23/12/2015 – 08h00 Lannilis (Breizh-info.com) – Entre Céline, le grand écrivain aussi génial que controversé, et la Bretagne, tout commence en 1904.
Louis Ferdinand Destouches dit Céline, est né à Paris en 1894 d’un père issu d’une famille de petite noblesse normande, mais s’est toujours proclamé Breton et écrivain breton. La preuve, sa mère, une commerçante parisienne du nom de Marguerite Guillou, n’est-elle pas d’ascendance bretonne ? Il affirmera sa bretonnité toute sa vie.
Un lien continu à la Bretagne
Dans un article du magazine Bretons de juillet 2011, Maïwenn Raynaudon-Kerzerho dira que la Bretagne aura été son « fil rouge » et sa constante « terre d’attache », et Henri Godard que « La Bretagne faisait partie de l’intime chez Céline (…) une bonne partie de sa vie affective est là-bas ».
En 1904, Louis Ferdinand n’a que dix ans quand sa grand-mère, Céline Guillou née Lesjean, meurt vingt cinq ans après son mari, un grand père que le jeune garçon n’a pas connu. De son patronyme, Guillou, l’écrivain tirera sa légitimité bretonne ; de son prénom, Céline, il fera son nom de plume.
Pourtant, les Guillou ne sont pas d’ascendance bretonne mais sarthoise et normande, et c’est dans sa famille paternelle qu’il existe un vrai mélange entre noblesse normande et origine bretonne, plus particulièrement Vannetaise.
Depuis le revival Célinien, l’activité fébrile des associations et des sites qui lui sont consacrés, et une admiration sans borne pour l’écrivain affirmée par B. H. Lévy, Bukowski, Tardi, A. Nothomb, P. Modiano ou bien d’autres, il semble plus aisé d’aborder le génie littéraire d’un écrivain qui s’est fendu des pamphlets antisémites les plus virulents des années 40.
Le romancier aura connu un succès de librairie couronné d’un Prix Renaudot en 1932 avec Voyage au bout de la Nuit, développant un pessimisme radical et dénonçant les sociétés fascistes, bourgeoises et marxistes. Son second roman, Mort à Crédit, est un chef-d’œuvre mais fut si controversé que Céline délaissa un temps le roman pour le pamphlet : trois brûlots d’une violence antisémite inouïe furent édités en 1937, 1938 et 1941. Ayant rejoint le gouvernement Vichyste en déroute à Sigmaringen, il en tirera un long roman formé de trois volets, D’un Château l’autre, Nord puis Rigodon, édités entre 1957 et 1969.
La Bretagne, peu présente dans son œuvre romanesque, restera pourtant omniprésente tout au long de sa vie d’homme. Bretons dira qu’il a été « Breton, par choix », et l’écrivain Gaël Richard a fait paraître en 2013 un long volume de 600 pages intitulé La Bretagne de L.-F. Céline, étudiant sa liaison, familiale, humaine, politique (proche des nationalistes bretons) ou littéraire à la Bretagne.
Son parcours est bien connu : avant d’être écrivain, L.-F. Céline est médecin, et le sera toute sa vie, élaborant même un traitement en 1933 contre la maladie de Basedow, le Basedowine. En 1918, il travaille pour la commission Rockfeller luttant contre la tuberculose.
Il rencontre à Rennes le Dr Follet, Président du comité départemental contre la tuberculose et mandarin de la capitale bretonne : désormais résidant à Rennes, il épouse sa fille Edith, dont le grand père n’est autre qu’Augustin Morvan, la sommité médicale brestoise, également député-maire de Lannilis, qui a laissé son nom à l’Hôpital de Brest : l’homme et l’hôpital sont devenus depuis des Monuments Historiques. Edith, issue d’une confortable bourgeoisie, est une fameuse illustratrice : elle illustre La semaine de Suzette et les rééditions de Beaudelaire ou de Mme De Lafayette. Ils se marient, et leur fille unique, Colette, naît en juin 1920. Il fait connaissance de sa belle famille, originaire de Centre Bretagne et du Léon, et se lie particulièrement d’affection avec la tante de sa femme, la poétesse et romancière Mathilde Delaporte, habitant à Lannilis, puis à Quintin, où officie son mari, le notaire Delaporte, lui aussi de Lannilis.
