31/10/2015 – 07H00 Budapest (Breizh-info.com) – Retrouvez chaque semaine « vent d’Est » notre chronique d’Europe centrale rédigée par notre correspondant local .
Que de raz-de-marées ! Les barrières frontalières semblent comme prêtes à fleurir un peu partout, le parlement polonais se droitise à 100%, et les migrants ne cessent de venir et de se déverser partout. Qui aurait pu prédire tout ceci il y a six mois ? Et du coup, qui peut dire où nous en serons dans six mois, après un hiver qui s’annonce rigoureux, et le retour des beaux jours ? Voyez-vous où nous voulons en venir ? La crise migratoire n’est pas terminée. Tout porte à croire que ce n’est que le début.
Le premier ministre hongrois Viktor Orbán – et il n’est pas le seul – l’a dit : bientôt ce sont les vagues d’Africains subsahariens qui vont arriver. Ce qu’on appelle déjà la 3e vague migratoire sera un flot encore plus conséquent d’hommes noirs venus de pays très divers. Des autoroutes de la migration se sont créées au travers de réseaux mafieux internationaux sur les dernières années, suite à la déstabilisation ou la destruction de pays arabes stables, tels que la Libye – quoiqu’on pense des régimes politiques qui y existaient. Suite à la première vague albanaise, la deuxième vague, en provenance du Proche et du Moyen-Orient principalement, a été un avertissement suffisant pour Budapest, puis d’autres pays conscients de leurs intérêts et relativement peu touchés par une doxa occidentale tétanisante pour les autorités en place et le corps politique en général. Il y a 25 ans, en Europe centrale, les douaniers abattaient les clandestins à la frontière. Si les pays de l’Europe centrale, et la Hongrie en premier lieu – premier pays communiste à avoir fait tomber sa barrière – sont ravis d’être débarrassés de ce cloisonnement violent, ils n’en gardent pas moins à l’esprit que cela reste, dans le pire des cas, une option. Pour faire simple, en Europe centrale, les dirigeants, malgré leurs défauts, cherchent encore, contrairement à leurs homologues occidentaux, à défendre les intérêts de leurs pays. En usant d’une réponse proportionnée mais ne se privant d’aucune option.
Et avec le soutien inconditionnel, massif et sans appel des populations du Centre de l’Europe, aucun gouvernement ne pliera de lui-même désormais. Les derniers auront été les pro-berlinois du PO polonais. Cela leur a coûté la gouvernance du pays avec en cause également, outre leur alignement sur la ligne merkelienne en faveur des quotas, de nombreux scandales de corruption. Les mauvaises langues diront que l’un implique l’autre. En ce sens, la Pologne vient probablement de marquer le début d’une nouvelle ère. Les élections dont nous vous avions parlé dans nos chroniques précédentes ont eu lieu : comme prédit, le PiS (parti conservateur, qu’on peut qualifier de souverainiste et catholique) a raflé la majorité à la Sejm, la Diète de Pologne. La gauche unie n’a pas réussi à entrer au parlement au contraire des radicaux, anti-système et nationalistes, sous la bannière de Kukiz. Des libéraux aux nationalistes, toutes les facettes de la droite – dans son acception classique – sont présentes et représentées au parlement. Et seulement de la droite. 100% du parlement polonais est désormais « de droite ». Un tsunami, probablement provoqué en grande partie par la crise migratoire, qui n’avait pas été pris suffisamment au sérieux par les élites précédentes.
