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« Valeurs de la République » et Front républicain

Face à la montée en puissance du Front national, certains envisagent la création d’un Front républicain entre les deux tours des élections régionales. Il aurait pour finalité d’empêcher le FN d’accéder à la présidence de certaines régions. A droite et à gauche ils sont très nombreux à y penser. Ils n’osent pas tous le dire, tout du moins pas encore. Les socialistes et leurs alliés considèrent, le plus souvent, qu’il faut attendre le soir du 6 décembre pour prendre une décision. Il s’agit de  ne pas dérouter des électeurs déjà très perturbés. Quant à leurs collègues de droite, ils craignent que la création d’un tel front  puisse provoquer le basculement de ceux de leurs électeurs – la moitié environ – qui écoutent avec intérêt les « populistes ».

Manuel Valls est un des rares responsables à avoir exprimé tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Christian Estrosi, pris de panique, en vient à clamer que la seule cause qui vaille aujourd’hui est l’endiguement de la crue populiste par l’union des « républicains ». Ils révèlent ainsi l’extrême proximité de la droite et de la gauche. Celle-ci n’est pas surprenante puisque les uns et les autres partagent les mêmes « valeurs de la République », lesquelles ne sont d’ailleurs pas républicanistes mais libérales.

Les «valeurs de la république», telles que les entendent les membres de l’oligarchie, sont en fait pour l’essentiel celles du libéralisme libertaire c’est-à-dire celles du libéralisme abouti : individualisme (idée selon laquelle la seule réalité humaine observable est l’individu ; l’individualisme occidental est issu du nominalisme que les philosophes des « Lumières » ont repris à leur compte), universalisme (l’universalisme procède de l’individualisme ; s’il n’y a que des individus, alors les communautés, dont les communautés nationales, n’ont aucune importance et ne sont que des agrégats circonstanciels que la mobilité moderne voue à une inéluctable disparition. Les universalistes ont l’humanité globale comme seul horizon; entre cette dernière et l’individu, il n’y a, selon eux, rien de consistant et les familles elles-mêmes sont désormais conçues comme étant « liquides », le modèle en étant la « famille recomposée »  qui  évolue en permanence selon l’évolution des désirs et des caprices des uns et des autres), idéologie des droits (qui exige toujours plus de droits individuels et qui élude totalement les devoirs ; l’obsession des droits a pour conséquence la contestation puis la destruction de toutes les normes, règles et institutions. L’idéologie des droits aboutira à l’anomie totale, dont les manifestations sont déjà très perceptibles dans les sociétés occidentales, à la disparition de toute éthique collective, de toute solidarité concrète et de toute vertu civique, c’est-à-dire de tout sens du devoir à l’égard de la patrie et des compatriotes), marchandisation généralisée de la planète, des sociétés humaines et des humains eux-mêmes qui est l’objectif ultime du libéralisme (lequel est en fait une idéologie destinée à justifier les privilèges de l’oligarchie marchande et financière, comme l’a  très justement écrit le philosophe conservateur Michel Villey).

Ces valeurs sous-tendent les idées politiques de nos dirigeants et de leurs alliés des médias : mondialisme et croyance dans  la possibilité (plus ou moins lointaine) de mettre en place une « gouvernance » mondiale des individus, aspiration à l’unification et à l’uniformisation de l’humanité (le fameux métissage) qui implique la disparition des cultures vernaculaires (langues, institutions, modes de vie collectifs, hiérarchies de valeurs spécifiques….), nomadisme généralisé (suppression des frontières, immigration libre ; c’est ce que nous connaissons déjà en Europe), libéralisme économique et sociétal (la caste dominante se préoccupe davantage  des ‘’droits’’ de telle ou telle catégorie marginale  de la population plutôt que des intérêts ou des souhaits de la grande majorité), immigrationnisme, européisme (l’Europe conçue comme un grand marché sans frontières, ouverte au monde selon l’expression consacrée, est une préfiguration de la société mondiale des individus) et dérégulation généralisée. Tel est le programme de l’oligarchie qui est actuellement mis en musique par l’oligarche bruxelloise et les oligarchies « nationales ».

