Elections américaines. Qui a vraiment gagné le « Super Tuesday » ?

04/03/2016 – 07h45 Dallas (Breizh-info.com) – Tout au long des élections américaines de 2016, retrouvez chaque vendredi l’analyse de Pierre Toullec, spécialiste de la politique américaine, en exclusivité pour Breizh Info ! L’occasion de mieux comprendre les enjeux et les contours d’élections américaines finalement assez mal expliquées par la majorité de la presse subventionnée – sponsor démocrate de longue date. L’occasion également d’apprendre ce qui pourrait changer pour nous, Européens, suite à l’élection d’un nouvel homme fort de l’autre côté de l’Atlantique.

Qui a gagné lors du Super-Tuesday ?

Vous n’avez pas pu le rater : ce mercredi matin, une majorité des médias français et américains titraient en première page que le milliardaire Donald Trump et Hillary Clinton avaient chacun remporté une victoire décisive dans les primaires républicaines et démocrates.

Chez les seconds, il est clair que Hillary Clinton a obtenu une victoire fracassante contre Bernie Sanders. Des centaines de milliers de voix de plus que son adversaire d’extrême gauche lui ont permis d’accumuler un grand nombre de délégués d’avance.

Côté républicains, l’observateur qui se contente de compter les États remportés par Donald Trump va effectivement conclure à la victoire à celui-ci. Pourtant, les résultats sont bien plus complexes à comprendre, car le Parti républicain reste divisé entre quatre candidats principaux (le docteur Ben Carson a indiqué qu’il ne participerait pas au débat de ce jeudi soir sur Fox News, car il « ne voit pas » comment remporter l’investiture. Les rumeurs semblent indiquer qu’il prévoit d’abandonner officiellement la course au cours de la Conservative Political Action Conference (CPAC : la conférence de l’action politique des conservateurs) qui se tiendra ce week-end.

républicains

Sur la carte, il est vrai que Donald Trump est parvenu à remporter sept des onze États qui désignaient des délégués liés à l’un des candidats, contre trois pour Ted Cruz et un pour Marco Rubio. Cependant, dans aucun État Donald Trump n’est parvenu à dépasser les 50% des voix. Au niveau « national », le milliardaire n’est parvenu qu’à obtenir 36% des voix ce 1er mars. Une donnée très importante : dans l’ensemble de ces États, les délégués sont répartis à la proportionnelle.

En conséquence, Donald Trump est très loin d’avoir obtenu les 1237 délégués nécessaires à la victoire. Non seulement l’addition des délégués de ses adversaires et des délégués libres de leur vote surpasse ceux obtenus par « The Donald », mais en plus, de nombreux dirigeants et élus républicains de l’ensemble de cinquante Etats ont pris la décision de s’opposer ouvertement à sa candidature. Des sénateurs, des représentants (députés), des gouverneurs et Mitt Romney, le candidat républicain à la présidentielle de 2012, ont pris la parole dans différents cadres pour condamner les propos, le programme et les affiliations politiques de Trump, affirmant qu’il ne représente ni les valeurs ni les électeurs traditionnels du parti républicain.

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Ce que cette carte permet de réaliser est qu’en réalité, Donald Trump parvient à gagner dans deux types d’Etats en priorité : ceux qui ont une primaire ouverte qui permet à des non-républicains de voter (c’est le cas notamment de la Virginie et de la Caroline du Sud) et dans les États les plus à gauche (Massachusetts, Vermont, New Hampshire par exemple). C’est aussi le cas dans les Etats où traditionnellement les mouvements suprématistes blancs sont les plus forts mais historiquement proches des démocrates (le Ku Klux Klan a été fondé par des cadres du Parti démocrate et est dirigé par des membres de ce parti depuis le XIXe siècle).

Donald Trump est très fier d’affirmer que sa candidature « agrandit » le parti républicain en attirant des milliers d’électeurs qui habituellement ne votent ni dans les primaires de droite ni pour le GOP dans les élections nationales. Il a raison. Des dizaines de milliers de non-républicains viennent voter pour Donald Trump dans les primaires ouvertes. Au Massachusetts, 20.000 membres du parti démocrate ont choisi de voter dans la primaire républicaine. Ils étaient plus de 60.000 en Virginie, un État où Donald Trump était proche de perdre face à Marco Rubio.

À l’inverse, dans les États les plus conservateurs ou bien avec des primaires fermées qui ne permettent qu’aux militants républicains de voter, Marco Rubio et Ted Cruz ont remporté aisément ces suffrages face à Donald Trump.

Ainsi, Donald Trump est parvenu à prendre la tête des primaires républicaines grâce à une coalition de démocrates, de suprématistes blancs et de quelques conservateurs, lui permettant d’obtenir environ un tiers des voix dans l’ensemble des États. À l’inverse, les voix des conservateurs et des libéraux représentent les deux tiers de l’électorat de cette primaire, mais sont divisées entre plusieurs candidats.