Une descendance enracinée
C’est lui qui y marie Edith et Louis Ferdinand en 1919. Mathilde et le colonel Victor Laporte sont les enfants de la sœur d’Augustin, et c’est avec Victor que Céline se lie tant d’amitié qu’il en fait son témoin de mariage. La vie de famille peut être déroutante pour une personnalité libre et atypique : étouffant dans son mariage, Céline multiplie des conquêtes, finit sa vie avec une autre femme, Lucie Almansor, mais n’aura pas d’autres enfants. Il revient très régulièrement, toujours fidèle à sa Bretagne, en villégiature à Saint Malo, Dinard, l’Aber Wrac’h, Quimper et Beg Meil. Il envisage un moment d’acheter avec sa maîtresse la célèbre pianiste Lucienne Delforge (Céline était grand mélomane et Lucienne connaissait depuis toute jeune Erquy et la Bretagne) une demeure sur la Mer d’Iroise à côté du Conquet, mais sa résidence habituelle resta le Sillon de Saint Malo, au milieu des remparts et des navires, face aux îles et aux goélands. C’est entre Saint Malo et Paris qu’il écrit ses trois pamphlets, à St Malo qu’il écrit l’intégralité de Guignol’s Band ; en exil au Danemark, Saint Malo et Quimper furent définitivement ce qui lui manquait le plus, en dehors de son chat le célèbre Bébert.
Son unique fille, Colette Turpin-Destouches, est morte à 91 ans à Lannilis où elle résida après une jeunesse à Paris, plus proche ainsi de ses racines familiales. « Colichon », le surnom que lui donnait son père, ou « Nénène », le surnom que lui donnèrent ses enfants et petits enfants issus d’un mariage avec l’ingénieur Yves Turpin, entama la rédaction de ses souvenirs au début des années 90. A sa mort dans sa maison face à l’église de Lannilis, Le Figaro en publiera quelques pages en 2011.*
Son fils ainé, le premier petit-fils de Louis-Ferdinand, est né en 1942 : Jean Marie est le seul de ses petits enfants à l’avoir connu et rencontré, sa correspondance avec le grand écrivain, alors en exil puis en prison au Danemark, est publiée par François Gibault en 1981.
C’est à Paris que J.-M. Turpin fait des études de philosophie et obtient l’agrégation puis le doctorat : il enseigne à la Sorbonne, ce jeune homme brillant et alerte a deux garçons, Pierre Hoël et Simon, avec sa femme Josée. Remarqué par l’écrivain et journaliste breton Jean Edern Hallier, il se dirige, tout en continuant ses cours à Paris, vers une carrière de romancier, comme son grand père. Il emménage alors chez ses cousins, Marc et Marie-Madeleine Lambert, avocats Rennais venant de déménager à Brest. Sa cousine Marie-Madeleine, l’une des très rares docteurs et avocates bretonnes en sa jeunesse, n’est autre que la fille du témoin de Céline, Victor, le Colonel Laporte : c’est lui que Céline recommande à son petit fils en ces termes « il n’avait pas de couronne mais un képi et un sabre et des moustaches et des gants blancs et une allure d’au-moins de maréchal » pour lui conseiller une carrière militaire lorsqu’ils se rencontrent. **
Recueillant suffisamment de documents à Brest et à Lannilis, J.-M. Turpin publie coup sur coup chez Hallier Editions (Albin Michel) Sol ou Jules Lequier, Augustin Morvan et Les Runes. Ces trois romans firent dire à Jean Edern Hallier que le petit fils de Céline est l’un des plus grands romanciers français contemporains. En 1990, l’écrivain publie à L’Age d’Homme Le Chevalier Céline, un autre roman La Guerre Langéenne chez Flammarion, et plusieurs ouvrages philosophiques dont l’autobiographique Les nuits de l’entendement pur néo-kantien chez Les cahiers bleus sous le nom de JM Turpin des Touches de Lantillières de L… . Ce changement de nom est en train de manifester l’obsession mortifère que développe le petit fils vis-à-vis de son grand père en reprenant tous les titres de noblesse de sa famille, cette obsession s’accompagne d’une désocialisation progressive et J.-M. Turpin devient plus connu localement pour ses frasques que pour ses coups de génie littéraires.
