17/11/2015 – 08H30 Paris (Breizh-info.com) – Presque 7 heures du matin, boulevard Voltaire. A quelques centaines de mètre du Bataclan, une boulangerie ouvre malgré tout. « Hier, ici c’était la guerre », souffle la vendeuse en sortant le matériel. Les rues de l’arrondissement meurtri sont quasi-désertes. Pas un café ouvert, et quand ils semblent l’être, dedans patrons et employés tentent de se remonter le moral après leur nuit de cauchemar. « J’ai vu les corps allongés, le sang par terre, les morts, c’était terrible », confie le tenancier d’un café en bordure du canal Saint-Martin.
Paris se réveille avec une gueule de bois terrible.
Paris se réveille avec une gueule de bois terrible. Six attaques. Huit terroristes tués. Trois équipes d’assaillants. Plus de 132 morts et 350 blessés, dont 99 très grièvement atteints, selon un bilan qui reste provisoire; 42 blessés sont toujours en réanimation ce dimanche soir selon l’AP-HP. Outre les explosions devant le stade de France qui tuent un civil et trois kamikazes, ainsi qu’un autre qui se fait sauter au comptoir Voltaire, un café à l’angle de la rue de Montreuil et de la rue des Boulets (21 h 40, 1 mort, 15 blessés), une équipe de flingueurs parcourt le XIe. A 21 h 25, elle mitraille les terrasses au carrefour des rues Bichat et Alibert, face à l’hôpital Saint-Louis, 15 morts. A 21 h 32, à l’angle des rues de la Fontaine au Roi et de la Folie Méricourt, près d’une pizzeria, La Casa Nostra, et du bar À la bonne bière, 5 autres morts. A 21 h 36, à l’angle des rues de Charonne et Faidherbe, la terrasse du restaurant la Belle Equipe et du sushi voisin sont mitraillées, 19 morts. Une autre voiture arrive à 21 h 40 au Bataclan, un théâtre situé au carrefour des boulevards Voltaire et Richard Lenoir. Les trois terroristes transforment la salle en abattoir : 89 morts seront relevés, ainsi que de nombreux blessés. Les frappes aériennes françaises en Syrie étaient le mobile officiel des terroristes. Des attentats très probablement similaires ont été récemment déjoués en Turquie et en Russie ; des groupes terroristes visaient respectivement Ankara et Moscou.
Huit heures trente. Devant la façade balafrée de l’Hôtel du Carillon, face au coin sud de l’Hôpital Saint-Louis, le périmètre policier vient à peine d’être levé. Les bennes de la ville ont épandu de la sciure par terre, mais les coulées de sang sont visibles. Du sang macule aussi un poteau de fer traversé par une balle qui a ricoché, et même sur le passage piéton il y a la trace d’un pas ensanglanté. Des éclats de verre eux aussi maculés et plusieurs douilles se trouvent sous le trottoir, et sur une voiture stationnée contre le café. Le petit Cambodge a baissé ses rideaux de fer, pas le Carillon. Devant les rideaux intérieurs tirés, l’on voit de nombreux impacts de balles qui ont traversé les vitres, surtout du côté de la rue Bichat. Des mires de la PTS (police technique et scientifique) sont collées devant chaque impact.
« Ils savaient se servir de leurs armes et ont été formatés »
M. Bess, ancien militaire, est venu en voisin. Il n’a pas vu, mais entendu. Il observe les impacts, la vitre, les douilles. Que des policiers viennent prestement retirer. « C’est du 5.56. J’en ai vu des caisses entières en Bosnie, ça se vendait sur les marchés », affirme-t-il. « Quant aux impacts, ça se voit qu’ils ont tiré coup par coup. Un, un , un. Qu’ils ont bien pris le temps de viser. Ils savaient se servir de leurs armes et ont été formatés ». Ont-ils été entraînés ? « Probable, oui. La plupart des gens, quand ils ont une arme en main, ils ne savent pas s’en servir. Visiblement, eux, si. Et ils n’étaient pas là pour faire du tricot ». Plus de 100 douilles auraient été ramassés par les policiers. Mais ils n’ont probablement pas eu besoin de préparer leur coup longtemps à l’avance. « Repérer les endroits intéressants, les dangers, les échappatoires. Avec une voiture, on peut faire le tour du quartier en 20 minutes. Ils l’ont peut-être fait deux heures avant seulement. Ce sont des réflexes qu’on acquiert à la guerre. Cela s’appelle une lecture de terrain. »
« Notre société ne sait plus dire non, poser des limites.»
