05/02/2016 – 05h30 Des Moines (Breizh-info.com) – Tout au long des élections américaines de 2016, retrouvez chaque vendredi l’analyse de Pierre Toullec, spécialiste de la politique américaine, en exclusivité pour Breizh Info ! L’occasion de mieux comprendre les enjeux et les contours d’élections américaines finalement assez mal expliquées par la majorité de la presse subventionnée – sponsor démocrate de longue date. L’occasion également d’apprendre ce qui pourrait changer pour nous, Européens, suite à l’élection d’un nouvel homme fort de l’autre côté de l’Atlantique.
La victoire surprise de Ted Cruz en Iowa
Ce lundi 1er février se tenait la première « primaire » pour l’élection présidentielle américaine de 2016 dans le petit État de l’Iowa.
Le concept de primaires électorales est particulier aux États-Unis et assez différent de ce qui est communément compris en France et en Bretagne. Deux types de votes sont tenus en fonction des États : des « primaires » et des « caucus ». Chaque État vote individuellement et à des dates différentes. Cette année, le premier Caucus s’est tenu le 1er février et la dernière primaire se tiendra le 14 juin, à Washington DC. Une fois ce processus achevé, chaque État envoie des représentants (délégués) en fonction du vainqueur au cours de la Convention nationale tenue durant l’été pour désigner officiellement le candidat à l’élection présidentielle de chaque parti politique.
Cette semaine, l’Iowa a tenu le premier Caucus, une assemblée citoyenne réunissant les membres de chaque parti politique. Chaque citoyen est libre de prendre la parole pour soutenir son candidat favori au cours des réunions tenues dans l’ensemble de l’État. Après plusieurs tours pendant lesquels les citoyens votent en se positionnant physiquement à l’emplacement prévu pour le soutien d’un candidat particulier, des assesseurs comptent le nombre de citoyens acquis à chaque candidat. Celui qui reçoit le plus de « votes » dans l’ensemble de l’État gagne le Caucus de l’Iowa.
L’un des candidats est alors déclaré vainqueur et les Partis républicain et démocrate assignent un nombre de délégués à chaque compétiteur en fonction de la proportion de voix obtenues.
À la surprise des sondeurs et des deux favoris, Donald Trump dans le camp Républicain a été devancé par Ted Cruz et Hillary Clinton dans le camp Démocrate n’est pas parvenue à obtenir une victoire face à Bernie Sanders.
Ted Cruz, le candidat de la droite libérale-conservatrice ?
Rafael Edward dit « Ted » Cruz est un jeune sénateur républicain du Texas de 45 ans, élu pour la première fois à ce poste en novembre 2012. Son père est un immigrant cubain et sa mère est fille d’immigrants irlandais et italiens. De religion protestante (Southern Baptist), Ted est marié à Heidi Nelson, originaire de Californie et très au fait de la politique et de l’économie européenne. Elle a étudié à l’Université de Strasbourg et est diplômée de l’Université Libre de Bruxelles. Le couple a deux petites filles, Caroline et Catherine.
Lors de sa campagne de 2012 pour le Sénat, Ted s’est fortement engagé dans un combat anti-Washington, décriant le centralisme fédéral et la forte intervention de l’État dans l’économie. Ted Cruz est un fervent défenseur d’une économie libérale (« Libertarian » aux États-Unis). Il a fait appel aux voix de ce courant politique dès 2012 et s’est violemment attaqué à la vision étatiste de la gestion de l’économie de certains de ses adversaires, dont principalement la démocrate Hillary Clinton et le Républicain Donald Trump, coupables à ses yeux de prôner un capitalisme de connivence entre l’État et les entreprises privées.
Pour Ted Cruz, la politique inflationniste de la banque centrale américaine (la FED) et de ce que la droite libérale appelle le « crony capitalism » (c’est-à-dire un capitalisme de connivence entre l’État et les entreprises) est au cœur des bulles spéculatives à répétition que l’Occident en général connait depuis plusieurs dizaines d’années. Ted Cruz a fait une proposition de loi pour que la FED soit auditée par le Congrès, il propose la suppression des impôts sur le revenu et sur les sociétés pour les remplacer par une Flat tax unique à un taux de 10%.
Ted Cruz a affirmé dès 2012 sa différence avec les leaders Républicains des années précédentes pour ce qui est de la politique internationale. Il s’est en particulier fortement engagé contre une intervention en Syrie pour armer les opposants à Bashar Al-Assad. Sa position sur la politique internationale est souvent caricaturée, car mal comprise par l’observateur inattentif. Ted Cruz souhaite moins d’interventions militaires à travers le monde, mais considère que lorsque les États-Unis décident d’une intervention face à une menace précise, il faut y aller de toutes ses forces. Ainsi, Ted Cruz défend la stratégie du tapis de bombes contre ISIS le temps de battre cette puissance montante d’une manière proche de ce qui avait été fait par la coalition internationale en 1991, puis de se retirer et de laisser les peuples vivres en paix. Il reste un défenseur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à cette fin il souhaite que les États-Unis arment les Kurdes et leur permette d’avoir leur propre pays indépendant, qu’importe l’opinion de la Turquie sur ce sujet.