Le lien entre Turpin et la Bretagne est de nature évidente, familiale et profonde, le lien entre l’œuvre de Turpin et la Bretagne, manifeste : outre des personnages centraux de son œuvre littéraire, Jules Lequier, Augustin Morvan (son propre arrière grand père), tout le récit des Runes se passe dans la campagne sauvage du Léon et du pays des Abers. Mais aussi dans Sol, un roman « dont les premières et dernières pages sont parmi les plus belles pages de la littérature française de la fin du siècle, et bretonnes assurément ».
Dans Augustin Morvan ou les images divines des petits garçons de Lannilis, Jean-Marie décrit avec fraîcheur et un style très particulier la vie d’Augustin Morvan, homme politique s’étant engagé dans une Gauche Républicaine dont il fut député pour le Finistère (1871-1876), mais également maire de Lannilis, un bourg qu’il ne pût quitter pour Paris, trop attaché à son peuple. Il soigna gratuitement, le long de son mandat, les pauvres de sa circonscription, et empoigna avec courage politique le cas des « filles-mères » : il était appelé « le médecin des pauvres » selon son arrière arrière petit fils Jacques Arnol, officier de la Marine. A l’origine de la loi de l’enfance malheureuse, la loi Morvan-Roussel, ses convictions lui valurent de violentes attaques provenant de différents milieux politiques et cléricaux. Sur le front médical, il rédigea de nombreux travaux sur le myxédème, la chorée, les problèmes de thyroïde, l’hygiène opératoire, découvrit la maladie dite de Morvan, et exerça jusqu’à la fin de sa vie.
J.-M. Turpin est mort cette année, en 2015, à 72 ans à Landéda dans sa demeure jouxtant les marais et la plage de Brouënnou, entre Aber Wrac’h et Aber Benoît. Il sera resté en quelque sorte fidèle à ce que lui conseilla son grand père: il s’éteint à quelques centaines de mètres où est mort l’oncle colonel Victor en 1941. La maison de ce dernier est devenue le charmant Hôtel de la Baie des Anges.
Un témoignage d’actualité
Dominique Lambert a bien connu son cousin Turpin, plus que Colette, « une femme magnifique de gentillesse ». Né il y a quarante ans à Rennes mais également originaire de Lannilis, il est breton, et normand du côté paternel, il connaît parfaitement les lieux préférés de son grand oncle qui sont ceux de sa famille : Saint Malo, Dinard, l’Iroise, et Quimper dont il est actuellement conseiller municipal.
Une implication littéraire et politique, ce descendant Morvan direct (4e génération), l’unique (avec son frère) petit-fils de Victor, peut-il échapper politiquement ou littérairement à sa famille ? Une famille si conservatrice et catholique, interdisant à ses garçons autre que le métier d’officier ou médecin, n’accordant à ses filles que statut de femme de lettres ou moniale, une famille ayant compté l’auteur furieusement antisémite de L’école des cadavres en son sein?
L’héritage breton de Céline est-il donc un don littéraire ? « Peut être » dit celui qui a collaboré avec le jeune compositeur breton, Benoît Menut, sur un disque, Monologue(s) (chez Sonogramme) ayant reçu le Prix Salabert de la Sacem, un beau prix contemporain de musique classique.
Sa poésie sans concession et profonde rappelle un certain style. L’amour de la Bretagne ? « Immodéré ». Le même athéisme mystique ? On devine un sourire derrière le téléphone. Le sens du peuple ? « ma vision est collective » . Celui du voyage ? Evident pour un voyageur qui réside désormais dans ce Quimper, que Céline aimait tant, y fréquentant le poète Max Jacob et l’architecte Olier Mordrel : Céline envisagea d’y acheter une maison avec sa compagne en 1951, à son retour du Danemark : « le doux Odet… cette délicate région quimpéroise si subtile et si rêveuse et si prosaïque aussi » écrivait-il en exil.
Il dresse un portrait saisissant de Jean Marie Turpin : « nous ne parlions que de l’Aber Wrac’h, des ombres et des lumières de notre pays, un peu de famille, et des bistrots du port. L’obsession de l’héritage l’a rongé de l’intérieur, l’a poussé vers une spirale destructrice, elle s’est conjuguée avec un jeu socratique de la provocation, il rejouait Diogène et Socrate. Il a toujours été fidèle à son amitié presque filiale pour ma grand-mère. En philosophie, on n’était jamais d’accord. On n’avait ni le même âge ni les mêmes amis, mais la même famille et le même pays qu’on ressentait de la même manière. On était cousins comme deux chiens qui se flairent à distance, ses yeux bleus préféraient le vert de la terre, mes yeux verts préférent le bleu de la mer».
