03/10/2015 – 07H00 Nantes – Breizh-info.com) – Les temps sont durs pour les cochons. Et pourtant, il n’en fut pas toujours ainsi sous nos latitudes. Sans remonter au déluge ou à cette scène admirable de « l’Enfant prodigue » (une parabole de l’Evangile de Luc) – ou du retour d’Ulysse au pays natal – il me vient un souvenir de cochon émouvant. Lorsque saigné, râpé, écorché, découpé, morcelé, cuisiné, il arrivait en rillauds sur notre table, ma Bretonne de mère l’avait introduit dans la dignité. Elle le faisait passer à quasi noblesse, ne le nommant plus que « porc »- elle prononçait « porke », le « c » final très marqué. Ce qui, à mes yeux, expliqua, beaucoup plus tard, l’utilisation infiniment rare en français de deux mots officiels pour désigner le même animal.
Frédéric Pinheiro a la même courtoisie avec le Sus scrofa domesticus. Dans son Restaurant du Pont, à Basse-Goulaine, à deux pas du fleuve qu’on ne distingue qu’à travers des rangées de saules, au-delà des prairies où autrefois le « sabotier du Val de Loire » avait ses pratiques, sa femme, Sophie, vous sert un fabuleux morceau nappé d’un ragoût de shiitaké très parfumé, accompagné de petites pommes de terre sautées et grillées à convenance. Cela m’a rappelé les merveilleux rillauds de mon enfance que nous mangions chauds, à Brissac, en Anjou, à la foire de la Saint-Maurice, le 22 septembre, huit jours avant la Saint-Michel.
Cette fois, il nous a fallu traverser Nantes – sa banlieue sud -, d’ouest en est, des rives enchantées de l’Acheneau à la route 751 qui allait, jadis, de Digoin à Paimboeuf, suivant le fleuve au plus près. Nous n’avons pas regretté ! La salle de l’auberge a fait peau neuve, peinte tout en blanc. L’accueil est encourageant. Le service efficace. Nous avons bu du viognier, un vin primitif qui s’est répandu en Gaule après avoir été ressuscité à Condrieu par le Père Vernay – ce qui prouve notamment que le vin gaulois s’est créé antérieurement à l’arrivée des Romains, au moins six siècles av. J.-C. (Julius Caesar).
Le « porke » servi ce jour-là, au Restaurant du Pont, était de belle allure. Cuit très très lentement, mi-gras, mi maigre, la couenne en plus sur le sommet. Le morceau faisait bien dix centimètres de haut avec, sur son « toit », un petit bouquet de fleurs aromatiques. Cela se tranchait aisément et descendait pareillement, entrecoupé de quelques patates. Avant, nous avions eu une délicieuse terrine de lapin. Après nous terminâmes sur une panna cotta.
Il y a eu, jadis, le Cochon de Beauvais dont Jean Favier fit un héros à l’époque de notre Pucelle ; le Cochon de Lapparent qui fut révolutionnaire et coupeur de têtes ; Cochon, maître de poste à la Croix-Verte qui devint maire de Saumur sous Thermidor. Il faudra compter désormais avec le cochon de Frédéric Pinheiro qui a acquis dans sa cuisine la dignité de « porke ».
Morasse
Restaurant du Pont 147, rue du Grignon 44115 Basse-Goulaine
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