Les arrêtés rendent obligatoires les cotisations du CERAFEL pour les brocolis , les haricots demi-sec , les laitues iceberg , les choux pommés , les artichauts , les échalotes et les choux-fleurs.
La bagarre dure depuis les années 1980. La SARL Jezequel Primeurs, rejointe il y a huit ans par d’autres producteurs, a entamé un bras de fer pour ne pas payer les cotisations volontaires. Celles-ci, en fait obligatoires, astreignent les producteurs d’une filière à financer un organisme censé œuvrer pour le but commun. Dans le vin, il s’agit notamment du comité interprofessionnel Interloire, duquel certains producteurs de muscadet essaient de s’extirper pour être enfin libres de produire du vin breton.
Fin 2014, le GAEC Jezequel obtenait gain de cause devant le Conseil d’Etat. Ce dernier estimait que le Ministère de l’Agriculture n’avait pas la compétence pour déterminer le montant des cotisations et l’association qui en bénéficiera (en bref, le CERAFEL). Cela n’a pas arrêté l’AOP, explique Alain Jezequel : « ils ont continué. Dans la loi de modernisation agricole [d’octobre 2014] ils ont introduit des dispositions rendant rétroactives les cotisations exigées, c’est dire la force du lobby des bénéficiaires des cotisations volontaires obligatoires, et les procès continuent. ».
L’enjeu est notable. Le CERAFEL, que nous avons joint, a refusé de nous transmettre le montant des cotisations exigées. Alain Jezequel en précise une partie : « c’est 500 € à l’hectare pour le choux-fleur et 450 € pour l’artichaut. Pour nous, ça représente 100.000 € à l’année ». Les contestataires – une quinzaine d’entreprises pour une cinquantaine de producteurs – ont monté une contre-association, « et la grogne s’étend. Il y a assez de difficultés dans la filière pour continuer à raquer tous azimuts ». D’autres querelles ont eu lieu ailleurs, « mais en Normandie, l’AOP locale a transigé et baissé les cotisations, tandis que dans le sud, les indépendants peuvent travailler en paix sans être astreints à payer ». Pour le légumier, le CERAFEL est « si virulent car il est en déclin. Officiellement c’est 2400 membres, mais en fait ils sont un peu plus de 1000 alors qu’ils étaient 10.000 il y a dix ans encore. Leur système s’effondre et ils s’accrochent de toutes leurs forces plutôt que d’évoluer ».
Pour sa défense, le CERAFEL affirme œuvrer dans l’intérêt de tous les producteurs, donc que les cotisations doivent être appliquées à tous. Dans un document de 2015 justifiant l’extension de ses cotisations, on apprend que l’organisme perçoit 5.3 millions d’€ grâce aux cotisations de ses membres, officiellement 2400, et 71.300 de non-membres qui ont accepté de payer. Parmi ses actions, le CERAFEL prévoit 580.000 € de promotion à la transformation, 1.9 millions d’€ de publicité – notamment pour la marque Prince de Bretagne utilisée par l’AOP – et un peu plus de 720.000 € dépensés dans la recherche, dont 117.000 € pour l’étude des variétés et des porte-greffe, 310.000 pour l’amélioration génétique ou encore 30.000 € pour l’amélioration de la connaissance des maladies et 22.000 pour celle de la protection chimique.
Chef de file des contestataires, Alain Jezequel a un point de vue différent : « ils utilisent une marque, Prince de Bretagne, et disent qu’ils ont besoin d’argent pour la gérer. Nous, on ne l’utilise pas, on mise sur la qualité de notre production. Les payer, c’est nous forcer à donner de l’argent à notre concurrent, en quelque sorte ». Une nouvelle décision de justice est attendue le 27 janvier. Elle ne sera probablement qu’une étape de ce marathon judiciaire qui illustre à merveille, dans un secteur donné, l’absurdité du système français.