Elections américaines. La convention républicaine de 2016 : l’arrivée d’une crise politique majeure ?

11/03/2016 – 04h45 WASHINGTON (Breizh-info.com) – Tout au long des élections américaines de 2016, retrouvez chaque vendredi l’analyse de Pierre Toullec, spécialiste de la politique américaine, en exclusivité pour Breizh Info ! L’occasion de mieux comprendre les enjeux et les contours d’élections américaines finalement assez mal expliquées par la presse subventionnée en France – sponsor démocrate de longue date. L’occasion également d’apprendre ce qui pourrait changer pour nous, Européens, suite à l’élection d’un nouveau président de l’autre côté de l’Atlantique.

Une semaine qui a donné l’avantage à Ted Cruz et Donald Trump

La dynamique des primaires républicaines a connu une profonde inflexion au cours cette semaine. Elle a débuté le samedi 5 mars avec CPAC, la Conférence de l’Action Politique des Conservateurs. Au dernier moment, alors qu’il était attendu, Donald Trump a annulé sa venue. Les commentateurs de droite ont immédiatement réagi en affirmant que si le milliardaire a agi ainsi, c’est parce qu’il sait que ses positions – en particulier en matière d’économie – sont beaucoup plus proche de la gauche que de la droite américaine.

Conséquence de son absence ou de ses prises de positions, Trump a très largement perdu le « straw poll » (vote de paille) qui s’est tenu avec les milliers de participants conservateurs à cette convention. Ted Cruz l’a remporté avec 40% des voix, 30% pour Marco Rubio et seulement 15% pour « The Donald ». Ces résultats ont mis de l’huile sur le feu, de nombreux commentateurs conservateurs les utilisant pour démontrer pourquoi le favori à la primaire républicaine ne gagne pratiquement que dans les primaires ouvertes dans lesquelles les démocrates et les indépendants peuvent venir voter.

Pourtant, Donald Trump n’est pas le grand perdant de cette semaine. Ted Cruz et lui sont parvenus à remporter d’importantes victoires au cours du week-end et du mardi 8 mars. Le perdant est Marco Rubio qui, bien qu’il ait remporté Puerto Rico et obtenu le soutien de nombreux élus républicains, a obtenu des résultats très en-dessous de ce qui était attendu, se retrouvant à la troisième ou quatrième place dans tous les scrutins de ces sept derniers jours.

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Avec 151 délégués, Marco Rubio se retrouve avec un retard de 208 sur Ted Cruz et de 307 sur Donald Trump, un retard que beaucoup considèrent désormais insurmontable. Il est le grand perdant de cette semaine. Après de faibles résultats au cours du week-end et le soutien de CPAC en faveur de Ted Cruz, Rubio n’a gagné aucun délégué lors de la journée du 8 mars, perdant de son avance sur John Kasich.

Du côté des deux leaders, Donald Trump conserve son statut de favori après avoir gagné davantage d’États. Cependant, Ted Cruz a accompli ce que beaucoup pensaient impossible : sans même l’abandon de Marco Rubio et de John Kasich, Cruz est parvenu à gagner plus de voix et plus de délégués que Donald Trump au cours de la semaine, diminuant ainsi l’avance que le milliardaire était parvenu à accumuler. Moins de 100 délégués séparent les deux favoris dans une course où il faut en atteindre 1237 pour gagner. Plus important encore, dans l’ensemble des États qui ont voté entre le 4 et le 11 mars, Ted Cruz est parvenu à récupérer une part importante de l’électorat qui jusqu’ici donnait ses faveurs à Marco Rubio et John Kasich. Cette donnée n’est pas sans conséquences : en consolidant le vote des électeurs conservateurs et libéraux autour de lui, Ted Cruz s’impose de plus en plus comme l’unique recours de droite contre Donald Trump aux yeux des électeurs.

La convention républicaine de l’été 2016 : une crise majeure en préparation ?

Du 18 au 21 juillet 2016 se tiendra la convention nationale républicaine à Cleveland, Ohio. Tous les quatre ans, cette grande réunion qui se tient dans les deux principaux partis fait la Une des médias, principalement pour l’événement majeur : le discours du candidat à la présidence des Etats-Unis.

