Entretien avec Jean-Christian Petitfils, biographe de Louis XVI

29/11/2015 – 08H00 Paris (Breizh-info.com) – Les Éditions Perrin ont publié fin octobre une nouvelle édition de prestige de Louis XVI, rédigé par Jean-Christian Petitfils, l’éminent biographe des Bourbons. Parfait connaisseur de la France de l’Ancien Régime, Jean-Christian Petitfils a publié près de trente essais et biographies, notamment un Louis XIII, un Louis XIV et un Louis XVI couronnés par de grands prix littéraires et qui ont rencontré un large succès.

Nous l’avons interrogé à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Louis XVI, une biographie d’un des acteurs majeur de l’histoire de France, dans une version revue et corrigée.

Breizh-info.com : Les Éditions Perrin publient, dans une nouvelle réédition avec un papier de haute qualité, votre ouvrage de 2005 sur Louis XVI. Y avez vous apporté des modifications ? Qui était Louis XVI en réalité ?

Jean-Christian Petitfils : C’est effet une très belle réédition d’un livre paru pour la première fois en 2005 que proposent, pour les fêtes, les Éditions Perrin. L’ouvrage a été revu et corrigé, et la bibliographie complétée. Balayant les clichés ressassés par une historiographie vieillotte et partisane – ceux d’un homme certes débonnaire, mais lourd, dramatiquement faible, passant son temps à chasser ou à limer les serrures, incapable de comprendre les évolutions indispensables de la société de son temps –, je me suis attaché à restituer le vrai visage du roi, celui d’un homme cultivé, d’un monarque scientifique, passionné par la marine et les grandes découvertes, qui, en politique étrangère, joua un rôle déterminant dans la victoire sur l’Angleterre et l’indépendance américaine.

En 1787, loin d’être un conservateur crispé, il voulut réformer en profondeur son royaume par une véritable révolution royale. Malheureusement il se heurta aussitôt à la résistance d’une société bloquée, crispée sur ses privilèges, et à l’opposition rétrograde et obstinée de la haute aristocratie, qui voulait, en réunissant les états généraux, cette vieille institution archaïque remontant au XIVe siècle, revenir sur les acquis de la centralisation louis-quatorzienne.

Breizh-info.com : Lorsque l’on parcourt cet ouvrage, qui nous fait plonger dans la fin de l’ancien régime, on finit par se demander pourquoi le peuple de Paris a-t-il décapité un roi qui, finalement, voulait réformer et aurait pu être à la tête d’un changement à l’époque. Qu’est ce qui a tout fait basculer ?

Jean-Christian Petitfils : Le basculement a été progressif. Mais l’événement fondateur de la Révolution a été les journées des 17 et 20 juin 1789, qui ont vu les États généraux se proclamer assemblée nationale, remplacer la souveraineté royale par la souveraineté nationale, accaparer les pouvoirs législatif et constituant. A partir de là, ce fut l’engrenage, malheureusement fatal : la prise de la Bastille, le refus de l’Assemblée d’instaurer le bicaméralisme, les journées d’octobre et le retour du roi à Paris. Au moment où les choses auraient pu s’apaiser, le vote de la Constitution civile du clergé (12 juillet 1790), créant une religion nationale coupée de Rome, a relancé la fuite vers les extrêmes, contraignant Louis XVI à partir pour Montmédy… La Constitution de 1791 sera elle-même emportée par la guerre contre le « roi de Bohême et de Hongrie » (autrement dit l’empereur du saint Empire), que Louis XVI fut contraint de déclarer par ses ministres le 20 avril 1792 (il avait la larme à l’œil, nous dit Mme de Staël, lorsqu’il prononça devant l’Assemblée législative les mots « déclarer la guerre »).

Breizh-info.com : Comment expliquez vous l’attachement profond des paysans, notamment en région, pour un roi qu’ils connaissaient somme toute assez peu, et à contrario le rejet de ce roi par la bourgeoisie ?

Jean-Christian Petitfils : La Révolution française a révélé assurément un grand décalage politique entre Paris et la province, décalage qui n’a cessé de s’accentuer jusqu’à la chute de Robespierre. La grande majorité des Français ne souhaitait pas un retour à l’Ancien Régime, mais un compromis entre le roi, resté populaire au moins jusqu’à Varennes, et le modèle d’une société plus juste, offrant davantage de liberté et d’égalité, modèle assorti d’une représentation de la Nation chargée de consentir à l’impôt.

Ce compromis, esquissé par la monarchie constitutionnelle de 1791, a échoué du fait de la crispation des esprits, liée en particulier à l’application de la Constitution civile du clergé et à la radicalisation progressive de l’opinion parisienne sous l’influence des clubs d’extrême-gauche. Dès lors, les événements se sont emballés pour conduire au blocage des institutions, au coup d’État du 10-août, à la déchéance du roi, à la proclamation de la République et à la Terreur. S’il est avéré qu’une petite minorité parisienne a conduit la Révolution jusqu’à ses pires excès, il est difficile de savoir ce que pensaient réellement les provinciaux, c’est-à-dire la majorité des Français.

