15/02/2016 – 06H00 Rennes (Breizh-info.com) – L’écrivain breton Goulc’han Kervella vient de se voir refuser la publication de son dernier livre. Auteur de nombreux romans et pièces de théâtre en breton et en français , acteur et metteur en scène de la troupe Strollad ar Vro, Goulc’han Kervella est un contemporain capital pour la langue et la culture bretonnes. En 1998 il avait reçu l’ordre de l’Hermine.
Son ouvrage : Mari Vorgan ar Glandour ( la sirène des algues) devait être publié par les éditions TES (Ti embann ar Skoliou) la maison d’édition des écoles bretonnes. C’est le statut particulier de cet éditeur qui est à l’origine de ce refus de publication. En effet TES a été créé en 1994 à la suite d’une convention entre l’État, la région Bretagne et les 3 filières d’enseignement en breton.
Dans un courrier titré « Roman à céder » Goulc’han Kervella explique que son livre avait été accepté par le comité de lecture de TES auquel participe l’inspecteur pédagogique régional. L’ouvrage fait référence à Mari Vorgan un roman de Roparz Hemon (1900-1978) publié en breton en 1962 et traduit en français en 1981. Horresco referens, le nom de l’écrivain et grammairien breton y est cité trois fois ainsi que 7 courts passages de son œuvre. Il n’en fallait pas plus pour que l’Académie de Rennes sous la plume d’Anne Bilak ‘ directrice du réseau de création et d’accompagnement pédagogique du rectorat d’académie ‘ écrive : « il n’est pas possible pour TES d’envisager d’éditer des œuvres faisant référence à un auteur, Roparz Hemon, radié par le ministère de l’Éducation pour des raisons de collaboration au cours de la Seconde Guerre mondiale ». Grande dame, l’Éducation nationale a proposé 1300 € de dédommagement pour son travail à Goulc’han Kervella, somme qu’il a refusée.
Qui était donc Roparz Hémon pour déchainer autant de polémiques plusieurs décennies après sa mort ?
Né à Brest en 1900 Roparz Hémon (de son vrai nom Louis-Paul Némo) fut à la fois linguiste, grammairien, romancier, journaliste et poète. Jeune agrégé d’anglais, il va, à partir de 1923 et jusqu’à sa mort se consacrer à défendre la langue bretonne et à combattre pour lui donner une littérature. En 1925 il crée la revue littéraire en breton Gwalarn. Dans son manifeste on peut lire : « Pour la première fois, une revue bretonnante fournira des travaux d’une irréprochable tenue littéraire et, fermant la porte aux patois (même décorés du nom de dialectes), adoptera une langue de forme classique et une orthographe rigoureusement unique. (…) Le sort de notre littérature, auquel est lié celui de notre langue, et par suite, de notre nationalité, est entre les mains de l’élite. (…) Les colonnes de Gwalarn sont ouvertes à toutes les plumes sans distinction de parti. il y aura place pour un art libre vis-à-vis de toute doctrine ». Il s’agissait d’une véritable révolution car jusqu’ici le breton n’était guère utilisé que pour l’impression d’ouvrages religieux.
En juillet 1941, il devient speaker à Radio Rennes Bretagne, première radio à émettre des émissions en langue bretonne. Selon Wikipédia cette radio n’a jamais diffusé d’émissions de propagande pro allemandes. La même année Hémon crée ARVOR le premier hebdomadaire en langue bretonne où il publiera quelques articles antijuifs. Devenu Directeur de l’Institut Celtique de Bretagne à Rennes le 7 juin 1942 il y prononce la phrase qui devait lui être la plus reprochée : « « Je me déclare, me tenant sur le terrain strictement culturel qui est le nôtre, partisan d’une collaboration loyale avec les peuples qui façonnent sous nos yeux l’Europe Nouvelle »
A la Libération Roparz Hémon est arrêté et poursuivi pour « atteinte à la sûreté extérieure de l’État ». A son procès en mai 1946, il se voit acquitté de ce chef d’accusation, remis en liberté mais condamné à 10 ans d’indignité nationale. Il perd par la même son statut d’enseignant. En juillet 1947. Il s’installe à Dublin où il enseigne le breton et devient citoyen irlandais. Il continue d’écrire dans tous les genres (poésie, théâtre, romans, grammaire, dictionnaires, essais… Il meurt en 1978 et est enterré à Brest.
Pour de nombreux militants culturels bretons et d’écrivains comme Jakez Helias, Roparz Hemon apparaît comme le chef de file incontesté, de la langue bretonne, et l’admiration à son égard reste grande.
Mais à partir de 1998 l’extrême gauche française remet en cause Roparz Hemon qui se voit systématiquement dénigré tout comme l’enseignement de la langue bretonne. La Libre Pensée, le MRAP, la Ligue des droits de l’homme, les trotskystes, le Parti communiste, Force Ouvrière sont en première ligne. 12 ans après sa création un collège Diwan portant le nom de Roparz Hémon sera débaptisé. Mais en 2016, c’est une première, l’Education Nationale interdit l’édition d’un roman qui cite Roparz Hemon.
Bien inspiré, le quotidien Ouest France écrit à ce sujet : « Reste à savoir s’il faut arrêter de faire lire Le voyage au bout de la nuit de Céline aux lycéens ? »
François Cravic
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