Pourtant, ces conventions ont un rôle bien plus important. Tout au long des primaires dans chaque Etat, les délégués sont liés à un candidat à l’élection présidentielle ou parfois libres de leur vote. En réalité, le rôle pour lequel ils s’engagent est bien plus important que cela. Une fois tous réunis, ce sont eux qui vont définir le programme officiel du parti républicain (la « plateforme ») ainsi que les règles de fonctionnement du parti au niveau fédéral si des modifications sont nécessaires. C’est pour cette raison que les conventions nationales sont aussi longues. Elles se concluent par le vote des délégués pour désigner le candidat à l’élection présidentielle, puis par l’acceptation du candidat et son premier discours officiel de campagne pour l’élection nationale.

Cependant, la forte division de l’électorat républicain en cette année 2016 pourrait mettre en grande difficulté le parti car les règles actuellement en place pour désigner le candidat à l’élection présidentielle pourraient faire aboutir à un blocage complet du processus.

Pour pouvoir être nommé candidat du parti républicain, deux critères principaux doivent être remplis.

Premièrement, un candidat doit obtenir une majorité de délégués, soit 1237 sur 2472. Les lecteurs de cette chronique sont désormais familiers avec cette règle.

Deuxièmement, le problème qui commence à être soulevé par plusieurs cadres du parti républicain est le second critère, voté lors de la convention de 2012 : pour être candidat au cours de la convention, il faut avoir obtenu une majorité d’au moins 50% des délégués dans au moins huit États ou territoires différents.

Avant 2012, la règle était la même mais limitée à cinq Etats et territoires. Jusqu’ici ceci n’avait pas posé de problème, car en général la quasi-totalité des candidats abandonnaient rapidement la course, permettant à un favori d’obtenir une large majorité des délégués et des votes exprimés. Or, cette année, la primaire est toujours contestée par quatre candidats et aucun n’est parvenu à dépasser les 35% du vote populaire.

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Cette profonde division a eu un impact très fort sur les nombreux États qui ont déjà voté. Bien qu’officiellement Donald Trump et Ted Cruz aient remporté l’immense majorité des États, les deux favoris ont obtenu une majorité des délégués dans peu d’entre eux. A savoir :

Donald Trump : sept États (New Hampshire, Caroline du Sud, Alabama, Géorgie, Massachussetts, Tennessee et Mississippi)

Ted Cruz : quatre États (Texas, Kansas, Maine et Idaho)

Marco Rubio : un territoire (Puerto Rico)

John Kasich : aucun territoire ni aucun État.

Dans l’état actuel de la compétition, ceci signifie qu’aucun candidat ne remplit les conditions pour pouvoir se présenter à la convention !

Cette situation va changer partiellement avec la modification du mode de calcul d’allocation des délégués et le passage en « Winner take all » à partir du 15 mars (Cf. la troisième partie de cette chronique : les prochaines étapes électorales). Il est probable que Ted Cruz et Donald Trump parviendront à dépasser – de justesse – cette barrière de huit Etats. Mais à ce stade de la primaire, la combinaison des votes qu’ils ont reçus ne représentent que 63,58% des voix exprimées ! Ceci signifie que plus d’un tiers des électeurs républicains ne serait pas représenté au moment de la désignation du candidat.

Pire, à ce stade de l’élection, il est possible que ni Ted Cruz ni Donald Trump ne parviennent à atteindre le chiffre de 1237 délégués.

La direction du parti républicain est certes effrayée par l’idée d’une victoire de Donald Trump. Mais une perspective pire commence à apparaître : la droite américaine pourrait achever sa convention soit sans avoir désigné de candidat pour l’élection présidentielle, soit en ayant ignoré le vote de millions d’électeurs de la primaire. Ces deux possibilités, probables à ce jour, créeraient un scandale politique sans précédent aux Etats-Unis et pourrait diviser profondément le parti républicain pour les années à venir. Au-delà de l’élection présidentielle, une telle division pourrait entrainer la perte du Sénat, de la Maison des Représentants (députés) et de plusieurs postes de gouverneurs, remettant en cause dix années de reconstruction progressive suite aux défaites de 2006 et 2008.