Contrairement à ce que croient certains, le républicanisme n’a pas été créé par les révolutionnaires de 1789 ; c’est une philosophie politique beaucoup plus ancienne puisque la République romaine fut créée en 509 avant J.C. . La philosophie républicaniste ne doit rien à l’idéologie de la Révolution française laquelle est essentiellement d’inspiration libérale, même si certains de ses acteurs principaux ont été influencés par la philosophie de Rousseau qui fut un républicain très particulier (son idée de volonté générale qui est, comme l’a écrit François Huguenin, une pure vue de l’esprit, une idée dangereuse et potentiellement totalitaire parce qu’il est très facile de passer de l’existence d’une prétendue « volonté générale » à la dénonciation de tous les « monstres » qui osent s’y opposer ; ce qui fut en 1793 (la volonté générale serait le noyau rationnel de la pensée humaine lequel serait universel et identique chez tous les humains ; l’expression de ce noyau rationnel suppose l’élimination de toutes les émotions et de tous les intérêts individuels. Certains neurobiologistes contemporains, tel Antonio Damasio, affirment que la pensée rationnelle est totalement liée aux émotions ce qui invalide la théorie d’un noyau purement rationnel). Les acteurs de la Révolution se sont inspirés principalement des écrits des philosophes des Lumières lesquels étaient essentiellement des libéraux qui, ayant repris à leur compte le nominalisme, étaient individualistes et par voie de conséquence, universalistes. Ce que ne furent pas les républicanistes du  « canal historique » qui étaient soucieux, avant toutes autres choses, du Bien commun. Or, là où il y a un Bien commun, il y a une communauté et non pas un agrégat d’individus mus par leur seul égoïsme (Mandeville, Smith). Le républicanisme est donc une philosophie communautariste et non pas individualiste. Ce communautarisme a pour liant le patriotisme, qui est au centre de l’œuvre de celui qui fut le père du républicanisme moderne, Nicolas Machiavel. De plus, comme Machiavel l’a si bien exprimé, l’homme de qualité n’est pas l’individu obsédé par l’enrichissement individuel (comme le fut Voltaire par exemple), âpre au gain et fier de son égoïsme mais celui qui est détenteur de la « virtù », c’est-à-dire de l’ensemble des valeurs qui visent au Bien commun, c’est-à-dire au bien de la patrie et des compatriotes.

La philosophie républicaniste est donc très différente de la philosophie libérale ; elle l’est aussi quant à la définition de la liberté, laquelle n’est pas une invention des libéraux (qui n’apparurent qu’au XVIIème siècle avec le sinistre docteur Mandeville), les républicanistes romains et leurs héritiers ont défini la liberté comme étant l’absence de domination ou comme absence d’interférences arbitraires (le philosophe irlandais Philip Petitt a défini la république comme étant le régime qui vise à la dissolution de l’arbitraire) tandis que les libéraux pensent qu’elle est l’absence d’interférences tout court. Toute la différence réside dans le mot « arbitraires » duquel découle de profondes différences (et oppositions) entre les deux écoles. Les républicanistes considèrent que des interférences entre les citoyens ou entre l’Etat et les citoyens sont acceptables dans la mesure où le peuple les accepte, en général sous certaines conditions, tandis que les libéraux refusent toutes les interférences, en particulier celles qui proviennent de l’Etat. Les républicanistes pensent que l’Etat est le seul garant possible des libertés tandis que les libéraux sont extrêmement méfiants à son égard et préfèrent s’en remettre aux ‘’lawyers’’ pour assurer les libertés. Les républicanistes sont naturellement solidaristes (à des degrés variables, certes) tandis que les libéraux ne le sont pas.

Ce sont donc deux vues du monde complètement différentes que celles qui procèdent de ces deux écoles philosophico-politiques que tout oppose ou presque (les libéraux et les républicanistes sont néanmoins d’accord pour refuser la monarchie absolue ou la tyrannie, en principe tout du moins, car les tyrannies qui sont en cours d’instauration dans les pays occidentaux sont d’origine libérale !). Or, la gauche est revenue au cours des dernières décennies à ses origines libérales (lire à ce sujet le livre de Jacques Julliard Les gauches françaises) tandis que la droite glissait du conservatisme patriotique au libéralisme libertaire, après avoir adopté le libéralisme économique, en suivant la ligne de pente propre au libéralisme. Les deux familles se rapprochent donc de plus en plus, au point de devenir indistinctes pour un nombre grandissant de nos compatriotes, et partagent les mêmes « valeurs de la République » qui sont, en fait, des valeurs libérales. Face à ces libéraux, de droite et de gauche, il est urgent de rappeler qu’ils ne sont pas les héritiers du républicanisme « canal historique » et que le refus de l’invasion migratoire, non seulement n’est pas antirépublicain, mais, au contraire, participe au plus haut point de l’éthique patriotique propre au républicanisme qui est en cela à l’opposé de l’universalisme naturellement  immigrationniste des libéraux (de droite et de gauche). La caste médiatico-politicienne ne peut détenir le monopole du républicanisme, tout simplement parce qu’elle n’est pas républicaniste mais libérale ; l’utilisation de la notion de « Front républicain » n’est donc qu’une manipulation qui a pour objet de sidérer tous ceux qui s’opposent à l’oligarchie. La contestation de l’oligarchie libérale est, par contre, un impératif républicaniste.

L’adhésion au républicanisme ne passe pas par l’adhésion à l’idéologie essentiellement libérale de la Révolution française, bien au contraire, et rejeter cette dernière ne signifie nullement que l’on rejette le républicanisme. C’est en ayant recours aux sources anciennes du républicanisme que nous pourrons nous débarrasser de tout ce qui est pernicieux dans l’idéologie révolutionnaire (l’apport libéral mais aussi l’idée de « volonté générale ») et que nous pourrons renouer avec l’idée de Bien Commun, la virtù, le patriotisme (un patriotisme non idéologique comme l’est celui des héritiers de la Révolution française) et la liberté comme non domination qui implique de substituer une démocratie référendaire au système représentatif lequel est un héritage de la bourgeoisie libérale de 1789 qui mène tout droit au règne sans partage de l’oligarchie (comme l’avait pressenti Mirabeau dès 1789).

B. Guillard

 Photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2015, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine. 

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