis au point les armes de répression massive constituent le premier cercle de l’Enfer stalinien.
Il est surprenant que ce soit le cinéaste polonais rouge Ford qui se soit porté volontaire pour adapter à l’écran un roman de Soljenitsyne… Certainement revenu de ses illusions sur la nature du régime stalinien, Ford livre un plaidoyer en faveur de la liberté et de la dignité humaines. Soucieux d’une recherche esthétique, celle-ci n’est pourtant pas toujours réussie mais livre des passages intéressants que magnifie le noir et blanc. Le film est malheureusement tombé dans les oubliettes du Septième art. Quant au titre du récit éponyme et largement autobiographique de Soljenitsyne, il fait référence aux neufs cercles de l’Enfer de la Divine comédie de Dante Alighieri.
UN DIEU REBELLE
Titre original : Es ist nicht leicht ein Gott zu sein
Film germano-franco-russe de Peter Fleischmann (1989)
La Terre dans un futur loin de plusieurs siècles. Les Terriens sont parvenus à une parfaite maîtrise de leurs émotions afin de vivre dans une paix perpétuelle. A des fins d’étude, une équipe de chercheurs est envoyée en observation d’une autre civilisation humaine sur une lointaine planète. Afin de ne pas dévoiler leur présence, seul Richard est choisi parmi les siens pour aller à la rencontre des habitants. Un seul impératif guide son action : la non-ingérence dans les affaires autochtones. Le temps passe et Richard ne donne plus aucun signe de vie au reste de l’équipage demeuré dans le vaisseau spatial. Inquiet, Alan fait à son tour le voyage vers la planète semblable à la Terre mais sur laquelle les mœurs des habitants, brutales et cruelles, et la technologie accusent plusieurs siècles de retard…
Délaissons quelque peu l’univers de la littérature classique russe pour nous intéresser à un chef-d’œuvre méconnu de la littérature de science-fiction. Le présent film est une adaptation du roman Il est difficile d’être un Dieu des frères Arcadi et Boris Strougatski et est supérieur à la seconde adaptation éponyme d’Alexeï Guerman. Le présent film ne manque pas d’être subversif et peut être considéré comme une vive critique du soviétisme et, dans une perspective plus large, de la barbarie de la soumission à autrui qu’exerce la violence. La mise en scène est néanmoins faible, les cadrages serrés curieux au regard de l’immensité du décor et les effets spéciaux peu travaillés. Et pourtant ! Voilà un petit bijou que les passionnés de science-fiction considéreront comme culte. Les plus rationnels des spectateurs pourraient, quant à eux, s’endormir longtemps avant la fin. Tourné au Tadjikistan pour les décors naturels, il offre, en outre, de splendides paysages.
Virgile / C.N.C.
Crédit photo : DR