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En clair, affirmer que Donald Trump a remporté le Super Tuesday et est sur le point de remporter l’investiture républicaine est aussi logique que de regarder les 24h du Mans et affirmer que le coureur en tête va gagner parce qu’il a cinq minutes d’avance sur le second à la moitié de la course.

Tout ceci signifie-t-il que Donald Trump n’a aucune chance de remporter la nomination républicaine ? Non. Il est vrai que « The Donald » est en avance sur ses adversaires. La véritable journée qui permettra de déterminer si le milliardaire est en mesure de gagner sera lors de la soirée électorale du 15 mars 2016. Ce jour-là, quatre Etats très peuplés, l’Illinois, la Floride, l’Ohio et le Missouri, tiendront leurs primaires et caucus sous le format d’un « winner takes all », c’est-à-dire que celui qui remporte l’Etat remporte l’intégralité des délégués de ces États. Si Trump parvient à gagner trois de ces quatre États d’une manière semblable au Super Tuesday même s’il ne dépasse pas les 36% des voix, il récupérera un très grand nombre de délégués, le propulsant ainsi en tête et lui donnera une vraie chance d’être désigné candidat. En revanche, si Donald Trump ne parvient pas à gagner une majorité de ces États, alors le parti républicain court vers une « brokered convention ».

Pourquoi les médias sont-ils aussi pressés d’annoncer la victoire de Donald Trump ?

Étant donné la véritable situation de la course pour la nomination républicaine, pourquoi les médias américains et européens sont-ils aussi pressés d’annoncer la victoire de Donald Trump ?

Il faut revenir pour cela au début de la compétition. Dès que Donald Trump a annoncé sa candidature en juin 2015, l’ensemble des médias américains ont commencé à massivement parler de lui, laissant de côté ses adversaires. Ces médias ont couvert sa campagne pendant des heures, laissant même ceux qui menaient dans les sondages comme Ben Carson, Marco Rubio, Rand Paul ou Jeb Bush aux oubliettes. Après un été entier de ce traitement médiatique très favorable, le milliardaire est devenu le leader républicain dans les sondages.

Pourquoi ? Les médias, majoritairement de gauche, ont trois intérêts directs dans cette surmédiatisation. La première est bien entendu l’audience : Donald Trump est un monstre médiatique depuis des dizaines d’années. Les chaînes de télévision et radio ont un intérêt financier direct à parler de lui, car les électeurs, même ceux qui lui sont opposés, sont fascinés par le phénomène.

Deuxièmement, ces journalistes majoritairement électeurs de gauche sont beaucoup plus à l’aise avec le programme économique de Donald Trump. En effet le programme économique de Trump est très semblable à celui de Hillary Clinton et Barack Obama. Les trois sont opposés au libre-échange et souhaitent mettre en place le plus de traités protectionnistes (au niveau américain) possible, dont TPP et TAFTA. La différence est que Donald Trump considère que Clinton et le président Obama ne sont pas assez protectionnistes. Ainsi, Trump s’oppose à TPP et TAFTA, car il veut empêcher les entreprises américaines de produire à l’étranger (sans être précis sur comment il compte le faire). Trump souhaite aussi lancer des guerres économiques contre le Mexique, la Chine et l’Europe par une très forte intervention de l’État fédéral dans des politiques protectionnistes pour fermer au maximum les frontières économiques américaines. Trump souhaite aussi augmenter les impôts sur les hauts revenus. Dans son programme de financement de santé qu’il a publié ce jeudi, il propose bien de supprimer ObamaCare comme les autres républicains. Mais ce par quoi il souhaite le remplacer va beaucoup plus à gauche qu’ObamaCare.

Ainsi, il s’est plusieurs fois dit favorable à un système de financement public unique similaire à ce qui existe au Royaume-Uni et au Canada et proche de ce qui existe en France. Dans son programme, il propose de créer deux nouvelles niches fiscales pour aider au financement de la santé alors que les républicains cherchent à supprimer toutes les niches fiscales depuis les années Reagan. Tout comme Hillary Clinton et Barack Obama, Donald Trump est d’accord avec le fait que les États-Unis et l’ensemble du monde occidental ont eu raison de sauver les banques en 2008/2009 alors que ses adversaires républicains considèrent qu’il faut laisser le marché libre : si une banque doit faire faillite, ce n’est pas à l’Etat de la sauver. Enfin, Donald Trump souhaite conserver une importante politique de redistribution sociale pour aider les plus pauvres. Pour cela, il est conscient qu’il devra conserver un fort taux d’imposition sur les entreprises et sur les travailleurs, mais il considère que la redistribution économique est la principale manière de diminuer la pauvreté, une vision socialiste, profondément en désaccord avec la vision libérale de l’électorat républicain, mais en accord avec l’opinion de la majorité des journalistes de gauche.

