16/02/2016 ‑ 08H00 Nantes (Breizh-info.com) – Le retour de Jean-Marc Ayrault au gouvernement n’a pas soulevé l’enthousiasme. Selon un sondage Odoxa, 61 % des Français désapprouvent sa nomination – alors qu’ils ne sont « que » 59 % à désapprouver celle de trois ministres écologistes. L’intéressé lui-même ne paraît pas exultant. Il est vrai que redevenir numéro deux d’un gouvernement dans la foulée d’un échec comme numéro un n’a rien de très glorieux. D’autant plus que, pour revenir par la fenêtre du Quai d’Orsay après avoir pris la porte de Matignon, Jean-Marc Ayrault a dû avaler deux grosses couleuvres : la remise en cause du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (il le soutenait au point qu’on parlait souvent d’Ayraultport) et la révision constitutionnelle sur la déchéance de nationalité (il était contre, il a dû voter pour).
La nomination de Jean-Marc Ayrault pourrait bien procéder des jeux florentins auxquels François Hollande semble se complaire, en pâle imitateur de François Mitterrand. Manuel Valls commençait à lui faire de l’ombre ? Il se trouve désormais flanqué d’un prédécesseur qu’il méprisait, sur lequel il n’aura pas autorité puisque le ministre des Affaires étrangères rapporte directement au président de la République. Mais Jean-Marc Ayrault a droit aussi à sa petite humiliation : les relations internationales sur le climat, qui avaient été le titre de gloire de Laurent Fabius, lui sont retirées et échoient à Ségolène Royal, l’une de ses pires adversaires.
Le grand chef blanc du tiers-mondisme
Cependant, sa nomination aux Affaires étrangères a de quoi satisfaire Jean-Marc Ayrault, et pas seulement comme une réparation partielle de sa déroute de 2014. Car, en tant que maire de Nantes, il s’est longtemps rêvé en personnalité internationale. Il semble que cette ambition soit née dans la foulée des Anneaux de la mémoire. Cette exposition « repentantiste » à la forte imprégnation idéologique, organisée au château des ducs de Bretagne, était consacrée au commerce transatlantique des esclaves, la « traite négrière », dans lequel des armateurs nantais s’étaient illustrés. Soutenue par l’Unesco, cette exposition avait obtenu un grand retentissement, notamment en Afrique occidentale. Au vu de ce succès Jean-Marc Ayrault aurait alors conçu une ambition qu’on pourrait ainsi résumer : devenir le grand chef blanc du tiers-mondisme. « Ayrault est un chrétien pour qui Nantes est une ville coupable [de l’esclavage] et pour lui la seule façon qu’elle se rachète c’est d’en faire une ville africaine », confiait à l’époque un proche du maire de Nantes.
Ce dernier a mis d’importants moyens budgétaires au service de cette ambition, fort éloignée de la mission de rapprochement franco-allemand dont on le crédite aujourd’hui, ne manquant jamais d’apporter le soutien financier de sa municipalité aux associations consacrées à la mémoire de l’esclavage. Mais il a surtout inscrit cette thématique dans le béton avec la création du Mémorial de l’abolition de l’esclavage moyennant 7 millions d’euros. L’inauguration de ce monument, dont Jean-Marc Ayrault espérait faire un événement mondial, avait cependant été un échec cuisant. En fait de personnalités internationales, il n’avait attiré que Christiane Taubira, alors députée de Guyane apparentée socialiste (après avoir été indépendantiste et radicale de gauche), Lilian Thuram, ancien international de football et Nicéphore Soglo, ancien président du Bénin.
Un Secrétariat international discrètement enterré
Pour se donner une envergure dépassant le cadre de la traite, Jean-Marc Ayrault avait aussi suscité une étrange association de droit privé qui se donnait des airs d’organisation internationale intitulée Droits de l’Homme et gouvernement locaux – Secrétariat international permanent de Nantes, en abrégé Spidh, pour Secrétariat permanent international des Droits de l’Homme. Confiée à un collaborateur direct du maire de Nantes, Franck Barrau, ancien journaliste de Ouest France, l’association organisait tous les deux ans à la Cité des congrès de Nantes un Forum international des Droits de l’Homme dont le financement était pris en charge essentiellement par Nantes Métropole (370 000 euros en 2013).
Le Spidh n’a jamais réussi à acquérir une notoriété internationale. Ses échecs récurrents ont entraîné sa disparition, dans la plus grande discrétion. Franck Barrau a été recasé à la tête d’une autre association à vocation internationale, elle aussi largement soutenue par Jean-Marc Ayrault, le Centre interculturel de documentation, qui revendique comme valeurs « la solidarité, le vivre ensemble, la lutte contre les discriminations, la lutte contre le racisme et la xénophobie, la sensibilisation et la connaissance de la culture de l’Autre, l’accompagnement et le soutien des associations issues de l’immigration ». En 2012, dernière année pour laquelle il a publié ses comptes conformément à la loi, le CID a reçu plus de 160 000 euros de subventions, principalement de Nantes Métropole et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), ce qui ne l’a pas empêché de réaliser 78 000 euros de pertes.
Ayrault, pionnier de l’accueil des migrants Roms
Les préoccupations mondiales de Jean-Marc Ayrault, qui avait créé à Nantes Métropole une « direction du développement international », ne se bornaient cependant pas au tiers-monde. Elles s’étaient concrétisées entre autres par la création d’une cité internationale des congrès, qui reste un gouffre financier pour les finances locales aujourd’hui encore, ou par le festival Les Allumées, qui a donné lieu à la réception à Nantes d’artistes de six villes portuaires du monde entier, et qui s’était achevé prématurément sur un clash diplomatique avec Cuba.
De manière plus originale, Jean-Marc Ayrault avait mis en place après l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne une structure pour l’accueil de populations Roms à Nantes. Un temps objet de fierté (elle avait même été présentée au Conseil de l’Europe), cette politique avait créé un appel d’air bien prévisible, suivie d’incidents qui avaient fortement mécontenté les Nantais. Nantes Métropole avait alors fait machine arrière précipitamment. Il est probable que cette douloureuse expérience de bras grands ouverts aura inspiré au nouveau ministre des Affaires étrangères des réflexions qui lui seront utiles dans les relations franco-allemandes à propos de l’accueil des migrants en Europe.
Crédit photo : copie partielle d’écran YouTube, La chaîne de Jean-Marc Ayrault
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