24/01/2016 – 07H30 Rennes (Breizh-info.com) – Breizh-info a présenté en milieu de semaine l’ouvrage « Le monde des anciens celtes » de Venceslas Kruta. Historien et archéologue, ce dernier fait partie des spécialistes reconnus du monde celtique auquel il a consacré une quinzaine d’ouvrages. Nous l’avons interrogé à ce sujet.
Breizh-info.com : Vous étiez récemment au premier colloque organisé par Keltia, les mondes celtes. Racontez-nous.
Venceslas Kruta : Le Colloque organisé le 11 novembre de l’année dernière par Keltia à la Mission bretonne de Paris a été un succès indiscutable. La grande salle était occupée jusqu’aux dernière places par un public nombreux, très motivé et informé, comme l’on démontré les questions posées aux conférenciers, choisis parmi les spécialistes en la matière, connus par leurs travaux des amateurs du sujet. Dans l’ordre des interventions, après la présentation de Fabien Régnier, directeur de Keltia : moi-même, Bernard Sergent, comparatiste réputé, connu par ses travaux sur les religions anciennes et le monde indo-européen, Dominique Hollard, éminent numismate, spécialiste du monnayage gaulois, également actif dans l’étude de la religion celtique jusque dans ses persistances médiévales et Jacques Lacroix, qui a su dépister au fil des années dans le paysage qui nous entoure les vestiges éloquents de l’omniprésence du passé celtique. Évidemment, ces interventions ne pouvaient présenter qu’un nombre limité d’aspects de la civilisation des anciens Celtes et de leur héritage. Dans leur complémentarité elles ont toutefois illustré très efficacement la diversité des approches et les progrès considérables des recherches dans ce domaine. Public et conférenciers sont sortis de cette réunion très réussie avec la conviction qu’il ne faut pas en rester là et la volonté de se retrouver dans un an pour une autre rencontre.
Breizh-info.com : Qu’est ce qui vous a poussé à écrire cet ouvrage sur le monde des anciens Celtes, qui suit l’ouvrage paru en 2000 sur la question des Celtes ?
Venceslas Kruta : Ainsi que je l’explique dans l’avant-propos à l’ouvrage Le monde des anciens Celtes paru en octobre dernier aux éditions Yoran de Fouesnant, ce livre est la quatrième métamorphose d’un volume somptueusement illustré par des cliché du grand photographe Erich Lessing (Les Celtes, Paris, Hatier, 1978), inventeur du concept éditorial qui consiste à juxtaposer des chapitres de texte généraux à des thèmes traités en images commentées. La formule connut un succès qui conduisit à réimprimer le volume dans l’année qui suivit sa parution. L’éditeur de la version allemande me demanda en 2000 une mise à jour du texte en vue de la publication de l’ouvrage en livre de poche qui sortit la même année. Malheureusement, sans la partie illustration, essentielle à l’équilibre général. L’idée de mettre en chantier une édition française fut accompagnée d’une réflexion sur la façon de remplacer les photographies suggestives d’Erich Lessing. Plus modeste, mais efficace, la solution adoptée relève du même esprit : la possibilité d’une lecture autonome de l’illustration, regroupée par sujets dans des séquences autonomes. Repensé ainsi, l’ouvrage fut publié en 2001 (Aux racines de l’Europe le monde des Celtes, Paris, Kronos, 2001).
C’est cet ouvrage, mal diffusé mais néanmoins épuisé, qui a été entièrement révisé et mis à jour, avec un texte et une illustration amplifiés de manière significative qui est aujourd’hui proposé aux lecteurs. Parmi les thèmes développés dans Les Matériaux et documents figure désormais le remarquable site breton de Paule (p. 239 : Paule. Une résidence aristocratique dans la campagne armoricaine), illustré grâce aux documents fournis généreusement par l’auteur des fouilles Yves Menez.
On peut dire que, mises à part les indispensables mises à jour, rendues inévitables par la quantité et la qualité des découvertes, l’ouvrage pourra fournir au lecteur pendant de longues années une bonne introduction au monde des anciens Celtes, des origines à la romanisation et à l’avènement du Christianisme.