Quelles solutions sont envisageables si le pire arrivait ? Fort heureusement, l’ensemble des délégués élus dans les différents Etats et territoires américains représentent l’organe « législatif » du parti et sont en mesure de voter des modifications des règles durant la convention avant le premier tour de vote pour désigner le candidat. Une telle modification a été proposée cette semaine par Curly Haugland comme amendement qui sera soumis aux délégués au début de la convention. Cette proposition donnerait la possibilité à tous les candidats qui ont reçus des délégués d’être candidat à la présidence à la convention. Ceci donnerait l’opportunité à huit candidats (Donald Trump, Ted Cruz, Marco Rubio, John Kasich, Mike Huckabee, Ben Carson, Rand Paul et Jeb Bush) de se présenter à la nomination au premier tour.

Une chose est certaine : la complexité de ces règles additionnée à la grande division de l’électorat républicain apporte une très grande incertitude sur la nomination républicaine. A ce jour, il est possible, voire probable, que nous ne saurons pas qui sera le candidat républicain ni comment il sera désigné avant la fin du mois de juillet.

Les prochaines étapes électorales

Plusieurs territoires vont voter à leur tour au cours du week-end, mais les prochains gros prix se tiendront lors du second « Super-Tuesday » le 15 mars. A partir de ce jour, la dynamique va changer car une majorité d’Etats va passer en statut de « Winner take all », c’est-à-dire que celui qui remporte l’Etat remporte l’intégralité des délégués même s’il n’a pas dépassé les 50% des voix.

Donald Trump voit ce changement comme une aubaine. N’ayant dépassé les 50% dans aucun Etat et restant bloqué sous cette barre des 35% de soutien, il pourra enfin mettre à profit la division de l’électorat, s’il reste face à plusieurs adversaires.

Pour Marco Rubio et John Kasich, cette journée sera un « do or die », faire ou mourir. Le premier est sénateur de Floride et le second gouverneur de l’Ohio, deux Etats qui votent ce 15 mars. Les deux parient sur une victoire dans leurs Etats respectifs, mais en cas de défaite chez eux, ils ont reconnu que la course s’arrêterait là. Donald Trump espère les battre tous les deux, car cela lui permettrait d’obtenir une avance consistante face à son principal adversaire. Dans le même temps, est-il réellement intéressant pour le milliardaire d’éliminer ces deux personnes de la course ?

Le sénateur Ted Cruz parie lui sur un duel avec Donald Trump. Dans ce cadre, les sondages en un contre un le donnent vainqueur. Pour cette raison, Cruz a décidé de prendre le risque de permettre à Trump de prendre de l’avance en le laissant gagner la Floride pour éliminer Marco Rubio. Le sénateur du Texas pense être capable de rattraper son retard remportant de nombreux Etats en avril, mai et juin.

Les élections du 15 mars seront critiques. Il s’agit de la plus importante journée électorale pour les quatre candidats. Dans cinq jours, la primaire républicaine aura profondément changé de visage, quelques soient les résultats.

L’état de la primaire républicaine

USA

Retrouvez les articles précédents :

1 – L’Iowa et Ted Cruz (5 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/05/usa-iowa-retour-sur-la-victoire-de-ted-cruz-aux-primaires-republicaines/)

2 – Le New Hampshire et Donald Trump (12 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/12/new-hampshire-retour-victoire-trump-primaire-republicaine/)

3 – Le décès du juge Scalia (19 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/19/elections-usa-les-consequences-du-deces-du-juge-scalia/)

4 – L’ascension de Donald Trump (26 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/26/39697/etats-unis-donald-trump-poursuit-son-ascension)

5 – Qui a réellement gagné le Super-Tuesday du 1er mars ? (4 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/04/40056/elections-americaines-qui-a-gagne-super-tuesday)

Crédit photo : DR
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