30/09/2015 – 06H00 Budapest (Breizh-info.com) – Notre correspondant en Hongrie, Ferenc Almássy suit de près l’actualité de l’Europe centrale. Il se propose de nous dresser en exclusivité, chaque semaine, un panorama de l’actualité de ces pays.
Nous n’allons pas ici parler des raisons de la crise migratoire, ni du phénomène migratoire en soi. Vent d’Est a pour vocation à mettre en avant l’actualité d’Europe Centrale et de l’Est – on parle aussi des PECO, Pays d’Europe Centrale et Orientale – afin d’apporter, à sa modeste échelle, une information différente de celle véhiculée habituellement par la plupart des médias occidentaux.
Le vent du changement souffle à l’Est. La crise migratoire européenne, qui a changé d’ampleur cette année avec l’explosion du nombre de migrants empruntant la « route des Balkans », montre non seulement les limites des capacités d’action politique de l’Union européenne, mais révèle surtout une ligne de fracture plus profonde. Une ligne de fracture entre l’Europe occidentale et l’Europe communément dite « de l’Est ».
En réalité, c’est l’Europe centrale qui se distingue plus particulièrement. Le groupe des quatre de Viségrád (V4) constitué de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Hongrie a refait parler de lui, alors que d’aucun pensait cette entité obsolète depuis l’intégration de ces pays dans l’OTAN et l’UE. Et pourtant. Alors que la Hongrie est devenue le centre du monde occidental pour quelques semaines, braquée par les projecteurs de la presse mainstream, et vivement attaquée par des médias au diapason – tant dans la critique virulente que dans le mensonge par omission – les autres membres du V4 se sont portés au secours du gouvernement Orbán sur la scène internationale.
Comme l’a dit l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, les sociétés d’Europe de l’Est « pensent que les sociétés multiculturelles sont un échec flagrant, spectaculaire, ils n’en veulent pas. […] Ce n’est pas de la xénophobie dans le sens où ils sont contre un groupe ethnique en particulier, ils ne veulent pas de l’évolution multiculturelle. Il ne faut pas s’en prendre qu’à la Hongrie. Il y a six, sept ou huit pays qui pensent comme ça. Il ne faut pas avoir peur d’en parler.»
N’en ayons pas peur, en effet. Le communisme qui s’est abattu sur l’Europe Centrale après la 2e Guerre Mondiale – avec l’accord des occidentaux – a comme préservé ces peuples dans du formol. Quoiqu’on en pense, les régimes communistes y étaient patriotiques, et les valeurs de nation, d’ordre et de labeur y étaient fortement présentes. Aussi, lorsque l’Union soviétique s’effondra, libérant de son emprise l’Europe centrale, l’Ouest était déjà multiculturel, américanisé et libéral-libertaire. Tandis ce que de Gdansk à Skopje, nation, patrie, frontière, ordre et souveraineté n’étaient pas encore de vains mots à la chute du mur.
L’écart entre l’Est et l’Ouest ne s’est finalement pas résorbé malgré les efforts occidentaux et le zèle de dirigeants pressés de changer de maîtres. En résulte des pays méconnus, faibles depuis 100 ans, meurtris tour à tour par deux guerres mondiales, des conflits larvés, un communisme à l’économie bancale et corrompu, et enfin, par une colonisation économiquement et culturellement très violente de la part de l’Occident. Mais il en résulte aussi des pays qui ont compris, face à l’effondrement visible de l’Ouest, que leur sort était en jeu, et que pour la première fois depuis longtemps, ils pouvaient être les maîtres de leur destin.
Cette prise de conscience est sans équivoque. Les sondages en Hongrie montrent un soutien quasi-unanime envers Orbán. Il y a quelques jours, c’est 83% des Hongrois qui soutenaient sans réserve Orbán dans son action contre l’immigration dans le pays, et 87% qui refusent toute immigration. En Pologne, le gouvernement qui a lâché ses partenaires du V4 au dernier moment sur la question des quotas, en paye le prix à un mois des élections législatives. Il se retrouve à seulement 22% de soutien dans les sondages. Fico, dirigeant slovaque social-démocrate, paye lui le prix de son soutien à Orbán et se voit taxé de xénophobie, traitrise, et d’autres accusations infondées et hystériques.