Un phénomène sur lequel les historiens se sont rarement penchés est l’abstentionnisme électoral : l’Assemblée législative, qui a succédé à l’Assemblée constituante (elle-même issue des États généraux), a été élue avec 75 % d’abstention ; la Convention, qui s’est érigée en tribunal pour juger Louis XVI, avec 80 %. Leur légitimité est douteuse. Il y avait certainement une grande diversité d’opinions politiques d’une région à l’autre.

A noter cependant que la Vendée, qui passe pour une des régions les plus royalistes, ne s’est pas soulevée à la mort du roi, mais à l’annonce de la levée en masse de 300 000 hommes, qui venait perturber les équilibres d’une société rurale traditionnelle.

Breizh-info.com : Vous dressez le portrait psychologique de Louix XVI. Quels sont les traits de caractère fondamentaux de ce roi , traits que l’Histoire semble avoir oublié ?

Jean-Christian Petitfils : Louis XVI est un roi méconnu, mal jugé par l’Histoire parce qu’il s’est trouvé dans le camp des perdants, victime d’une Révolution dont il aurait pu prendre la tête, mais qui a échappé à tout le monde. C’était un homme intelligent, cultivé, doué d’une excellente mémoire. Il aimait les langues étrangères, particulièrement l’anglais. Grand connaisseur des institutions anglaises, il sera capable d’en remontrer à son ministre des Affaires étrangères Vergennes. C’était aussi un homme au caractère complexe, secret, difficile à déchiffrer. Son frère, le comte de Provence (futur Louis XVIII), le comparaissait à « deux boules de billard huilées que l’on s’efforcerait de tenir ensemble ».

D’une timidité maladive, il était méfiant, susceptible. Ses silences effrayants désarçonnaient ses interlocuteurs. « J’aime mieux laisser interpréter mes silences plutôt que mes paroles », dira-t-il peu avant sa mort à son ancien ministre Malesherbes, qui s’était proposé de le défendre devant la Convention. Il manquait d’aisance, mais il était naturellement bon, ouvert, charitable. Ayant intégré les éléments positifs des Lumières, il avait conscience de la nécessité de réformer le pays.

Breizh-info.com : Qu’est ce qui vous a amené à l’Histoire ? Quelles ont été les romans , récits ou livres fondateurs pour votre carrière ?

Jean-Christian Petitfils : Depuis mon enfance, j’ai toujours eu la passion de l’Histoire. C’est la lecture des romans d’Alexandre Dumas, particulièrement du cycle des Trois mousquetaires, qui a conduit à m’intéresser au XVIIe siècle, avant d’élargir ma quête au XVIIIe siècle, aux idées politiques et même au Jésus de l’Histoire.

Breizh-info.com : A l’heure actuelle, quel regard portez-vous sur la disparition progressive de l’enseignement de l’Histoire de France à l’école, avec des pans entiers oubliés et un apprentissage qui n’est désormais plus chronologique. Comment demain, les jeunes pourront ils avoir cette vocation historique si ils n’en possèdent plus les bases ?

Jean-Christian Petitfils : La disparition progressive de l’enseignement de l’Histoire, mise en œuvre par des gouvernements de droite comme de gauche, le démantèlement de la chronologie sont très préoccupants. Le niveau des connaissances historiques s’est effondré. On a fait croire aux jeunes de notre pays qu’avec le progrès économique, le prodigieux développement des techniques nouvelles de communication, la construction européenne et la mondialisation heureuse, il n’y avait nul besoin de se tourner vers son passé pour en tirer les leçons.

On a précipité aux oubliettes le roman national et la fierté qui allait avec, ce qu’aucun autre pays sur cette terre ne pratique. Ce déni de réalité est une des causes de la crise existentielle que nous vivons. Or, l’Histoire est une part essentielle de la citoyenneté. Elle se venge, hélas, en nous rappelant, avec les attentats de janvier et de novembre 2015, qu’elle peut être tragique.

Breizh-info.com : Quels ouvrages récents avez vous particulièrement apprécié ?

Jean-Christian Petitfils : J’ai bien aimé la biographie de Richelieu par Arnaud Teyssier, celle de François Ier par Didier Le Fur. C’est un genre qui n’est pas épuisé et ne s’épuisera sans doute jamais, puisqu’il s’agit à chaque fois d’un éclairage particulier, personnel, porté par un auteur sur un personnage du passé ayant joué un rôle plus ou moins grand dans l’Histoire.

Louis XVI – Jean-Christian Petitfils – Perrin – 35€

Photo : DR
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