Et l’antisémitisme ? « Ce n’est pas une maladie génétique, plutôt l’expression d’une paresse intellectuelle, d’une jalousie. L’antisémitisme est à l’esprit ce que la graisse est au corps. Il atteint parfois les esprits brillants, mais l’âme bretonne est trop stoïque, naturelle et fraîche pour s’y fourvoyer. La Bretagne doit se relever, et se relèvera, tout en restant belle d’âme et honnête avec elle même. J’ai rencontré » continue-t’il « beaucoup d’anges qui étaient juifs. ».
La Bretagne ne semble pas accepter l’héritage tant littéraire que politique d’un écrivain dont le cynisme et le pessimisme n’ont rivalisé qu’avec un « réalisme fulgurant » et une sensibilité sans égal. Il se disait pourtant Breton et fier de la Bretagne. L’héritage d’un seul écrivain est-il donc toujours trop lourd pour une Bretagne trop faible ? Fût il l’écrivain maudit par excellence, fût il pour de nombreux lecteurs le plus grand écrivain français ?***
Il méprisait Vichy, bien qu’ayant voyagé jusqu’à Sigmaringen où s’était réfugié le gouvernement de Vichy en 1944 car se sentant physiquement menacé. Il était à Rennes le voisin d’Anatole Le Braz, discutait dans les cafés fréquentés par les autonomistes et nationalistes bretons, a été séduit par Olier Mordrel, dînait avec Camille Le Mercier d’Erm, fondateur du PNB, Taldir Jaffrenou, auteur de l’hymne national breton le Bro Gozh, ou encore le sculpteur Armel Beaufils.
Il ne s’engagea jamais dans un mouvement breton mais partagea beaucoup de thèmes avec la partie de sa frange la plus nationaliste ou la plus authentique. Entre littérature et politique, dans la tourmente de l’Histoire, génie solitaire, Céline traça son sillon mais n’oublia jamais la Bretagne.
Yann Vallerie
* Le Figaro, 25 mai 2011,
**Présent, 28 mars 2015,
*** un récent sondage donnait 63% Victor Hugo comme le plus grand écrivain français, et 2% Céline, bien que ce dernier ne soit pas étudié en collège ni en lycée
3 réponses à “Les héritiers bretons de Louis-Ferdinand Céline [enquête]”
Céline Louis Ferdinand Destouches est un drame de la maladie mentale incipiens à lui tout seul.
Il rend l’Intelligence et la Culture absolument Vaines (contrairement aux prétentions usuelles qui en font l’Alpha et l’Omega des « solutions sociétales et sociales »)
Fabrice Lucchini représente bien la congruence tragique de ces états mentaux paranoïaques et du génie afférent aux structures psychotiques…
Nous sommes donc obligés d’admirer l’Ecrivain et de mépriser totalement l’Homme « politique » et nous appitoyer malgré tout et Nous sur son etat de Malade…Difficile quadrature du cercle…
J’ai une autre analyse.
A titre amateur, je me suis initié à la psychanalyse. Je peux essayer d’analyser autrui tout en me méfiant constamment de ne pas être déviant moi même, en fait nous le sommes tous et Freud le premier.
Vous connaissez des grands artistes homme « politique »? Personnellement, je suis incapable de citer un nom. Y a t-il des artistes SFIO, et maintenant PS, LR, UDI ? Georges W Bush est devenu peintre avec quelle cote ?
Au 20ième, la majorité des plus grands artistes étaient communistes. Picasso, Sartre, Camus … Dans l’autre côté, on a vu Dali, Le Corbusier, quelques bretons en Irelande. Céline bien sûr. Le cinéaste Autant Lara.
Une autre caractéristique de ces artistes est qu’ils restent dans la dialectique. Céline n’a jamais concrètement collaboré.
Un artiste provoque ou n’existe pas.