Enfin, sur les questions de sécurité et d’immigration, les médias sont ravis de donner la parole à Donald Trump, car ce dernier leur donne chaque fois une raison pour faire la caricature du parti républicain comme étant un parti raciste. Donald Trump veut interdire à tout musulman non citoyen américain d’entrer sur le territoire, une discrimination sur la religion très grave qui va à l’encontre du premier amendement de la constitution américaine. Trump souhaite ouvertement utiliser la torture contre les adversaires de l’Amérique. De plus, il a ouvertement affirmé que sous sa présidence, les armées américaines viseront spécifiquement les familles des suspectés de terrorisme, ce qui constitue un crime de guerre et va à l’encontre de la Convention de Genève. Trump s’est permis d’exiger qu’un juge hispanique soit interdit de s’occuper d’une affaire dans laquelle il était jugé, car, selon ses affirmations, un juge hispanique ne pouvait pas être objectif dans une affaire le touchant.

Tout ceci additionné ne doit pas faire oublier la cerise sur le gâteau pour les journalistes de gauche. Donald Trump est vulgaire, insulte ses adversaires, s’est moqué du physique de Carly Fiorina, l’une de ses adversaires à la primaire, s’est moqué du handicap d’un journaliste et a enchaîné les commentaires sexistes, allant jusqu’à se vanter de ses prouesses sexuelles dans les années 1960 et 1970, quand il est parvenu à ne pas être envoyé au Viêt Nam grâce aux réseaux politiques de son père.

Ce socialisme économique, ce nationalisme religieux et ethnique et sa propension à lancer des insultes font de lui à la fois un attrait financier pour les médias, un candidat qui défend les mêmes positions économiques que leur favorite Hillary Clinton et permet de caricaturer le parti républicain comme étant un parti raciste et xénophobe faisant la promotion de crimes de guerre. Tout ceci est du pain béni pour les journalistes de gauche qui sont ravis de faire la promotion gratuite de Donald Trump.

Les prochaines étapes électorales

Le mois de mars sera particulièrement rempli dans l’agenda politique américain. Au cours de la nuit de ce jeudi à vendredi s’est tenu un nouveau débat républicain sur Fox News. Ce samedi 5 mars, quatre nouveaux Etats voteront (le Kentucky, le Maine, le Kansas et la Louisiane), suivis le 6 de Puerto Rico et le 8 de Hawaï, l’Idaho, le Michigan et le Mississippi. Tous ces Etats voteront encore à la proportionnelle. Le grand prix de ce mois de mars sera le 15. Au 1er avril, trente-neuf États et territoires sur cinquante-six auront voté.

Retrouvez les articles précédents :

1 – L’Iowa et Ted Cruz (5 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/05/usa-iowa-retour-sur-la-victoire-de-ted-cruz-aux-primaires-republicaines/)

2 – Le New Hampshire et Donald Trump (12 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/12/new-hampshire-retour-victoire-trump-primaire-republicaine/)

3 – Le décès du juge Scalia (19 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/19/elections-usa-les-consequences-du-deces-du-juge-scalia/)

4 – L’ascension de Donald Trump (26 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/26/39697/etats-unis-donald-trump-poursuit-son-ascension)

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2 réponses à “Elections américaines. Qui a vraiment gagné le « Super Tuesday » ?”

  1. Pschitt dit :

    Vosu semblez considérer comme une faiblesse de Trump le fait que certains électeurs démocrates votent pour lui. Mais dans un régime bipartisan, attirer une partie des électeurs du camp d’en face est essentiel ! Bien entendu, une partie du camp républicain est résolument hostile à Trump, mais c’est vrai pour tous les candidats, et à peu près dans les mêmes proportions (un quart des électeurs républicains, d’après le dernier sondage CNN/ORC) ; inversement, 8 électeurs de Trump sur 10 se disent certains de ne pas changer d’opinion, contre 6 sur 10 pour les autres candidats républicains.
    Votre comparaison avec les 24 heures du Mans est amusante, mais mal étalonnée. A mi-course, Trump n’a pas 5 minutes d’avance sur le second (Cruz) mais à peu près deux heures (en % des suffrages) voire trois heures (en nombre de délégués).
    Le vrai doute sur l’avenir de Trump tient à l’attitude de l’establishment républicain, choqué par le côté populaire et populiste de Trump et par son hostilité à l’immigration (qui lui vaut au contraire la sympathie de pas mal de démocrates des Etats du Sud). On dit beaucoup qu’il prépare une grande campagne de publicité négative contre Trump. Mais pour quoi faire ? Pour cet establishment libéral, les idées de Cruz sont bien pires que celles de Trump. Marco Rubio ? Bien sûr, sa tête de gendre idéal « issu de l’immigration » lui vaut les faveurs des dirigeants BCBG du parti républicain, mais électoralement il est dans les choux. Le parti républicain ne peut se débarrasser de Trump qu’en faisant élire Hillary Clinton !
    Conclusion plus générale : on voit une nouvelle fois que les défenseurs de la démocratie sont les premiers à manoeuvrer pour y échapper dès que les électeurs font mine de leur échapper.

  2. Fred dit :

    Le spectacle de la cabale anti-Trump organisée par l’establishment à l’étoile à 6 branches est aussi croustillant qu’une tentacule de pieuvre grillée au four et assaisonnée avec une bonne sauce allemande de la grande époque.

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