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Aude de Kerros : « Ce que les bolcheviques du courant formaliste soviétique ont rêvé, l’État français l’a réalisé » [interview]

21/02/2016 – 05h15 Paris  (Breizh-info.com) – Les éditions Eyrolles ont publié à la fin de l’année dernière un livre d’Aude de Kerros intitulé « L’imposture de l’art contemporain, une utopie financière ». Ce livre fait suite à un autre ouvrage qui avait fait hurler la bien-pensance « artistique », « l’art caché, les dissidents de l’art contemporain ».
Aude de Kerros est une artiste (peinture, gravure) et une essayiste qui n’hésite pas à prendre sa plume pour dénoncer l’enfermement de la création et de l’art dans une bulle gauchisto-financière ( où l’on retrouve encore, ici aussi, l’éternelle alliance entre le règne de l’argent et le gauchisme). Dans son ouvrage, Aude de Kerros dénonce l’utopie financière qui entoure l’art contemporain. Elle assure que grands collectionneurs, mécènes et administrations sont complices pour fabriquer artificiellement la cote des œuvres d’art et tirer les prix vers d’hallucinants sommets.

Nous avons interrogé Aude de Kerros, sur son livre, mais aussi sur un monde (celui de l’art contemporain), que certains, comme Kostas Mavrakis, n’hésite pas à qualifier de mafia.

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Aude de Kerros en 2008

Breizh-info.com : Comment définiriez-vous ce que l’on appelle « l’art contemporain » ?

Aude de Kerros : Pour l’« Art contemporain », tout est art, excepté « l’Art », considéré désormais comme un artisanat.  En effet  au sens originel du terme l’Art est un langage, sensible, visuel, non verbal, qui signifie autrement que par les mots alors que  l’AC est conceptuel. C’est un discours, un processus plus qu’une  forme. L’œuvre d’AC n’est pas autonome, ne se suffit pas à elle-même, elle se doit de détourner sens, lieux, objets, références, monuments. Son action a pour finalité non pas de créer quelque chose de nouveau et d’unique mais de subvertir quelque chose qui existe déjà, en l’occurrence le contexte qu’il investit.

Breizh-info.com : Prenez- vous du plaisir à observer les travaux de Koons par exemple ?

Aude de Kerros :  Non ? Ce n’est d’ailleurs pas fait pour cela.

Breizh-info.com : Si je vous dis que j’achève votre livre avec le sentiment que cet « art contemporain » que vous dénoncez, est une arme entre les mains d’une petite élite financière – presque une mafia – je me trompe ?

Aude de Kerros :  Ce n’est pas un livre d’humeur et de dénonciation. J’essaye de faire comprendre comment tout cela s’est produit, comment l’utilisation de l’art conceptuel a servi d’outil pour gagner la guerre froide culturelle après 1960. L’art abstrait américain avait rempli ce rôle au moment où elle a commencé en 1947, mais sans efficacité car c’était un courant européen dès avant 1914.

Après 1960, va s’avérer plus efficace pour torpiller l’incontournable référence européenne en matière d’art, l’adoption de « l’art conceptuel ». C’est le fruit d’un mélange de duchampisme, (« est de l’art ce que l’artiste proclame tel » ), de bolchevisme formaliste («  créer c’est détruire » ) et de sociologie analytique américaine, (« Est de l’art ce que les institutions au pouvoir proclament tel »). Il suffit donc, pour que cette pratique non-esthétique devienne une réalité artistique,  qu’un réseau de collectionneurs et d’institutions s’accordent pour le muséifier et le coter. C’est grâce à cette stratégie que le grand marché de l’art a été transféré de Paris à New York. En quelques années la légitimité du marché et des musées américains a pris le dessus sur la légitimité historique et cultivée européenne, française notamment. L’art conceptuel, d’abord désigné comme dernière « avant-garde » prendra le nom « d’Art contemporain »,  après 1975. Il se déclare désormais comme seul « art » et seul « contemporain ».  Ainsi New York devient alors la référence en matière d’art. C’est ainsi que la guerre froide a été gagnée par l’Amérique.   

