28/10/2015 – 07H00 Paris (Breizh-info.com) – Le 22 octobre est paru le 157ème numéro de l’incontournable revue Elements. Beaucoup de nouveautés dans ce numéro et dans ceux à venir. Ceci nous donne l’occasion d’interroger Pascal Eysseric, rédacteur en chef de la revue, sur les recettes qui en font le succès et sur les changements effectués.
Breizh-info.com : Éléments parait avec une nouvelle formule. Quoi de neuf ?
Pascal Eysseric : Un passage au tout couleurs, un tirage multiplié et une parution plus fréquente… Éléments se donne les moyens d’être au centre du reclassement idéologique en cours et de reprendre sa place au premier plan dans le combat des idées. C’était l’objectif de Jean-Claude Valla, le premier rédacteur en chef d’Éléments et de ses successeurs, Michel Marmin et Charles Champetier. C’est le mien d’autant plus que les lignes bougent enfin, que des rapprochements inédits se font jour. Nous allons continuer à creuser notre sillon : chercher à penser le monde de demain plutôt qu’à se lamenter sur celui qui s’efface.
Breizh-info.com : Qu’est ce qui fait la longévité de cette revue ?
Pascal Eysseric : C’est simple, depuis quarante ans, nous faisons un samizdat avec des universitaires de renom qui utilisent des pseudonymes pour ne pas voir leur vie professionnelle bouleversée, des poètes et des écrivains à l’immense talent qui publient dans les plus grandes maisons d’éditions mais préfèrent avoir leur rond de serviette chez nous, des têtes brûlées, des poètes magnifiques, des cinéphiles comme il n’en existe plus ailleurs, des scientifiques entêtés, des musicologues pointilleux qui s’empaillent d’un numéro l’autre, des anciens du NPA et d’autres de l’Action française, des jeunes pour la plupart, qui n’étaient pas nés lorsqu’Éléments a fait paraître son premier numéro, mais qui savent bien que les vieux clivages sont devenus obsolètes.
À notre plus grand bonheur, il y a toute une jeune génération pleine de promesses et de talents qui nous a rejoint : des écrivains comme Slobodan Despot, Pierric Guittaut ou encore Laurent Schang, des chroniqueurs tel Xavier Eman, de remarquables journalistes comme François Bousquet, Olivier François, Laurent Cantamessi, Guillaume Pinaut, etc. Difficile de tous les citer, chaque numéro d’Éléments rassemble une trentaine de contributeurs.
Breizh-info.com : Comment tout cela est possible ?
Pascal Eysseric : La force d’Éléments réside dans le fait d’être un laboratoire d’idées et une école d’écriture. En quarante ans, plus de 200 collaborateurs ont un jour ou l’autre signé dans Éléments. À mon sens, il s’agit de la plus belle aventure intellectuelle et littéraire de ces quarante dernières années en France. Alain de Benoist a rappelé qu’Éléments avait été créé en 1973 par des hommes et des femmes qui avaient alors à peine trente ans, ceux qui animent la revue aujourd’hui sont à peine plus âgés et maintiennent le cap de l’exigence.
Breizh-info.com : Comment se prépare la conception du magazine ?
Pascal Eysseric : Je vais prendre un cas concret donc : l’article sur «Les Young Leaders, ces petits soldats de l’Amérique », que nous publions dans le dossier «La droite face au poison libéral». Pourquoi choisir Emmanuel Ratier pour traiter le sujet ? Pourquoi le publier dans notre dossier ? Tout est parti d’une étude assez fouillée de Vincent Dozol («Young Leaders, l’enfance des chefs»), parue dans l’excellente revue Charles, dirigée par Arnaud Viviant, pas spécialement connu pour ses accointances avec les conspirationnistes ! Après l’avoir lue, nous avions tous, à la rédaction, ce petit goût d’inachevé qui vous saisit lorsqu’un auteur n’explore pas à fond les chemins qu’il vient de découvrir. Il était évident que c’était un sujet en or pour Emmanuel Ratier, dont même les détracteurs reconnaissaient qu’il était un enquêteur et un documentaliste hors pair. Il ne pouvait qu’apporter des lumières inédites, inaccessibles à Vincent Dozol, sur l’ensemble des cercles d’influence atlantistes qui structurent la vie politique française.
Breizh-info.com : Le journal Marianne a organisé cette semaine une rencontre autour de la question « Peut-on encore débattre en France aujourd’hui » ? Qu’en pensez-vous ?
Pascal Eysseric : J’aime beaucoup la phrase de Charles Champetier, excellent essayiste et ancien rédacteur en chef d’Éléments, qu’un de vos collaborateurs a rappelé sur votre site, «les grandes mutations idéologiques sont toujours fatales aux dinosaures de l’esprit». Regardez-les, ces dinosaures organiser des colloques entre gens de bonne compagnie pour se demander gravement si on peut encore débattre en France.
Ils font ça depuis quarante ans, et toujours à la Mutualité, et toujours avec Laurent Joffrin, qui fait semblant de s’offusquer, et toujours avec Jean-François Khan qui, lui, fait semblant de dénoncer le politiquement correct. Entre les deux, il y a toujours un représentant du Figaro faisant office de diablotin. Combien de temps les gens vont-ils être dupes de ce jeu de rôles? Car enfin, les intervenants de ce colloque ont-ils un jour été interdits de tribune ? Non. Ont-ils été chassés d’une rédaction ou d’une émission de radio pour des raisons idéologiques ? Non. Ont-ils eu à subir pendant des dizaines et des dizaines d’années des interdictions professionnelles ? Non. Ont-ils dû prendre des noms d’emprunts pour exercer leur métier de journaliste, d’universitaire, ou de scénariste ? Non.
