16/10/2015 – 07H00 Budapest (Breizh-info.com) – Retrouvez chaque semaine « vent d’Est » notre chronique d’Europe centrale rédigée par notre correspondant local .
L’hiver vient. Les premières neiges sont tombées en Galicie, en Transylvanie et dans les Carpates. Il y a même eu 20cm de neige dans le sud de la Pologne. 30 degrés de perdus en 3 semaines, ça se ressent. Et c’est surtout les pauvres hères qui font leur chemin à travers les Balkans qui en ressentent le plus les effets, même si la neige et le gel n’ont pas encore touché la Serbie. Malgré les efforts des humanitaires financés par des fonds norvégiens, américains, israéliens, ou par l’UE, voire l’ONU, la situation devient véritablement dramatique. La pluie et les 10°C que subissent les migrants clandestins donnent lieu à des inquiétudes sanitaires de plus en plus importantes. Et de plus en plus justifiées. Il y a quelques jours, sur 700 personnes arrivées en Croatie à un poste-frontière, 650 étaient malades… malades de quoi ? On ne le saura pas, car dans un pays comme dans l’autre, les autorités sanitaires ne communiquent pas volontiers des maladies portées et subies par les clandestins. Il semble évident que les gouvernements, quel que soit le pays, ne souhaitent pas faire grand bruit autour du fait qu’ils sont responsables de l’entrée dans leur pays de malades d’Ebola, du typhus, de la tuberculose, de la lèpre…
Cela fait des mois que dure la crise migratoire, qu’elle s’amplifie, et l’hiver vient, et les drames humains n’auront plus lieu qu’en mer… Et pourtant peu semble être fait pour désamorcer cette folie. Ce n’est pourtant pas faute de la part d’Orbán et de ses partenaires régionaux d’avoir émis des propositions fin septembre : assurer conjointement au niveau européen la sécurité des frontières maritimes grecques, faire le tri entre les réfugiés et les immigrants avant leur entrée dans Schengen, établir une liste au niveau de l’UE de pays sûrs d’où ne peuvent venir des demandeurs d’asile, augmenter la participation financière des états membres pour créer un fond dédié à la crise, dialoguer avec la Turquie et la Russie pour trouver des solutions au delà de l’UE et la mise en place de quotas mondiaux. Plus facile à dire qu’à faire, bien entendu. Mais à quoi bon l’Union Européenne, ses institutions et sa bureaucratie, ses traités et ses déclarations qui sonnent comme autant de voeux pieux d’impuissants déconnectés de la réalité, si rien n’est fait lorsqu’une crise humanitaire majeure frappe de plein fouet tout le continent ?
Pendant ce temps-là, au Royaume-Uni et en France, les girouettes annoncent, tel le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, qu’il y aura plus de reconduites à la frontière cette année. Mais quelle frontière, on peut se le demander ; s’agit-il de celle de la France, frontière verte, sans douane fixe, ou celle de Schengen…?
Mais à l’ouest rien de nouveau, et pendant ce temps-là à Budapest, les lieutenants d’Orbán organisent la défense médiatique. Des journaux publient des tribunes virulentes à l’égard de Bruxelles et des homologues occidentaux du premier ministre hongrois, chef de l’exécutif. Le président du parlement, vieil ami d’Orbán, déclame sans retenue que les conservateurs européens sont des lâches, terrifiés par le politiquement correct, ne représentant pas leurs électeurs, risquant ainsi d’ailleurs de les perdre. Tout ça à cause de la “terreur du politiquement correct”. Gergely Gulyás, vice-président du Fidesz, parti régnant en Hongrie depuis 2010, estime que cette crise migratoire peut signifier la “disparition du politiquement correct”, et l’accession au pouvoir de nombreux partis, au détriment des partis traditionnels, embourbés dans leur crainte du dérapage et leur soucis de consensualité. En gros, ce que l’Ouest appelle avec terreur le populisme, a gagné de toute façon pour Gulyás. En substance, il nous dit que soit les partis réforment en profondeur leur politique, et suivent l’avis de la majorité – comprendre donc, une politique contre l’immigration massive et les aides disproportionnées accordées aux clandestins et immigrants – soit les nouveaux partis prônant ces politiques finiront par gagner, et cela, assez vite. Le FPÖ a d’ailleurs, après son score important en Haute-Autriche il y a peu, fait un score similaire et inattendu à Vienne, devenant la deuxième force politique de la capitale autrichienne. FPÖ qui, rappelons-le, s’est considérablement rapproché du Fidesz d’Orbán au cours de la crise.
A Budapest, la semaine dernière, nous avons eu le plaisir et l’honneur d’assister à la conférence de la présidente croate Grabar-Kitarović, qui s’exprimait devant un parterre de diplomates centre européens, d’étudiants en relations internationales et de journalistes hongrois et étrangers. La conférence a porté essentiellement sur la nécessité de collaboration entre la Croatie et le V4 (groupe non-institutionnel des 4 de Viségrád : Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Pologne), et ce, sur tous les plans – au niveau des transports avec un projet de modernisation ferroviaire de la Baltique à l’Adriatique, mais aussi au niveau des échanges universitaires, ou encore de la politique migratoire. Ne remettant pas en cause l’UE, dans laquelle la Croatie est rentrée en 2013, l’élégante présidente croate a fustigé son gouvernement, qui devrait, comme nous l’avons évoqué la semaine dernière, sauter le 8 novembre au profit du HDZ de centre-droit, auquel appartient Mme Grabar-Kitarović. Jusqu’à maintenant, en seulement un mois, la Croatie a vu entrer sur son sol plus de 170.000 migrants clandestins. Cela pèsera dans la balance, et les propos des politiciens hongrois que nous avons évoqués plus haut vont sûrement résonner dans la tête de certains de leurs collègues européens très bientôt.