Après la chute du système soviétique en 1991, cette première mouture de l’AC connaît une métamorphose.  Un deuxième « Art contemporain », identique dans ses formes et principes trouve de nouvelles finalités, s’adapte à la globalisation qui consacre l’hégémonie américaine. Il s’établit solidement autour de l’an 2000 sous forme de produit financier haut de gamme, sécurisé, échangé en réseau fermé.  Lors de la décennie suivante, il jouera de plus en plus le rôle de monnaie en raison de sa nature sérielle, contractuelle et dématérialisé. Nouvelle liquidité au fonctionnement subtil, conçue comme un bitcoin réservé à un happy few, elle a l’avantage de créer brouillard et confusion dans les mouvements d’argent. Ainsi aujourd’hui, les œuvres d’AC du très haut marché oscillent entre deux fonctions : liquidité transfrontière ou réserve de valeurs.

Les foires et évènements internationaux, cœur du marché de l’AC, sont des plateformes internationales permettant à une nouvelle classe d’hyper riches, de se rencontrer, sur le critère  partagé de l’argent, au de-là des identités culturelles, nationales et religieuses.

Ce sont eux les fabricants, en réseau, de la valeur de l’AC. Les institutions qui légitiment  la valeur arbitraire de ces « œuvres » : institutions, musées, université, galeries salles des ventes, ne sont que les exécutants de ces très grands collectionneurs créateurs de monnaie.

Breizh-info.com : Ce règne semble largement effacer toute possibilité de reconnaissance pour des artistes «traditionnels » devenus presque des dissidents sur la scène artistique actuelle. Comment résoudre cela ?

Aude de Kerros :  Dans le reste du monde, il existe plusieurs marchés qui se côtoient : le marché financier de l’AC, les marchés de l’Art où tous les courants sont en concurrence. Chaque marché trouve ses amateurs et mécènes.

La France fait exception.  Depuis 1983, l’art est dirigé par l’État. Il décide du contenu de l’enseignement des écoles d’art, distribue subventions et honneurs au seul courant conceptuel, diabolise tous les autres courants existant sur le territoire. Cette administration bureaucratique, dont la politique n’a pas varié, quelles que soient les majorités au pouvoir, a satellisé autour d’elle médias, grands collectionneurs, critiques d’art, en distribuant privilèges, faveurs et décorations.  Au bout de trente-trois ans d’une concurrence déloyale de l’État faite au marché privé, celui-ci est devenu exsangue alors qu’il avait été le premier marché attirant le monde entier. La situation des artistes non labélisés est devenue fort précaire en France, sans que les artistes français promus par les institutions  soient pour autant reconnus : ni le grand public français, ni le marché international de l’AC ne connaît leurs noms.

La part du marché de l’art français dans le monde est passée de 60 % en 1960 à 2% en 2015, si l’on en croit les derniers chiffres donnés par Art Price.

C’est un échec. Posez la question autour de vous : citez-moi trois artistes plasticiens français célèbres en France et dans le monde ? Il est probable que peu seraient en mesure de répondre.

Breizh-info.com : Nous comptons parmi les Bretons, parmi les plus riches d’entre eux, un certain François Pinault, collectionneur d’art contemporain par excellence. Comment expliquez-vous que des hommes éduqués, lettrés, formés, semblent plus s’extasier devant une sculpture de manga où l’on voit un jeune homme éjaculer, que devant un portrait de Michel-Ange ou une sculpture grecque ? Tous les goûts se valent-ils vraiment ?

Aude de Kerros :  Si peu ou pas d’artistes vivant et travaillant en France sont connus dans l’International, le collectionneur François Pinault, lui, est au TOP 10 des personnalités du marché de l’AC dans le monde. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui « l’exception française ».

Ni lui, ni la plupart des hommes aux fortunes émergentes aux quatre coins du monde, n’ont été formés aux lettres et aux arts. Cela leur permet, sans état d’âme de voir dans les œuvres sérielles, provocatrices, dérisoires qu’ils collectionnent, de bons produits financiers, facilement échangeables, parce que sans valeur affective ni intrinsèque.