Depuis 1983, date du tournant libéral du parti socialiste, l’hégémonie culturelle de la gauche est fondée sur l’inquisition et la police de la pensée. La Nouvelle Droite en général et les collaborateurs d’Éléments en particulier en ont été une des cibles principales. Avant cette date, personne ne s’offusquait qu’Éric Rohmer collabore à Eléments.
Que le philosophe Guy Hocquenghem fasse l’éloge de la Nouvelle Droite dans Libération ! La diarrhée verbale sur « le retour aux années trente », le danger des « rouges-bruns », etc. a été mise en place dans ces années-là, dans les bureaux de l’Élysée, par les Julien Dray et consorts.
Véritable fossile vivant, Benoît Rayski, ancien de Globe et de L’Événement du Jeudi, donne un bon aperçu de cette logorrhée sur le site Atlantico (1). Attention, s’époumone-t-il, les rouge-bruns sont de retour comme dans les années trente ! Comme si l’entre deux guerres avait le moindre rapport avec le monde globalisé dans lequel nous vivons… «Re, re, re : le bégaiement comme programme de ceux qui n’ont pas mis à jour leur logiciels», écrit fort justement Alain de Benoist dans son dernier éditorial pour les décrire.
Propos recueillis par Yann Vallerie
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Au programme de ce numéro :
Extraits de l’éditorial
En couverture de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le 20 août 2015, ce titre en forme de proclamation : « C’était mieux avant ! » Avant quoi ? Avant que tout ne se dégrade, bien sûr. Au bon vieux temps où l’on apprenait l’orthographe à l’école, où l’on valorisait la politesse, où les paysans n’étaient pas encore devenus des producteurs agricoles, où le chômage était quasi inexistant, au temps des sociétés relativement homogènes, où l’on ne se sentait pas étranger dans son propre pays, où il n’était pas nécessaire de se barricader chez soi, où les relations sociales se déroulaient sur fond de décence commune. (…)
Oui, pour certaines choses du moins, c’était sans doute mieux avant. Et la nostalgie, comme le goût du passé, n’est pas forcément un mauvais sentiment. Régis Debray le remarquait récemment : « Tous les grands révolutionnaires avaient du révolu en tête ou dans le cœur ». Avant lui, Alain Finkielkraut avait souligné que la détestation de la nostalgie n’est souvent que le masque d’un optimisme de principe : « Tout passéisme n’est pas réactionnaire ».
On a toujours besoin du passé quand le présent fait mal. Mais il y a un mauvais usage du passé, qui consiste à ne pas voir que, s’il est une dimension du présent, il ne saurait remplacer ce présent. (…)
Les choses sont moins simples. Le passé a certes à nous dire. Il nous donne des exemples et nous fournit des leçons. Mais il ne permet pas de prédire. (…) On peut recourir au passé, on ne peut pas y retourner.
Il n’est jamais agréable de vivre dans un monde en transition, et il est toujours difficile d’être contemporain de son présent. Mais il n’y a rien de pire que de ne pas prendre la mesure du moment historique que l’on vit. (…)
Le monde se transforme mais, imperturbablement, chacun continue à tenir le même discours. (…) Les archaïsmes s’entretiennent mutuellement. Sans la droite, la gauche n’aurait plus rien à dire. Sans la gauche, la droite serait pareillement muette. En tant que telles, l’une et l’autre n’ont plus rien à proposer. Mais l’avenir n’est pas au retour en arrière. L’avenir est aux démarches transversales, aux nouveaux clivages. Ainsi faut-il interpréter les mutations actuelles du paysage politico-idéologique. Toutes les familles de pensée, intellectuelles, politiques et religieuses, sont aujourd’hui en train de se briser sur de nouveaux clivages : non plus la droite et la gauche, mais l’identité, l’individualisme et les communautés, le capitalisme libéral, les formes nouvelles d’aliénation sociale, les valeurs marchandes. Mieux vaut chercher à penser le monde de demain qu’à se lamenter sur celui qui s’efface.
Au sommaire du N°157 d’Eléments
L’entretien : Michel Onfray s’explique
Dossier : La droite face au poison libéral
• Droite et capitalisme : le baiser mortel du calcul d’intérêt
• Patrick Buisson : « L’argent ne fait pas société »
• Pourquoi la bourgeoisie a voté Sarkozy
• Hervé Juvin : « Nous ne sommes pas tous Américains »
• French Young Leaders, les petits soldats de l’Amérique
• Valeurs actuelles : la chute de la maison Bourgine
Et aussi…
• Dans le collimateur : Michel Foucault
• Les bons apôtres de la migration pour tous
• Conférence climat : un machin onusien qui tourne à vide
• Le numérique, outil rêvé du contrôle social
• Superproductions hollywoodiennes: phénoménologie d’une industrie de la sidération
• La guerre des deux féminismes
• Jean-Pierre Montal : 1990 vues de l’avenue Foch
• Panaït Istrati : un cœur brûlant, etc.
Photo : DR
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