06/02/2016 – 08h00 France (Breizh-info.com) – Zoé Shepard, a publié cet automne Zoé à Bercy, un nouveau livre retraçant les malheurs d’une fonctionnaire « absolument débordée » et surtout ébahie par l’incompétence générale. Cette fois, après deux opus dans une collectivité locale lambda, l’action est transportée au saint des saints de l'(in)compétence administrative publique, à savoir au cœur du « plus grand portique écotaxe de France », le ministère des Finances à Paris-Bercy. Nous avons posé quelques questions à Aurélie Boullet – son vrai nom – qui fut impitoyablement placardisée après que plusieurs de ses collègues se soient reconnus dans son premier livre.
Breizh Info : Zoé Shepard, quelle est votre situation professionnelle maintenant ?
Zoé Shepard : Je suis en Aquitaine, et je traite à nouveau des dossiers après quatre mois de disette. Et en plus, c’est intéressant. Car cela arrive très fréquemment qu’un dossier motivant soit partagé, sureffectif oblige, entre 18 personnes, qui ne recueillent chacune que des tâches sans aucune saveur.
Breizh Info : Pourquoi avoir cette fois-ci transféré l’action de votre nouveau roman à Bercy ?
Zoé Shepard : j’ai pris la décision d’élargir ce que j’écris à toute la fonction publique territoriale, sortir du champ clos d’une collectivité. Montrer qu’il existe aussi une fonction publique compétente et des élus – en l’occurrence un ministre – mis sous tutelle car incompétents, ce qui du reste est logique au vu de la façon dont on s’y prend pour nommer les ministres.
Breizh Info : quels changements avez-vous apporté dans votre façon d’écrire, depuis votre premier livre ?
Zoé Shepard : quand j’ai écrit mon premier livre, j’avais 30 ans, j’étais très énervée, ce qui est moins le cas maintenant. La narration ne fait pas non plus ressortir une fonctionnaire exemplaire, ne serait-ce parce qu’elle n’est pas très sociable.
Breizh Info : et pourquoi Bercy ?
Zoé Shepard : parce que j’envisage mon personnage comme un avatar à qui je fais vivre des aventures. Ainsi, mon père n’est pas communiste, ma mère déteste voyager, et je suis fille unique, dans la vie réelle.
Breizh Info : vous avez été placardisée suite à votre premier livre.
Zoé Shepard : Oui, sans raison apparente. Il y a eu un changement de direction, j’étais embauchée pour quelque chose, en l’occurrence d’un dossier sur la Chine – mais pas sur le même thème que dans le premier livre – et je me suis retrouvée expédiée en soute. Tout en étant toujours payée. Je suis une haute fonctionnaire. Il y a des hauts fonctionnaires à 8 voire 9.000 € par mois dans ma situation. Mais si vraiment vous voulez faire de l’argent, la haute fonction publique, ce n’est pas fait pour. Cependant, ce qui me choque, c’est qu’un contractuel ami d’un élu touche 8.000 € pour débuter, sans avoir passé de concours.
Breizh Info : sont-ils tous incompétents, ces contractuels ?
Zoé Shepard : Il y en a beaucoup, surtout dans la fonction territoriale. Et en même temps il y a beaucoup de contractuels en catégorie C – les moins payés, dans les lycées par exemple – qui sont précarisés alors qu’ils travaillent d’arrache-pied. Ces inégalités sont insupportables.
Breizh Info : quel est votre avis sur la placardisation des fonctionnaires ?
Zoé Shepard : Un quart des agents déclarent être en souffrance à leur travail. C’est un gâchis humain et financier énorme. Qui est d’ailleurs souvent sous la chape de plomb de l’administration : on a eu un questionnaire en 2015 sur la souffrance au travail, et curieusement on n’a jamais eu de synthèse des réponses.
Breizh Info : que font les syndicats ?
Zoé Shepard : La syndicalisation s’est tellement effondrée qu’ils ne pèsent que très peu, et ne peuvent gérer tous les agents. D’autant plus qu’aux yeux du public, on a le mauvais rôle. Nous sommes payés, on a la sécurité de l’emploi, de quoi se plaint-on ? En vérité la fonction publique n’est plus un rêve. Si vous pensez qu’on est des privilégiés, je vous donne un conseil fraîcheur : passez les concours et rejoignez nous, vous verrez.
Breizh Info : pourquoi avez vous rejoint la fonction publique ?
Zoé Shepard : Je suis issue d’une famille où on m’a toujours dit de rendre ce qu’on m’a donné, c’est à dire, puisque j’ai été formée par l’enseignement public, travailler dans l’intérêt général.
Breizh Info : vous avez été placardisée combien de temps ?