Le dollar américain porte comme devise pour sacraliser son usage : « In god we trust ». La nouvelle monnaie qu’est l’AC proclame : « In art we trust ».

Breizh-info.com : Finalement, le triomphe de l’art contemporain dans notre société moderne ne va-t-il pas de pair avec le règne d’une certaine médiocrité et d’un égalitarisme forcené ?

Aude de Kerros :  La gouvernance de l’art en France c’est une dizaine d’institutions : FRACs, DRACs, FNAC, CNAC, etc., animés par 200 « inspecteurs de la création », aidés de leurs conseillers, assistants et vacataires. Ils travaillent  en réseau avec les multiples associations subventionnées du CIPAC  (Fédération des professionnels de L’AC),  les critiques d’art agrées de l’AICA, l’association- partenaire des collectionneurs ( l’ADIAF ), sans oublier les galeries amies, les théoriciens du CNRS agrégés en Arts plastiques, les « mécènes » collectionneurs et utilisateurs des hauts lieux du patrimoine. Ce que les bolchéviques du courant formaliste soviétique ont rêvé, l’État français l’a réalisé : la table rase bienfaitrice et éthique. Le bain de sang et le pillage de 1917 en URSS ont été moins efficaces que les trente-trois ans d’art administratif en France. Le doux terrorisme a fait ses preuves !

Breizh-info.com : L’art contemporain ne contribue-t-il pas à tirer tout le monde vers le bas pour enrichir une toute petite minorité d’initiés ? 

Aude de Kerros :  La chose n’est pas ainsi perçue par les services publics… La promotion de l’AC est un apostolat quasi religieux. Le clergé de la rue de Valois désigne le bien et le mal, ce qui est de l’art ou non. Il prêche la haute morale de l’AC qui remplit de multiples fonctions sociales, d’éducation des masses, d’animation urbaine…

Par ailleurs l’AC, partout où il est implanté, en ville, dans les villages et en rase campagne est réputé créer argent, emplois, tourisme, communication et bien-être social. L’administration de l’AC exerce un service public de transgression, subversion, déconstruction  permanente, mission prophylactique qui a la vertu de prévenir toute crispation identitaire.

La preuve du contraire est à faire !

Aude de Kerros
Graveur, essayiste

Propos recueillis par Yann Vallerie

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L’imposture de l’Art contemporain, une utopie financière – Ed. Eyrolles – Aude de Kerros

Crédit photo : Wikimedia commons (cc) + Wikipedia (cc) + Flickr (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2016 dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine

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3 réponses à “Aude de Kerros : « Ce que les bolcheviques du courant formaliste soviétique ont rêvé, l’État français l’a réalisé » [interview]”

  1. Cadoudal dit :

    Le début de l’imposture c’est Dada et les surréalistes Duchamp……choquer le bourgeois est la seule motivation, puis l’escalade pour choquer, car les gens s’habituent. C’est pour cela que le scandale autour de certaines « œuvres » fait en fait marcher le système. C’est de la subversion intellectuelle et culturelle par l' »art » et la « littérature ». Ensuite cela devient dictature, car celui qui n’apprécie pas, ne s’émerveille pas est un bourgeois, un réactionnaire….Le scandale financier est aussi colossal, c’est du vol pur et simple, par le biais de commande d’État, d’acquisition pour les FRAC…..ce qui permet d’entretenir des « révolutionnaires » à la solde du système.

  2. Andre-Pierre Olivier dit :

    En pleine lecture de livre de Anne de Kerros que j’ai presque fini il me semble, d’après cette lecture que le titre de l’article devrait plutôt être « Ce que les bolchévique ont fait en URSS… ADK rêve que l’état français le fasse »….
    Si certaines parties de son livre est intéressante et instructive son analyse globale de l’art contemporain est des plus discutable. Imaginez qu’à cause des certains excès de quelques-uns (quelques soit le domaine) on caricature complètement une situation. La discussion peut-être ici ouverte si on évite les « nom d’oiseaux », et autres outrances.

  3. Andre-Pierre Olivier dit :

    Houla…. la censure. Où sont les Bolcheviques ;-)))

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