Alors que la Slovaquie envoie également, comme l’a fait la Tchéquie, des troupes pour sécuriser la frontière hongroise avec la Serbie, les manifestations anti-immigration ne manquent pas. Encore une fois à Dresde, en Saxe, PEGIDA a organisé une nouvelle manifestation, où, malgré la météo, plus de 8.000 personnes ont pris part. Mais plus important encore, le raz-de-marée de manifestations et de protestations contre les différentes facettes d’un impérialisme américain tenace et polymorphe sur le Vieux Continent. Alors que l’armée américaine, usant de ses prérogatives otanesques, implante de nouveaux avions de guerre et blindés légers en Hongrie, à Berlin a eu lieu une manifestation monstre de 150.000 à 250.000 personnes le samedi 10 octobre, contre le TAFTA et le CETA, ces traités imposés sans consultation des peuples européens, et mettant en pâture au capitalisme sauvage des nord-américains nos labels de qualité, la protection contre les OGM, les hormones de croissance et la qualité de notre alimentation. L’oncle Sam et son valet canadien vont pouvoir déverser chez nous, au mépris de toutes les luttes européennes pour la défense de nos producteurs et de nos terres, leur flot d’immondices toxiques. Mais les Allemands, certes, plus par altermondialisme qu’antimondialisme, crient haut et fort leur volonté de rejeter ces traités iniques. Et pendant ce temps, le gouvernement de Merkel doit gérer la fronde ouverte de Seehofer qui annonce publiquement qu’il faut résoudre le problème syrien en travaillant avec Poutine, ainsi que de plus en plus de maires CDU dissidents en matière de politique d’accueil.
Au Monténégro, les protestations continuent sans heurts, tandis qu’en Moldavie, la situation continue de se dégrader. Depuis début septembre, des manifestations ont lieu ; pour ainsi dire, c’est une révolte pacifique qui tente de tenir bon depuis plus d’un mois face à un gouvernement pro-européen qui a, c’est désormais prouvé, détourné près d’un milliard de dollars US, soit, 12% du PIB annuel, avec la complicité de banques lithuaniennes, hommes d’affaires israéliens, et banques écossaises. Pour ce peuple travailleur d’un des pays les plus pauvres d’Europe, c’est un scandale inacceptable. Mais phénomène intéressant, les forces d’opposition sont hétéroclites. Si il y a bientôt deux ans, chez le voisin ukrainien, on a vu sur la place du Maïdan essentiellement des protestants pro-UE, auxquels des militants nationalistes radicaux se sont ensuite joints pour transformer l’action pacifique en début de révolution, il y a en ce moment à Chisinau, capitale de la Moldavie, des campeurs pro-UE et pro-russes. La guerre d’influence entre Washington-Bruxelles et Moscou n’épargne pas non plus la Moldavie. Mais la situation ressemble à un statu quo qui pourrait bien finir sans étincelles. Le gouvernement étant pro-UE, les opposants pro-UE sont fortement décrédibilisé, d’autant plus qu’ils manquent de personnel politique pour s’imposer sur la scène nationale. Quant aux pro-russes, leurs leaders sont accusés par leurs concurrents d’opposition d’être des agents de Moscou. Accusation retournée par les pro-russes aux membres du mouvement organisant l’opposition pro-occidentale : pire, eux travaillent avec le gouvernement ! D’ailleurs, un des principaux membres de l’opposition, membre du parti libéral, a rejoint en juin le gouvernement. Lundi, les pro-russes ont déversé trois tonnes d’excréments humains avec un camion citerne devant la porte du siège du parti libéral. Ambiance… La situation semble se calmer avec l’arrivée du froid et la résistance du gouvernement, qui a encore 6 mois de mandat, mais à un siège près, le gouvernement peut perdre la majorité au parlement, et Dieu sait quelles répercussions cela pourrait avoir, alors que l’hiver s’annonce froid, que la colère est là, et que le prix du gaz va grimper.
Nous le voyons encore une fois, l’activité politique dans les PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale) ainsi que dans les Balkans est riche et vivante, et cela dépasse le contexte de la crise migratoire. Espérons que l’arrivée soudaine du froid continental ne provoquera pas de drames humains supplémentaires, mais gardons-nous bien de la propagande émotionnelle occidentale qui à n’en pas douter, fera abjectement son beurre sur le dos des malheureux et des imprévoyants migrants – comme on a pu le voir avec le petit Aylan – qui vont souffrir de plus en plus du froid. Nous allons en tout cas, en plus de la crise migratoire, garder un oeil attentif sur ces manifestations et attendons les élections en Croatie et en Pologne. Si vous envisagez un voyage prochain en Europe Centrale, pensez à bien vous couvrir. L’automne aura duré deux semaines. Le bon côté, c’est que l’on redécouvre les joies des plats hivernaux, des grogs et des vins chauds. A l’occasion, il faudrait tout de même que nous vous parlions un peu de gastronomie aussi, car à l’instar de sa politique, la cuisine d’Europe orientale est également riche, complexe et méconnue !
A la semaine prochaine, et n’oubliez pas, le soleil se lève à l’Est !
Ferenc Almássy
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