Pendant ce temps, les migrants continuent d’affluer jusqu’au cœur de l’Europe. Il y a peu, c’est plus de 12.000 clandestins qui pénétraient en Slovénie en une journée. Chaque jour, c’est environ 10.000 immigrants illégaux qui violent les frontières de Schengen entre la Croatie et la Slovénie. En Allemagne, 4.000 migrants ont été conduits à un centre d’accueil en Basse-Saxe. 700 ont disparu dans la nature avant même de s’être enregistrés. Panique à bord. Pendant ce temps-là, à la frontière hongroise protégée par une task force du V4 et des policiers roumains, le 27 octobre, sept migrants ont été interceptés. Le 28 octobre, quatre. On aura rarement vu des conséquences de choix politiques s’illustrer si brutalement et si rapidement. Mis à part quelques élus courageux, tel Jean-Luc Schaffhauser du RBM, qui estime que « la Hongrie montre la voie à l’Europe », il faut croire qu’à l’Ouest ce contraste saisissant ne suffit pas. Au sommet européen de dimanche sur la question migratoire, la Hongrie y participant en tant qu’observateur, considérant qu’elle n’était plus concernée par la crise, Orbán a fait un pied de nez à ses partenaires si critiques sur sa politique. Interrogé pour savoir s’il conseillait à d’autres pays de construire des barrières comme il l’a fait, estimant en avoir fait assez, il répondit « qu’il n’était pas payé pour conseiller les autres ».
Face au succès de la barrière hongroise, et nécessité faisant loi, d’autres pays commencent à envisager ou d’ores et déjà à élever leur clôture. La Slovénie va, à l’instar de la Hongrie, protéger les frontières de Schengen avec une barrière. L’Autriche, dont le chancelier Faymann disait il y a un mois que la clôture d’Orbán lui « rappelait les heures les plus sombres de notre continent », vient de donner son feu vert pour la construction d’une barrière à la frontière austro-slovène. La Roumanie envisage également, en amont de problèmes pouvant survenir à sa frontière suite au cul de sac que devient la malheureuse Croatie (qui attend fermement les élections de début novembre), de dresser un mur à la frontière serbe, afin de ne pas devenir la nouvelle entrée favorite en UE depuis les Balkans. Enfin, des syndicats de police allemands réclament l’érection d’une barrière à la frontière avec l’Autriche. La fin de Schengen en direct ? Toute l’hypocrisie des dirigeants germaniques d’Europe centrale n’y fera rien. Les faits sont têtus et incontestables. L’Europe se métamorphose déjà, et très vite, devant l’afflux massif de clandestins. Et, rappelons-le : ce n’est que le début.
A propos de métamorphose : peu après qu’EADS n’annonce la suppression de 5.800 postes, le directeur d’Airbus, Tom Enders, déclare qu’il est nécessaire qu’en Allemagne, « pour aider les réfugiés », la réglementation du marché du travail soit réformée en profondeur. Enders appelle à rendre les CDD plus simples à mettre en place et à baisser le salaire minimum drastiquement. Quant aux industriels allemands, devant la chienlit provoquée par la chancelière, la défiance vis-à-vis du gouvernement grandit. Tant que le tri des meilleurs éléments était fait, cela leur allait. Mais suite à la fronde du V4 et Orbán se retirant de ce jeu de dupes à grande échelle, l’Allemagne est submergée d’éléments « non intéressants pour le marché ». Et Merkel de dégringoler encore dans les sondages, alors que Seehofer, ministre-président de la Bavière, menace de porter plainte face à Berlin devant la Cour constitutionnelle. Bref, belle collusion du libéralisme économique et du libéralisme moral. Les tenants du second ayant tout fait pour générer la situation actuelle, voulue initialement par les partisans du premier. Ce n’est pas pour rien qu’en Hongrie notamment, on ne distingue pas l’un de l’autre, considérés comme deux facettes d’une même pièce empoisonnée. Les libéraux moraux – liberals, en anglais – faisant office de garde-chiourme de la société libérale-libertaire totalitaire. En Autriche par exemple, l’éditorialiste Christoph Biro a été suspendu pour avoir appelé à réagir face à des hordes aux comportements inacceptables et potentiellement dangereux, d’autant plus qu’elles sont hors de contrôle. Le porte-parole de la police bavaroise a lui déclaré que face aux flots de migrants, la police allemande est désormais en train de se « noyer ».
