Cavistes. Il ne faut pas jeter Nicolas avec l’eau du bain

Délaissant les Vikings (la série, saison 4) qui – comme les précédentes saisons – gomme le martyre du bon Gohard et son retour en barque « autogérée » sur Angers après sa décapitation dans la cathédrale d’Evhemerus, j’ai mis mon vieux nez encore frais dans les écrits vinophiles récemment publiés par Breizh Info. La tendance est en hausse sous le clavier de « Raphno »- ce bon jeune homme. Qu’il s’en prenne au prince des bobos, le fort en gueule « AIA » – un patronyme à sept syllabes ! -, voilà qui est fort convenable. Il faudrait toutefois être prudent sur le marchand de « gros vins » Nicolas. Ayant jadis oeuvré pour ledit marchand, je constate que si les temps ont changé ce n’est pas une raison pour le malmener.

Qui n’a pas connu le « vin à la tireuse » servi à la demande chez les « chands d’vins » des « quartiers populaires » et emporté en litres par les gosses dans les cabas de toile cirée (comme sur les photos de Doisneau ou de Cartier Bresson) ne peut pas savoir ce qu’était la place occupée par les boutiques de « Nectar », le bonhomme en bois. Nantes n’a pas pu échapper à la règle… Les statistiques (comme celles de la météo) sont récentes – enfin presque. Elles n’ont été établies qu’à partir de 1957.  En ce temps-là, chaque Français « de 14 ans et plus » buvait 170 litres de vin par an (un record mondial). Il fallait bien aller les chercher, ces litres. Ce qui fait une belle moyenne (340) pour l’élément masculin – les femmes et les adolescents apparemment exclus par « common decency ». Cette moyenne tomba à 58 par an en 1999. Ce qui laissa du temps pour les jeux vidéo.

Tandis que Roland Cassard regardait passer les trains sur le quai de la Fosse, Pierre Boisset était entré chez Nicolas comme « acheteur-dégustateur ». Ce qui n’est pas rien pour l’Histoire du troisième quart du XXe siècle – celui dit des « trente glorieuses », entre 1945 et 1975. Les neuf années supplémentaires, inscrites dans sa biographie, virent la crise du « bon vin ». Boisset a laissé un récit mémorable  de ses « campagnes » d’achats. Il nous donne une vision de la France paysanne (et viticole) qui vaut son pesant d’or sociologique. C’était avant l’achat par Castel (1988) de la maison, fondée en 1822 par un certain Louis Nicolas. Cent soixante ans après la fondation, l’entreprise aux 466 boutiques et aux 10 000 employés a changé de nature – évidemment. C’est devenu un empire. Et alors ?

Reste l’analyse par Pierre Boisset de l’évolution du vin depuis la sortie de la Seconde guerre mondiale. C’est un ouvrage* que je recommande à tous les âges et étages de buveurs, les bio comme les autres. Pour en juger voici la très-morale (je tiens au tiret) note de lecture qui figure au dos de ce livre passionnant :

« Au cours de ses campagnes, Pierre Boisset a été à l’affût de la moindre parcelle de vigne, attentif au fruit le plus simple comme au nectar le plus délicat. Pèlerin infatigable, il a rassemblé dans ses carnets tout ce qu’il faut savoir, millésime par millésime, sur l’histoire de la vigne et des vignerons français, l’art de la dégustation, les raisons du récent engouement pour le vin, les pièges des classements officiels, les vertus des petits vins sans grade et les splendeurs des seigneurs de nos grands vignobles. Puisées aux fûts des caves modestes ou arrachées aux celliers prestigieux, Pierre Boisset nous livre mille anecdotes qui nous racontent l’histoire toujours vivante du Vin. »…

Personnellement, je me souviens d’août 1945, sur le port de Nantes, quand l’estuaire était encore encombré d’épaves. Les derniers « feldgrau(s) » venaient de quitter Saint-Nazaire et la « poche ». Un pinardier de Pauillac s’était frayé son chemin d’eau parmi les étraves dressées et les mines. Il avait accosté à une encablure du transbordeur. Avec un oncle « charpentier de marine », nous étions arrivés porteurs de litres vides (en verre blanc). Nous n’étions pas les seuls à espérer un signe de la Providence parmi les gens cherchant à tricher sur leurs tickets de rationnement. Retenue au bord du quai par un cordon de gendarmes casqués, la foule ouvrière piétinait en grondant. C’est alors que descendit, de la flèche d’une grue, un crochet qui emporta vers le ciel une provision de musettes… puis la déposa, par-dessus les gendarmes, dans les antres du pinardier. Le mouvement inverse eut lieu le temps que la verrerie se remplisse et se bouche (paiement à venir sur le chantier par l’habituelle et antique honnêteté des travailleurs). Les gendarmes se contentèrent d’attendre leur tour. Nous emportâmes le breuvage et ce fut mon premier contact avec le vin de Bordeaux.

Morasse 

* Pierre Boisset, Millésimes et Campagnes, les carnets d’un acheteur de vin, Robert Laffont, 1989.

Crédit photo : DR
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2 réponses à “Cavistes. Il ne faut pas jeter Nicolas avec l’eau du bain”

  1. raphno dit :

    Oui ! ce rappel manquait effectivement …
    raphno

  2. raphno dit :

    Oui, effectivement ce rappel était nécessaire.

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