[…] C’est à Paris que J.-M. Turpin fait des études de philosophie et obtient l’agrégation puis le doctorat : il enseigne à la Sorbonne, ce jeune homme brillant et alerte a deux garçons, Pierre Hoël et Simon, avec sa femme Josée. Remarqué par l’écrivain et journaliste breton Jean Edern Hallier, il se dirige, tout en continuant ses cours à Paris, vers une carrière de romancier, comme son grand père. Il emménage alors chez ses cousins, Marc et Marie-Madeleine Lambert, avocats Rennais venant de déménager à Brest. Sa cousine Marie-Madeleine, l’une des très rares docteurs et avocates bretonnes en sa jeunesse, n’est autre que la fille du témoin de Céline, Victor, le Colonel Laporte : c’est lui que Céline recommande à son petit fils en ces termes « il n’avait pas de couronne mais un képi et un sabre et des moustaches et des gants blancs et une allure d’au-moins de maréchal » pour lui conseiller une carrière militaire lorsqu’ils se rencontrent. ** Recueillant suffisamment de documents à Brest et à Lannilis, J.-M. Turpin publie coup sur coup chez Hallier Editions (Albin Michel) Sol ou Jules Lequier, Augustin Morvan et Les Runes. Ces trois romans firent dire à Jean Edern Hallier que le petit fils de Céline est l’un des plus grands romanciers français contemporains. En 1990, l’écrivain publie à L’Age d’Homme Le Chevalier Céline, un autre roman La Guerre Langéenne chez Flammarion, et plusieurs ouvrages philosophiques dont l’autobiographique Les nuits de l’entendement pur néo-kantien chez Les cahiers bleus sous le nom de JM Turpin des Touches de Lantillières de L… . Ce changement de nom est en train de manifester l’obsession mortifère que développe le petit fils vis-à-vis de son grand père en reprenant tous les titres de noblesse de sa famille, cette obsession s’accompagne d’une désocialisation progressive et J.-M. Turpin devient plus connu localement pour ses frasques que pour ses coups de génie littéraires. Le lien entre Turpin et la Bretagne est de nature évidente, familiale et profonde, le lien entre l’œuvre de Turpin et la Bretagne, manifeste : outre des personnages centraux de son œuvre littéraire, Jules Lequier, Augustin Morvan (son propre arrière grand père), tout le récit des Runesse passe dans la campagne sauvage du Léon et du pays des Abers. Mais aussi dans Sol, un roman « dont les premières et dernières pages sont parmi les plus belles pages de la littérature française de la fin du siècle, et bretonnes assurément ». Dans Augustin Morvan ou les images divines des petits garçons de Lannilis, Jean-Marie décrit avec fraîcheur et un style très particulier la vie d’Augustin Morvan, homme politique s’étant engagé dans une Gauche Républicaine dont il fut député pour le Finistère (1871-1876), mais également maire de Lannilis, un bourg qu’il ne pût quitter pour Paris, trop attaché à son peuple. Il soigna gratuitement, le long de son mandat, les pauvres de sa circonscription, et empoigna avec courage politique le cas des « filles-mères » : il était appelé « le médecin des pauvres » selon son arrière arrière petit fils Jacques Arnol, officier de la Marine. A l’origine de la loi de l’enfance malheureuse, la loi Morvan-Roussel, ses convictions lui valurent de violentes attaques provenant de différents milieux politiques et cléricaux. Sur le front médical, il rédigea de nombreux travaux sur le myxédème, la chorée, les problèmes de thyroïde, l’hygiène opératoire, découvrit la maladie dite de Morvan, et exerça jusqu’à la fin de sa vie. J.-M. Turpin est mort cette année, en 2015, à 72 ans à Landéda dans sa demeure jouxtant les marais et la plage de Brouënnou, entre Aber Wrac’h et Aber Benoît. Il sera resté en quelque sorte fidèle à ce que lui conseilla son grand père: il s’éteint à quelques centaines de mètres où est mort l’oncle colonel Victor en 1941. La maison de ce dernier est devenue le charmant Hôtel de la Baie des Anges. Un témoignage d’actualité Dominique Lambert a bien connu son cousin Turpin, plus que Colette,« une femme magnifique de gentillesse ». Né il y a quarante ans à Rennes mais également originaire de Lannilis, il est breton, et normand du côté paternel, il connaît parfaitement les lieux préférés de son grand oncle qui sont ceux de sa famille : Saint Malo, Dinard, l’Iroise, et