16/10/2015 – 07H00 Loudéac (Breizh-info.com) – Un livre publié en juin 2015, en pleine crise agricole, se devait de développer cette question qui frappe la Bretagne de plein fouet. Mais Marc Le Fur, dans son ouvrage Le choix de la Bretagne (Coop Breizh) n’y consacre que trois pages. Ce qui est un peu court pour le député de la circonscription Loudéac-Lamballe, haut lieu de l’élevage porcin. Mais ce traitement peur suffire à celui qui considère qu’il n’y a rien à modifier au fameux modèle agricole breton. On ne change pas une équipe qui gagne !
Telle est la philosophie de Marc Le Fur pour qui il est important de « favoriser le progrès de notre modèle agricole breton ». Bref, il y a lieu de dénoncer ceux qui entretiennent « l’illusion de vouloir changer de modèle ». Cette inspiration très FNSEA tombe mal à une époque où le « modèle agricole breton » se trouve dans une impasse. Il n’est pas nécessaire d’être un grand expert agricole pour constater son échec. Certes il connut des heures glorieuses à une époque où la concurrence était quasiment inexistante. Mais, aujourd’hui, la libre circulation des marchandises –Union européenne et mondialisation obligent – font qu’il y a urgence à changer de logiciel.
Certes, Marc Le Fur s’autorise une petite concession : « Chacun reconnait les excès qu’il y a pu avoir dans les remembrements excessifs, les usages de désherbants ou d’engrais », mais pas question d’aller plus loin. Les lieux communs qu’aiment distiller les libéraux sont évidemment mobilisés. Ainsi, si nos agriculteurs rencontrent des difficultés, c’est la faute des « normes environnementales » et des « écarts de compétitivité ». Étant entendu que « la vocation de l’agriculture bretonne est bien l’exportation ». Ce faisant, M. Le Fur oublie de rappeler le mécanisme qui permet d’être « compétitif » (?!) sur les marchés mondiaux : les « restitutions », c’est-à-dire les subventions européennes. Monter en gamme et jouer la carte de la qualité ne semble pas préoccuper le « candidat tête le liste » de la droite aux régionales de décembre. Un seul mot d’ordre : on continue comme avant avec des produits bas de gamme fortement concurrencés par les Allemands, les Danois, les Hollandais, les Polonais et les Chinois.
En laissant croire aux intéressés que continuer sur cette voie, avec quelques aménagements, est possible, Marc Le Fur ne rend pas service aux agriculteurs bretons. Il encourage cette fuite en avant qui voudrait qu’avec de plus grandes unités, on va régler le problème. C’est le discours tenu, par exemple, par Michel Rieu, directeur du pôle économie de l’Institut du porc. Pour lui, « beaucoup d’élevages ont besoin de se moderniser ». Il ya nécessité de « se mettre aux normes règlementaires ». « Tout ça coûte cher et implique une augmentation de taille. Pour être efficace et bien travailler aujourd’hui, un élevage doit tourner autour de 300 à 400 truies » (Ouest-France, Agriculture, 02/10/2015).
Voilà un message clair pour les producteurs de porcs de la circonscription de Loudéac – les électeurs de Marc Le Fur – tous ceux qui possèdent moins de 300 truies sont condamnés à disparaître. Les coopératives, le Crédit agrocole et la FNSEA s’en chargeront M. Le Fur osera-t-il le raconter lors d’un meeting à Loudéac ?
Les trois pages de Marc Le Fur auraient pu gagner en intérêt si quelques chiffres montrant la supériorité du « modèle agricole breton » étaient venus les agrémenter. Ces chiffres, on les trouvera avec René Louail, paysan à Saint-Mayeux, près de Loudéac – un voisin de Marc Le Fur ! -, militant de la Confédération paysanne et conseiller régional écologiste. En 1974, il se lance dans l’élevage intensif avec 20 truies qui deviennent 63. En 1984, il passe au bio. « Au moment des crisses les petits servent de variable d’ajustement, mangés par les plus gros », raconte Louail. Les statistiques leur servent d’épitaphe : les 174 000 élevages des années 1970 sont tombés à 59 000 en l’an 2000 puis à 22 000 dix ans plus tard. (Le Monde, 03/09/2015).
L’avantage de Louail, c’est qu’il pose les bonnes questions : « Faut-il continuer à octroyer 9,2 milliards d’euros de politique agricole commune (PAC) auxquels s’ajoutent 4,9 milliards du budget national, sans oublier les 3,5 milliards d’aides des collectivités territoriales, quand le bilan est plus que discutable ? » (Marianne, 16/11/2013). Voilà un sujet de réflexion pour Marc Le Fur.
Autre réalité à soumettre à ce dernier : les algues vertes fabriquées par l’agriculture intensive, en particulier les porcheries. Dans les Côtes-d’Armor, à la fin septembre, le volume total ramassé pour 2015 dépasse les 19 000 tonnes, avec un record pour la baie de Lannion, où Saint-Michel-en-Grève concentre plus de 10 000 tonnes. Dans le Finistère on atteint 10 000 tonnes à la même période (Ouest-France, Bretagne, 26-27/09/2015).
Au-delà des particularités propres au « modèle agricole breton », la crise de l’agriculture possède une dimension politique et culturelle. C’est ce que croit comprendre le géographe Christophe Guilluy : « Que pèse une petite entreprise agricole face à des multinationales agroalimentaires mondialisées ? Le destin de l’agriculture est désormais lié à l’histoire de la mondialisation. Une hyper-puissance économique des multinationales s’est mise en place parallèlement à l’abolition des frontières (…) Cette crise de l’agriculture est devenue se symbole de notre impuissance. Cela rappelle la petite phrase de Lionel Jospin lors de la fermeture de l’usine Vilvorde-Renault, « l’État de peut pas tout », ou encore les reniements de Nicolas Sarkozy et François Hollande concernant Florange. En quelque sorte, nous assistons au Florange de l’agriculture. Les dimensions politiques et sociales s’entremêlent. Et il y a bien sûr une dimension identitaire car nous sommes là, dans le conflit d’aujourd’hui, entre ceux qui vont être attachés aux frontières et à la souveraineté et, en face, les tenants de la métropolisation et de la globalisation. » (Le Figaro, 04/09/2015). Voilà un troisième thème à développer dans le prochain livre de Marc Le Fur.
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