On m’a souvent posé la question pourquoi j’ai publié autant d’ouvrages sur les Celtes, du « Que-sais-je ? » réédité une douzaine de fois depuis 1976, jusqu’à L’art des Celtes (Paris, Phaidon, 2015). J’ai enseigné la protohistoire de l’Europe à l’École pratique des Hautes études pendant trente-quatre ans et suis arrivé à la conclusion qu’il est indispensable à communiquer le savoir non seulement à quelques élus, mais à un public le plus large possible. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu développer différentes formules, fournissant différents types et quantités d’information. Ceux qui connaissent mes travaux savent qu’ils ne sont pas répétitifs, mais complémentaires. Le plus élaboré, édité en 2000 dans la collection « Bouquins » de R. Laffont (Les Celtes. Histoire et dictionnaire. Des origines à la romanisation et au christianisme) s’est vu décerner l’année suivante le Grand prix d’Histoire de l’Académie française.
Breizh-info.com : Aujourd’hui, que sait-on de plus qu’il y a 10 ou 20 ans sur nos ancêtres ?
Venceslas Kruta : Les bouleversements qualitatifs et quantitatifs qu’a connu la recherche sur les anciens Celtes ont débuté en France dans le dernier tiers du siècle dernier. Un des événements qui marquent leur renouveau est le Congrès international d’études celtiques qui se déroula à Rennes en 1971. Aux côtés des idées « traditionnelles » s’y manifestèrent les premiers symptômes d’un changement qui ne consiste pas tant à remettre en question les acquis antérieurs, mais à reprendre les données pour les affiner et mieux expliquer les différents aspects de la civilisation celtique. On assista ainsi depuis à une nouvelle évaluation de l’art celtique (Paul-Marie Duval, Les Celtes, « l’Univers des formes », Gallimard, Paris, 1977) dans son contexte européen. C’est surtout cet élargissement des recherches sur les Celtes indépendamment des confins régionaux et nationaux – en France le cadre « gaulois »- qui a permis de mieux comprendre les aspects dynamiques du monde des anciens Celtes, du lien de l’évolution de leur culture avec les changements de société, les mouvements humains, la multiplication de contacts avec le monde des cités méditerranéennes et autres.
Désormais le cadre régional ou national est réservé à l’établissement d’inventaires d’objets ou de sites, mais leur compréhension est impossible sans sortir de ces limites.
Les contacts interdisciplinaires s’avèrent également indispensables. En effet, il est évident que l’art celtique ne peut être dissocié de la connaissance de l’univers spirituel dont il constitue un des témoignages essentiels. Ainsi, le bilan de nos connaissances dans ce domaine où la tradition littéraire insulaire joue un rôle fondamental, est aujourd’hui rendu accessible par l’ouvrage monumental de Philippe Jouët (Dictionnaire de la mythologie celtique, Yoran Embanner, Fouesnant, 2012). Il a contribué de manière très importante aux résultats dans l’interprétation de la signification des œuvres figurées que j’ai pu résumer dans mon récent ouvrage consacré à l’art des Celtes. Ce premier bilan systématique établi dans cette optique jusqu’ici négligée pourra être certainement enrichi et développé dans les années à venir.
Breizh-info.com : La recherche sur ces périodes est elle favorisée , notamment en France ? On a l’impression que la recherche de notre lointaine mémoire n’est pas une priorité actuellement, notamment dans l’Education nationale
Venceslas Kruta : On ne peut pas considérer que la recherche sur les Celtes est favorisée en France, surtout comparée à la place réservée aux études gréco-romaines, aussi bien dans le domaine archéologique, que linguistique et littéraire. Les enseignements sont peu nombreux, sauf en Bretagne, où ils sont présents dans les Universités de Rennes et de Brest. Ailleurs, bien peu d’intitulés : à Paris IV-Sorbonne,,les cours « Art et archéologie celtique » sont assurés par mon ancienne élève Nathalie Ginoux, Maître de conférences (HDR) en art et archéologie des mondes celtes. Autrement, des options dans le cadre de certains enseignements de Protohistoire ou Antiquités nationales, un ancien concept, désormais désuet, car il limite d’emblée le champ au territoire français. Ma direction d’études à l’École pratique des Hautes études est désormais consacrée aux civilisation anciennes de la Méditerranée orientale et l’enseignement de Pierre-Yves Lambert de « Langues et littératures celtiques » porte principalement sur le domaine philologique.