Issu d’une famille de militaires, il n’est pas vraiment étonné par les attentats. « On dit que c’étaient des jeunes. Fort possible. On leur colle dans la tête une idée, un destin, un but, et après ils sont totalement manipulés. Les réseaux qui les gèrent ont des soutiens passifs ou actifs, ils se planquent, conspirent ». Il tente une image : « un peu comme la Résistance ou le FLN. Des caches, des réseaux, des armes qui viennent. Facilement. Un canon peut se filer en direct, et le reste par la Poste en pièces détachées. Indétectable. » Et puis il y a surtout le fait que « notre société ne sait plus dire non, poser des limites. Il n’y a plus une immigration de choix et de valeurs, mais surtout une immigration économique ».
Dans la matinée. La mairie du XIe est transformée en cellule psychologique. André, 25 ans, originaire de Narbonne, était au Bataclan ce soir là, avec un ami. Assis près de la fosse, tout devant, il a entendu un bruit qu’il a d’abord pris pour un effet pyrotechnique du spectacle. Puis « je me suis rendu compte que c’était un bruit anormal. Amer. Spécial ». Ensuite la situation est devenue dramatique. « Il y a eu un grand mouvement de panique, des gens sont tombés au sol, ça tirait de partout. Quand c’était plus calme on rampait. A chaque fois qu’ils rechargeaient on se relevait un peu pour ramper un peu plus loin. Et ils ont rechargé vingt fois au moins ».
Tout à coup, « il y a eu un homme avec un fusil. On se demandait ce qui se passe. Pourquoi la police ne fait rien ». Puis « une énorme explosion ». La sensation d’être recouvert par « des morceaux de gens ». Il est resté couché parmi les blessés pendant de longs moment, avant que les policiers n’investissent les lieux et ne le fassent sortir. Son ami, qu’André avait perdu de vue dans la bousculade, s’en est sorti aussi. Mais plus de 89 morts ont été relevé. Et une photo glaçante, prise probablement le lendemain, alors qu’une partie des corps ont déjà été emportés, circule sur le web. Les corps sont entremêlés, serrés, sur le sol au fond de la salle.
« Ils ont tout vidé. Ils rechargeaient plusieurs fois ; ça a duré 4 minutes au moins »
Quinze heures. A l’angle des rues de Charonne et Faidherbe, ça ne fait guère longtemps que le périmètre est levé. Plus on s’approche du carrefour en suivant la rue de Charonne, et plus il y a de traces de sang, de pansements et de gants stériles abandonnés par les secours. Rue Charrière, le sang séché est visible en plusieurs endroits : des blessés ont fui par là. D’autres ont été allongés par les secours. Devant la façade de la Belle Equipe, rideau métallique baissé, où des passants ont déjà déposé des bougies et des fleurs, un jeune noir répond aux journalistes. Un autre témoin est à proximité. Jean-Luc habite au second étage du 93 rue Faidherbe, juste à côté. « J’ai tout de suite compris que c’était des kalachnikov. Ils étaient deux ou trois, « jean, baskets et blouson foncé. » Deux dehors en tout cas. Un qui tirait, un qui surveillait ». Il regarde depuis sa fenêtre et les voit « tirer l’arme à la hanche, coup par coup et en rafale aussi ». De longues minutes. « Ils ont tout vidé. Ils rechargeaient plusieurs fois ; ça a duré 4 minutes au moins ». Quand les tireurs sont partis, il est descendu avec sa trousse de secours. « Je suis kiné, mais aussi secouriste. C’était terrible. Il y avait des gens par terre, déchiquetés ».