Vendredi dernier justement, on commémorait la révolte hongroise du 23 octobre 1956 contre l’occupation soviétique et la dictature communiste. Il y a 59 ans, les ouvriers polonais manifestaient contre l’oppression de l’URSS. En soutien, les travailleurs et étudiants hongrois décidèrent de défiler à leur tour à Budapest. Les étudiants rédigèrent un appel à la réforme en 16 points. Le drapeau de la Hongrie soviétique fut attaqué au couteau par les manifestants, pour en retirer le blason communiste. Ainsi naquit le symbole de la révolution de 56, ce drapeau hongrois tricolore troué en son milieu. Le répression fut terrible, Budapest ravagée, et on ne sait toujours pas exactement combien de morts et de déportés il y a eu. L’URSS avait mis toutes les chances de son côté pour réprimer cette « contre-révolution » pourtant menée par des étudiants et des ouvriers, aux demandes sociales et patriotiques. Après 48h, les soldats russes, soupçonnés de sympathiser avec la population, furent remplacés par des troupes fraîchement arrivées de Sibérie, qui ne parlaient pas même le russe et commirent des crimes atroces : viols, exécutions sommaires de jeunes désarmés, tortures. L’on a dit que la mauvaise manœuvre des Occidentaux à Suez eut pour conséquence de leur part un statu quo avec les Soviétiques concernant la Hongrie, qui fut donc abandonnée à son sort. 200.000 personnes s’exilèrent, et devinrent réfugiées en Occident.
Certains manipulateurs sans vergogne osent aujourd’hui comparer, pour faire culpabiliser les Hongrois, les réfugiés de 56 aux clandestins du tiers-monde arrivant par centaines de milliers en flot continu, bien souvent simples migrants économiques. Les réfugiés hongrois de 56 étaient de culture chrétienne et étaient européens. Ils n’ont émis aucune demande de relocation, n’ont jamais émis de plainte, pas même ceux qui ont séjourné tout l’hiver dans des camps. Nous ne nous épancherons pas plus sur cette comparaison, et laisserons le lecteur être seul juge de cette manipulation émotionnelle grossière.
Désormais, le 23 octobre, férié, est le « jour de la Liberté » en Hongrie. En divers endroits chargés d’Histoire, des patriotes de divers partis et mouvements ou associations ont commémoré les héros de cette véritable révolte populaire sans meneur. Ce que nous avons pu y voir, c’est l’approbation des gens à des discours allant tous dans le même sens : la meilleure façon de commémorer nos héros est de poursuivre leur lutte et suivre leur exemple. N’y voyez pas un appel à la révolte sanglante. Ce dont il était question ensuite clarifie tout : hier, le communisme oppressait les peuples. Grossièrement, violemment. Aujourd’hui, le libéralisme l’a remplacé. Pernicieux, vil et pervers, le libéralisme aujourd’hui est finalement un danger bien plus grand pour les peuples que ne le fut jamais le communisme. Le communisme a tenté d’imposer l’internationalisme ? Le libéralisme l’a fait. Le communisme a tenté de tuer la spiritualité, la cellule familiale, la tradition ? Échec de sa part, la foi a été justement le refuge des dissidents, expliquant aussi que la religion soit plus importante aujourd’hui en Europe centrale et de l’Est que ne l’est en Occident. Échec du communisme, donc, mais réussite du libéralisme, qui en à peine 25 ans a déjà commis plus de dégâts contre la moelle identitaire des peuples que ne le fit le communisme en 45 ans. Pour les héritiers du combat pour la liberté des peuples d’Europe centrale, la lutte contre le communisme doit se prolonger dans la lutte contre le mondialisme libéral, en amalgamant allègrement libéralisme économique et moral, allant de pair comme en leur temps socialisme et communisme.
L’opposition au libéralisme et à l’atlantisme se fait par ailleurs fortement ressentir ailleurs, dont en Moldavie, où l’enquête sur l’ancien premier ministre Filat continue. L’opposant Usatii, proche de Moscou, et leader de l’opposition pro-russe au gouvernement atlantiste fortement corrompu a été détenu 48h pour être entendu suite aux enregistrements de conversation téléphonique entre Filat et l’homme d’affaire moldavo-israélien Ilan Shor, prouvant l’entente entre eux et des détournements de fonds se comptant en centaines de millions d’euros… Libéré, Usatii a repris la contestation dans la rue. Désormais, la balance dans les sondages penche clairement plus en faveur de Moscou qu’en faveur de l’Ouest, la corruption émanant ostensiblement des élus atlantistes. Même si ce soutien populaire à l’ancien grand frère russe se fait plus par dépit que par adhésion, il n’en reste pas moins que les élections qui auront lieu dans 6 mois environ seront déterminantes pour l’avenir de la région.