Quimper dont il est actuellement conseiller municipal. Une implication littéraire et politique, ce descendant Morvan direct (4e génération), l’unique (avec son frère) petit-fils de Victor, peut-il échapper politiquement ou littérairement à sa famille ? Une famille si conservatrice et catholique, interdisant à ses garçons autre que le métier d’officier ou médecin, n’accordant à ses filles que statut de femme de lettres ou moniale, une famille ayant compté l’auteur furieusement antisémite de L’école des cadavres en son sein? L’héritage breton de Céline est-il donc un don littéraire ? « Peut être »dit celui qui a collaboré avec le jeune compositeur breton, Benoît Menut, sur un disque, Monologue(s) (chez Sonogramme) ayant reçu le Prix Salabert de la Sacem, un beau prix contemporain de musique classique. Sa poésie sans concession et profonde rappelle un certain style. L’amour de la Bretagne ? « Immodéré ». Le même athéisme mystique ? On devine un sourire derrière le téléphone. Le sens du peuple ? « ma vision est collective » . Celui du voyage ? Evident pour un voyageur qui réside désormais dans ce Quimper, que Céline aimait tant, y fréquentant le poète Max Jacob et l’architecte Olier Mordrel : Céline envisagea d’y acheter une maison avec sa compagne en 1951, à son retour du Danemark : « le doux Odet… cette délicate région quimpéroise si subtile et si rêveuse et si prosaïque aussi » écrivait-il en exil. Il dresse un portrait saisissant de Jean Marie Turpin : « nous ne parlions que de l’Aber Wrac’h, des ombres et des lumières de notre pays, un peu de famille, et des bistrots du port. L’obsession de l’héritage l’a rongé de l’intérieur, l’a poussé vers une spirale destructrice, elle s’est conjuguée avec un jeu socratique de la provocation, il rejouait Diogène et Socrate. Il a toujours été fidèle à son amitié presque filiale pour ma grand-mère. En philosophie, on n’était jamais d’accord. On n’avait ni le même âge ni les mêmes amis, mais la même famille et le même pays qu’on ressentait de la même manière. On était cousins comme deux chiens qui se flairent à distance, ses yeux bleus préféraient le vert de la terre, mes yeux verts préférent le bleu de la mer». Et l’antisémitisme ? « Ce n’est pas une maladie génétique, plutôt l’expression d’une paresse intellectuelle, d’une jalousie. L’antisémitisme est à l’esprit ce que la graisse est au corps. Il atteint parfois les esprits brillants, mais l’âme bretonne est trop stoïque, naturelle et fraîche pour s’y fourvoyer. La Bretagne doit se relever, et se relèvera, tout en restant belle d’âme et honnête avec elle même. J’ai rencontré »continue-t’il « beaucoup d’anges qui étaient juifs. ». La Bretagne ne semble pas accepter l’héritage tant littéraire que politique d’un écrivain dont le cynisme et le pessimisme n’ont rivalisé qu’avec un « réalisme fulgurant » et une sensibilité sans égal. Il se disait pourtant Breton et fier de la Bretagne. L’héritage d’un seul écrivain est-il donc toujours trop lourd pour une Bretagne trop faible ? Fût il l’écrivain maudit par excellence, fût il pour de nombreux lecteurs le plus grand écrivain français ?*** Il méprisait Vichy, bien qu’ayant voyagé jusqu’à Sigmaringen où s’était réfugié le gouvernement de Vichy en 1944 car se sentant physiquement menacé. Il était à Rennes le voisin d’Anatole Le Braz, discutait dans les cafés fréquentés par les autonomistes et nationalistes bretons, a été séduit par Olier Mordrel, dînait avec Camille Le Mercier d’Erm, fondateur du PNB, Taldir Jaffrenou, auteur de l’hymne national breton le Bro Gozh, ou encore le sculpteur Armel Beaufils. Il ne s’engagea jamais dans un mouvement breton mais partagea beaucoup de thèmes avec la partie de sa frange la plus nationaliste ou la plus authentique. Entre littérature et politique, dans la tourmente de l’Histoire, génie solitaire, Céline traça son sillon mais n’oublia jamais la Bretagne. Yann Vallerie * Le Figaro, 25 mai 2011, **Présent, 28 mars 2015, *** un récent sondage donnait 63% Victor Hugo comme le plus grand écrivain français, et 2% Céline, bien que ce dernier ne soit pas étudié en collège ni en lycée source : http://www.breizh-info.com/36597/actualite-historique-patrimoine/les-heritiers-bretons-de-louis-ferd… […]