Il serait souhaitable que certaines universités développent un principe qui a été couronné de succès, à savoir celui de la pluridisciplinarité, fournissant aux étudiants une base de connaissance élargie, la seule à permettre un progrès significatif dans l’approche des sujets traités par les disciplines concernées.
Par exemple, il est tout à fait regrettable qu’un savant du calibre de Philippe Jouët ne puisse communiquer son savoir autrement qu’à l’occasion de conférences occasionnelles ou de publications. Le monde des anciens Celtes étant un élément fondateur de l’identité européenne, au même titre que le monde gréco-romain, il mériterait plus de considération.
Breizh-info.com : Qu’est ce qui caractérise la civilisation celte ? Quels liens existent ils entre ces générations, et les nôtres aujourd’hui ? Quel héritage ?
Venceslas Kruta : Le monde des anciens Celtes nous a laissé un héritage multiforme omniprésent, même si nous n’en n’avons pas conscience. Il suffit de regarder autour de nous et de chercher l’origine des noms qui meublent les paysages qui nous entourent : outre le nom de grandes villes ou provinces – en France presque toutes ont pour origine le nom d’un ancien peuple préromain (c’est le cas de Paris et bien d’autres). Il en est ainsi également de Berne, Bergame, Genève Milan, de la Bohême et d’autres. Sans compter les fondations celtiques qui portent aujourd’hui un autre nom : Bratislava, Belgrade, Budapest, pour n’évoquer que des capitales.
Cette présence concerne cependant aussi d’innombrables noms de lieux, de bourgs ou villages à de modestes lieux-dits.
Les fêtes religieuses de notre calendrier sont les héritières des grandes fêtes celtiques : ainsi, la Lugnasad grande fête de l’été en l’honneur du dieu Lug, particulièrement vénéré par les Celtes, à l’origine du nom de Lyon-Lugdunum (« la ville de Lug ») a été remplacée par le Ferragosto des Italiens, notre 15 août ; quant à Samain, la fête qui marquait la fin de l’année et le début de l’année nouvelle, un moment où s’ouvrait la communication entre le mode des défunts et celui des vivants, c’est aujourd’hui notre Toussaint.
On pourrait continuer en évoquant l’héritage qui nous est parvenu à travers les traditions populaires. Un exemple particulièrement éloquent est fourni en Bretagne par la Troménie de Locronan, si bien étudiée par Donatien Laurent, qui reprend une circumambulation à base calendaire dont le modèle remonte à une conception de l’année bien plus que bimillénaire.
On pourrait mentionner bien d’autres témoins de cette omniprésence du passé celtique. Il est regrettable qu’ils ne soient pas suffisamment connus, mais beaucoup de personnes s’y intéressent désormais et il faut espérer que leur nombre ne cessera de croître. Elles se rendront compte combien nous sommes encore aujourd’hui conditionnés par un passé celtique qui, loin d’être une période de « sauvagerie » comme le croient encore certains, constitue une indiscutable richesse et empreigne notre présent.
Le Monde des anciens Celtes – Venceslas Kruta – Yoran Embanner – 19 euros
Photo : Olivier Roller (DR)
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2 réponses à “Venceslas Kruta : « Le monde des anciens Celtes mériterait plus de considération. » [ interview ]”
Je connais, c’est un très grand historien sur le celtisme. J’ai été un de ses étudiants à Paris pendant 1 an !
La synthèse de ce Monsieur , c ‘est de dire que les bretons sont des gaulois .