L’emballement médiatique occidental contre des mesures légitimes et de bon sens de la part d’Orbán, puis, d’autres dirigeants centre-européens n’a non seulement pas eu l’effet escompté à l’Ouest, mais a surtout poussé l’Europe centrale à faire bloc, voyant quel jeu pervers l’intelligentsia occidentale jouait face à des pays qui ont compris être des « pays de seconde zone », comme l’écrivait l’hebdomadaire polonais Wprost. Petit à petit, on perçoit clairement que le rideau de fer a été remplacé par un rideau d’encre. Mais revenons à notre fameuse « route des Balkans » et penchons-nous un peu sur l’actualité.
Si la Grèce, la Monténégro et la Serbie constituent les pays principaux de ce canal migratoire, la Hongrie en est l’aboutissement : une fois en Hongrie, l’on est dans l’espace Schengen. Certes, la Grèce aussi est dans Schengen. Mais elle n’a de frontière terrestre avec aucun autre pays dudit espace… Alors qu’une fois au pays des Magyars, par train, car, voiture, camion ou simplement à pied, il est donné à tous de rejoindre l’Eldorado fantasmé de l’Occident.
Selon l’agence de l’UE FRONTEX, théoriquement en charge du contrôle des frontières extérieures de l’UE – les clandestins empruntant la « route des Balkans » étaient environ 5.000 par an tout au plus jusqu’en 2012. Un nombre tout à fait raisonnable et facile à gérer pour un continent. Mais en 2013, tout s’emballe. 20.000 personnes arrivées illégalement en Hongrie sont enregistrées par la police hongroise. Presque tous Kosovars et Albanais. En 2014, c’est 43.000 personnes. La sonnette d’alarme est tirée par le désormais fameux maire de ce village hongrois à la frontière avec la Serbie, L. Toroczkai, mais rien n’y fait.
Et cette année, tout s’accélère encore. De janvier à août, ce sont plus de 200.000 personnes qui sont enregistrées par la police hongroise, alors que le profil du migrant change : de familles albanaises, on en arrive à un flux de « Syriens » et autres « réfugiés », à 69% composé d’hommes en âge de se battre, toujours selon FRONTEX. Le gouvernement hongrois de Viktor Orbán suit les idées du parti de droite radicale Jobbik et construit sa célèbre clôture qui a fait couler tant d’encre… dans le but de pouvoir protéger les frontières extérieures de l’espace Schengen, comme les traités, dont la Hongrie est signataire, l’y contraignent. Enfin, à l’heure où nous écrivons ces lignes, alors que le mois de septembre n’est pas encore terminé, nous venons d’atteindre les 300.000 personnes entrées illégalement en Hongrie et enregistrées par la police hongroise. Il faut insister sur les termes, car le nombre réel est bien supérieur, certains passant toujours à travers les mailles du filet- beaucoup moins il est vrai depuis que la barrière frontalière est en place.
Arrêtons-nous ici pour l’instant. Comme première chronique, ce volume nous semble suffisant et il ne faudrait pas noyer le lecteur sous trop d’informations…
Un petit rappel des faits et de la chronologie, ainsi qu’une petite remise en situation s’imposaient toutefois. Nous nous retrouverons la semaine prochaine pour un suivi plus détaillé de l’actualité, où nous parlerons des multiples élections récentes et à venir (Autriche, Pologne, …), des actions de la Croatie, du rôle de la Serbie, mais aussi des manifestations anti-gouvernement en Macédoine et du schisme en Allemagne entre le CDU de Merkel et le CSU bavarois, qui tend publiquement la main à Orbán, désavouant la politique de leur alliée politique, la chancelière Merkel.
A la semaine prochaine, et n’oubliez pas, le soleil se lève à l’Est !
Ferenc Almássy
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