Enfin le troisième grand axe de campagne de Ted Cruz est la fracture générationnelle. Il utilise massivement dans les discours et dans les débats cette question de génération, accusant indirectement la génération du baby-boom d’avoir profité d’une politique à la limite du socialisme, prônant la redistribution plutôt que l’innovation et l’entrepreneuriat.
Ted Cruz est-il éligible à la Présidence des États-Unis aux yeux de la loi américaine ?
La constitution précise qu’un Président des États-Unis ne peut être qu’un individu né citoyen américain. Cependant, les termes sont peu précis, affirmant que le Président doit être un « natural-born citizen ». Ses deux parents sont citoyens américains, sa mère par sa naissance et son père par naturalisation depuis 2005, mais Ted Cruz est né au Canada. Cela est-il suffisant ? La situation était semblable pour le candidat républicain de 2008, John McCain, fils de militaire né à Panama.
Cependant l’un des principaux adversaires de Ted Cruz est Donald Trump. Ce dernier était à l’origine d’un important mouvement pour affirmer que le Président Barack Obama ne pouvait pas être président, car non né sur le territoire américain, qu’importe la nationalité de sa mère américaine. Trump a lancé une attaque similaire contre Ted Cruz. Il est possible que dans les prochains mois, le Congrès américain ou la Cour Suprême se penche sur l’éligibilité ou non de Ted Cruz à la Présidence des États-Unis, comme cela avait été le cas en 2008 pour le Sénateur John McCain.
L’ensemble des résultats du Caucus de l’Iowa
Les conséquences de l’Iowa
Quelle est l’importance du résultat de l’Iowa pour les prochains votes ? Au-delà du fait qu’il ne s’agit que d’un État sur cinquante, l’Iowa est un État très particulier dans lequel l’électorat ne réagit pas d’une manière équivalente au reste du pays.
Premièrement, l’Iowa est le trentième État le plus peuplé des États-Unis. Sa population représente seulement 0,97% de la population américaine et est loin d’être similaire au reste du pays en termes de démographie. Plus de 91% de sa population est blanche (contre 63% pour l’ensemble des cinquante États), moins de 3% sont noirs (contre 12,2% sur l’ensemble du pays) et la population hispanique y est inférieure à 1% (contre 16,3% dans l’ensemble du pays).
La religion y joue aussi un rôle très différent comparé au reste du pays. La population y est beaucoup plus protestante que dans les autres États (les catholiques sont notamment beaucoup moins nombreux que dans le Sud-Ouest et sur la côte Est). Il faut ajouter que le nombre d’agnostiques et d’athées y est moindre que dans les États de la côte Est et de la côte ouest.
Enfin, l’Iowa est un État beaucoup plus rural, avec seulement 61% de sa population résidant en ville.
Cependant, chaque résultat influence les électeurs suivants et permet aux vainqueurs de recevoir beaucoup plus d’attention médiatique, leur permettant de gagner des voix au cours des prochains votes.
La différence entre Caucus et Primaires
La différence entre ces deux modes de scrutins crée un déséquilibre dans l’attention qui leur est donnée. Les Caucus sont considérés comme moins importants, car ils regroupent principalement les militants et attirent un public moins large. À l’inverse, les primaires sont vues comme étant de meilleure qualité, car ouverte à tous les sympathisants, mais aussi aux indépendants et parfois aux électeurs du parti opposé. Pour cette raison, la primaire du New Hampshire – qui se tiendra la semaine prochaine – est souvent vue comme plus importante que le caucus de l’Iowa.
Il est intéressant de rappeler qu’en 2008, l’Iowa a été gagné par Mike Huckabee, mais c’est le vainqueur du New Hampshire (John McCain) qui a remporté la nomination républicaine. De même, en 2012, Rick Santorum a remporté l’Iowa, mais c’est Mitt Romney qui a gagné au New Hampshire et est devenu le candidat face au Président Obama.
Les abandons
La principale conséquence de ces premières primaires et caucus est de « faire le ménage ». Jusqu’ici, les candidats ayant peu de soutiens dans les sondages pouvaient argumenter du fait qu’il ne s’agissait que de sondages – et à raison puisque les instituts de sondages se sont trompés pour les Démocrates et les Républicains. Une fois les premiers votes comptabilisés, le message des électeurs a un impact sur les candidats. Peu après l’annonce des résultats, l’ex-gouverneur Mike Huckabee a fait part de sa décision d’abandonner la course. Le Sénateur Rand Paul en a fait de même ce mercredi, tout comme Martin O’Malley chez les démocrates. La primaire du New Hampshire aura aussi cet effet.
Les prochaines étapes
La prochaine étape sera le vote au New Hampshire le mardi 9 février. Les cartes sont rebattues et plusieurs candidats avaient fait le choix de ne pas faire campagne en Iowa pour se concentrer sur le New Hampshire. Il s’agira là d’une primaire. Son résultat sera au moins aussi important que celui de l’Iowa.
Pour le reste du mois de février, à des dates différentes, la Caroline du Sud et le Nevada seront les prochains à voter. À ce moment-là, la situation aura peut-être commencé à s’éclaircir avant le Super-Tuesday (le Super-Mardi) du 1er mars 2016 !
Crédit photo : Flickr (cc) / Jamelle Bouie
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