Au Monténégro, la crise s’aggrave. Plus de 120 blessés désormais au cours d’affrontements entre les manifestants permanents et la police. Le Monténégro, à la population ethniquement serbe a vu depuis plus d’un mois ses rues occupées par des tentes et des manifestants anti-OTAN. Bien entendu, il apparaît évident que la Russie aide cette révolte populaire, appuyant à une plus petite échelle – et comme en Moldavie – un « Maïdan sauce russe », afin de contrer l’incessante expansion otanesque vers l’est de l’Europe. Nous noterons le silence radio sur ces événements dans la presse occidentale, qui, au fur et à mesure que le temps passe, est de plus en plus ouvertement une Pravda en miroir ! Cela semble d’autant plus pertinent que la gouvernement serbe, souhaitant intégrer l’UE mais dévasté par les effets sur la Serbie de l’invasion migratoire, est en ce moment à Moscou, et vient de signer un accord pour acheter des armes russes. Au même moment, le président serbe Tomislav Nikolic considère comme inacceptable la dernière demande de Bruxelles, qui enjoint la Serbie à reconnaître le Kosovo-Métochie, disant que cette demande lui rappelait l’ultimatum austro-hongrois de 1914, et que si le prix à payer pour intégrer l’UE était la reconnaissance du Kosovo indépendant, alors il ne soutiendrait plus l’entrée dans l’UE. La Serbie serait-elle sur le point de basculer géopolitiquement vers la Russie, après des années à jouer à l’équilibriste entre Moscou et Bruxelles ? 61% de la population serbe préférerait une alliance avec la Russie plutôt qu’avec l’UE, selon un sondage estival du journal serbe Politika.
Une fois de plus, l’actualité d’Europe centrale démontre à quel point l’Histoire européenne contemporaine se joue dans cette région, malgré les tentatives de l’écrire ailleurs. Nous nous permettrons d’insister sur la nécessité pour l’Europe en général, mais bien sûr l’Europe centrale en particulier de profiter de ces temps troubles pour gagner en indépendance et favoriser leurs intérêts, notamment par l’émergence du bloc centre-européen que nous prophétisons avec ferveur. Dépouillée du communisme et en portant encore les stigmates, violentée par le libéralisme berlinois, bruxellois et états-unien, zone tampon et marché secondaire pour l’hégémonie des USA, avant-poste de la défense et de la réaction russe à l’OTAN… l’Europe centrale doit vivre sa révolution propre, pour revenir enfin dans l’Histoire et se hisser là où son formidable potentiel peut la mener. Mais comme toujours, le premier combat est à mener contre soi-même. Si la Pologne a marqué dimanche d’une pierre blanche la probable mort de la gauche en Europe centrale, et par là même, le renforcement du V4, et un début de rupture par rapport à la colonisation de Berlin, cette voie à suivre n’en est qu’à son modeste début. Les multinationales qui extraient plus des 2/3 de leurs bénéfices des pays où elles les produisent, les nouvelles élites au niveau de vie occidental et qui vivent sur les différences de salaires persistantes entre l’Est et l’Ouest, le libéralisme américain, le mondialisme, véritable épée de Damoclès qui menace l’industrie centre européenne pour la maintenir sous contrôle, la corruption de la dernière génération issue du communisme, la mainmise étrangère sur le secteur bancaire dans toute l’Europe centrale, les médias appartenant trop souvent à des groupes étrangers également, et, nous l’avons déjà dit, les manipulations de soft power de diverses puissances, jouant sur l’envie, le chantage, la corruption et le ressentiment ou encore la menace. Tant de défis pour chacun des pays d’Europe centrale, qui ont dans leur moelle ce que tout pays européen avait jadis. Une vitalité, une fierté et une droiture qui ont su tenir contre vents et marées, et qui aujourd’hui sont un espoir pour tous.
A la semaine prochaine, et n’oubliez pas, le soleil se lève à l’Est !
Ferenc Almássy