Zoé Shepard : De novembre 2008 à mars 2010 pendant 18 mois, puis suspendue. J’ai repris en janvier 2011, ça c’est bien passé, puis j’ai été à nouveau mise au placard de septembre 2014 à septembre 2015. De 2011 à 2013 il y avait du boulot, je me suis plongée dedans, je suis très travailleuse, donc quand il y a du boulot, je le fais et ça se voit. A l’époque, je m’occupais des projets de la région, on cherchait des cofinancements publics existants – de la part d’autres échelons du millefeuille territorial ou de l’État. Par exemple l’Aérocampus, qui est un centre de formation à la maintenance aéronautique, on a eu 5 millions de l’État en deux versements, quatre millions puis un autre, c’est un truc qui fonctionne bien. Cela fait du bien de dire, « j’ai accompli quelque chose, youpi, ça fonctionne, j’ai apporté ma petite pierre à l’édifice ! ».
Et après un an de nouvelle mise au placard, j’en suis ressortie car on était deux dans le service, une cellule en fait, une personne est partie et on m’a remise aux transports.
Breizh Info : les collectivités territoriales n’arrêtent pas de dénoncer l’austérité dont fait preuve l’Etat central à leur égard. Vous êtes au cœur d’une collectivité territoriale, est-on vraiment à un tournant de la rigueur dans la gestion des collectivités ?
Zoé Shepard : ça fait des années qu’on entend que l’État baisse les dotations et ça fait des années aussi que la Cour des Comptes épingle les collectivités pour leurs dépenses. Mais beaucoup de fonctionnaires en ont assez de ces foutaises, des subventions refilées aux potes des élus, des emplois fictifs, des projets publics intéressants mais pas financés car tout a été dépensé par ailleurs. Ce n’est pas une réforme qui va changer les choses. La fusion des régions, c’est une connerie. Sûr que le gars de Guéret va être super proche de celui de Pau, 500 km plus loin !
Dans notre région, entre les logiciels, les logos, les panneaux, les papiers à en-tête, l’externalisation de missions à des consultants, le recrutement d’un nouveau directeur général adjoint, les services délocalisés, les mobilités forcées, les réunions à pétaouchnok… ça va coûter très cher et causer un bazar énorme. Il n’y a vraiment aucune économie dégagée par cette réforme, c’est clair.*
Breizh Info : Zoé, quel est votre rapport à la Bretagne ?
Zoé Shepard : J’aime beaucoup cette région. Je passe toutes mes vacances au Pouliguen, c’est la Bretagne. Cela dit, lors de la réforme régionale, le regroupement entre Bretagne administrative et Pays de Loire aurait été le plus logique et cela n’a pas été fait.
Breizh Info : est-ce que des fonctionnaires qui vivent le drame professionnel de la mise au placard vous contactent ?
Zoé Shepard : Certains, oui. Et j’essaie de les aider. Cela dit je ne vais pas me lancer dans un combat politique ou associatif lié à cette cause ; je ne sais pas faire.
Breizh Info : dans votre dernier livre, vous critiquez avec acrimonie l’éducation bobo, notamment au travers de Marielle, ou d’Elise. Pourquoi ?
Zoé Shepard : Je veux faire ressortir le fait qu’il y a plusieurs féminismes qui se contredisent. Personnellement, je ne me reconnais pas dans les Femen, même si je ne les critique pas ; elles veulent marquer les esprits et ça peut faire avancer les choses. Dans l’éducation, on a cependant l’impression de plus en plus, qu’être enfant, c’est être atteint d’une pathologie, par exemple les enfants ne sont plus énervés mais « hyperactifs ». Je m’étonne qu’on médicalise, qu’on assiste à ce point les enfants.
Breizh Info : pourquoi tenez vous tant à ressusciter le personnage d’Alix, la nièce omniprésente – et incompétente du Don, ce politicien phallocrate et vain, d’abord maire, et dans votre dernier livre devenu secrétaire d’État ?
Zoé Shepard : Quand un élu devient ministre, il prend avec lui son équipe. Par exemple en Aquitaine lorsque Alain Rousset caressait l’idée d’être ministre [du Redressement productif, puis de l’Industrie ], son entourage espérait se voir propulsé à Paris autour de lui.
Breizh Info : Pour finir, sur quels dossiers travaillez vous actuellement ?
Zoé Shepard : Là, je bosse sur l’adaptation des politiques régionales en matière de transports suite à la loi NOTRE : l’Aquitaine a été fusionnée avec ses deux voisines, Poitou-Charentes et Limousin, en plus les régions récupèrent la compétence des transports, jusque là dévolue aux départements, et cela ouvre un énorme chantier pour harmoniser des pratiques et des systèmes très distincts d’un bout à l’autre de notre énorme nouvelle région.
En gros, j’ai du travail jusqu’en 2017. Il faut en effet que je recense les gamins, que j’harmonise les tarifs, mais aussi les marchés publics dont beaucoup de prestataires privés, que je dresse plusieurs scénarios, entre lesquels les décideurs politiques choisiront. C’est un immense chantier.
Propos recueillis par Louis-Benoit Greffe
Zoé à Bercy – Zoé Shepard – Albin Michel – 19,50€
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