« le tireur a pris son temps de tuer tous les gens. Il a tiré 50/60 cartouches au moins »
Un autre témoin se rappelle de « quatre types dans la voiture, dont trois dehors parmi lesquels un tirait. Ils étaient à l’aise, pas pressés ». D’autres, la plupart, ne se sont pas tout de suite rendus compte du drame. « J’ai cru à un bruit de marteau-piqueur », explique un habitant du cinquième étage, non loin de la fusillade. « Je pensais à des pétards », avoue un commerçant. « Sincérement, je pensais à un règlement de comptes », confie un jeune Indien. François, qui travaille dans un commerce proche, a « cru d’abord à des pétards ». Puis il a vu « des gens qui couraient, du sang ». Il a entendu des « rafales. Je n’ai pas vu le tireur, mais au bruit il n’y avait qu’une arme ». Il pense que « le tireur a pris son temps de tuer tous les gens. Il a tiré 50/60 cartouches au moins ».
Aurélie, 36 ans, vit au sixième étage face à la Belle Equipe. Elle a vu le tireur, « habillé en noir, à côté d’une voiture citadine, pas un fourgnon, toutes portes fermées. ». Elle ne peut le décrire : « il était de dos, face à la terrasse. Je n’ai pas vu ses mains. Ses cheveux étaient noirs, un peu le type indien. Il tirait coup par coup d’abord puis des rafales ». Puis elle a vu la voiture « dont l’avant était tourné vers le boulevard Voltaire, repartir vers celui-ci ». Aurélie, qui a alerté ses voisins et n’est descendue dans la rue que beaucoup plus tard, vers une heure du matin, pense que les terroristes ont visé « des lieux de plaisir, avec la musique, l’alcool, la consommation, le spectacle. Tout ce qu’ils détestent. Ils voulaient toucher la société dans son quotidien ». Pourquoi ce café et pas un autre ? « il y a des échappatoires faciles, et puis il est en retrait des grands boulevards où des patrouilles de police passent souvent ». C’est un café de quartier qui a été touché. En ce soir de match, de temps clément, où « la rue était pleine de monde plus que d’habitude », comme nous le confirme une boulangère, et que la Belle Equipe était comble pour cause d’anniversaire de la patronne. Décédée dans la fusillade.
« un grand bruit, une explosion »
Seize heures. Il n’y a plus de rubalise, mais les agents de la PTS et de la PJ sont encore devant le Comptoir Voltaire, un café au coin de la rue de Montreuil et du boulevard Voltaire. Un kamikaze s’est installé tranquillement dans la terrasse parisienne, puis quand la serveuse est venue prendre sa commande, il s’est levé et a fait exploser son gilet. L’attentat-suicide l’a tué et fait quinze autres blessés. Aux deux entrées, des scellés sont posés, que les agents photographient. La tenancière d’un restaurant chinois tout proche se souvient d’un « gros boum, tout à coup. Puis deux filles européennes sont entrées dans mon établissement apeurées, en disant que quelque chose avait explosé ». Une voisine se souvient aussi « d’un grand bruit, une explosion ». Elle ne s’est pas rendue compte qu’il y avait un attentat, au début : « ça fait des jours qu’il y a des travaux du gaz, il y a des affichettes partout sur les risques d’explosion, j’ai pensé que ça y est, le gaz avait sauté ». Puis elle a vu « la police et les pompiers arriver très rapidement, avant 22 h ». Les vitres du café sont percées de plusieurs gros trous, qui auraient été faits par des vis et des écrous que contenait la bombe artisanale du terroriste. D’autres écrous jonchaient aussi les abords du Stade de France, près de l’endroit où l’un des islamistes s’est donné la mort.
Louis Benoît Greffe
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