Trop de critiques cinématographiques ont la fâcheuse habitude de vouloir débusquer la moindre trace de “fascisme” dans un film. Leur appréciation est, bien souvent, davantage idéologique qu’artistique. Prenons l’exemple de Whiplash, film dramatique américain réalisé par le jeune franco-américain Damien Chazelle, sorti au cinéma en 2014 et cet été en DVD.
Libération dénonce « la direction de l’officier de la Gestapo qui fait office d’enseignant… gifle ses étudiants et les traite en toute impunité de petits pédés ». Le site internet Chronic’art ajoute même que ce film, dont les personnages souffrent d’une « fièvre nietzschéenne », est « dédié à des valeurs rarement défendues ouvertement (l’ambition hypertrophiée, la rigueur artistique confinant au fascisme) » ! Pour répondre à ces accusations, Damien Chazelle a osé répondre : « j’aime mieux tourner un bon film fasciste plutôt qu’un mauvais film de gauche ». Recherchons donc si ce film diffuse réellement un « message fasciste ».
Rappelons pour commencer le scenario de ce film. Andrew Neiman (Miles Teller) est un jeune batteur de jazz de 19 ans. Il vient d’intégrer le prestigieux Shaffer Conservatory de New York. Il est repéré par le très exigeant Terence Fletcher (J.K. Simmons). Son crâne lisse, sa tenue vestimentaire noire, sa façon théâtrale d’entrer dans la salle de cours en claquant les portes sont faits pour impressionner. Pour former un nouveau virtuose de la batterie, Fletcher fait s’affronter les musiciens dans une concurrence effroyable. Il alterne les conseils amicaux et les injures, n’hésitant pas à recourir à la violence physique. Il reste intimement persuadé que le génie ne peut naître que d’une réaction d’orgueil. Andrew s’entraîne alors avec acharnement. Il rompt même avec sa petite amie car il doit répéter plus que jamais. Mais à cause d’un accident de voiture avant un concours, Andrew entre sur scène ensanglanté et est renvoyé. Il se remet difficilement de cet échec et doit témoigner contre Fletcher dont les méthodes ont causé le suicide d’un élève. Quelque temps après, Andrew croise Fletcher, pianiste dans un bar. Celui-lui pour se venger lui tend un piège, mais Andrew se lance dans un solo de batterie d’anthologie…
Whiplash est ainsi un film sur la formation d’un musicien virtuose. Il exprime le dépassement de soi exigé pour atteindre la perfection. La mise en scène particulièrement soignée de Damien Chazelle, âgé de 30 ans, illustre l’importance du rythme en recourant à un montage rapide. Ce cinéaste montre bien l’acharnement de l’élève à dépasser ses limites, en filmant, en plans serrés, son visage en sueur et ses mains en sang. Damien Chazelle avoue, lorsqu’il était apprenti batteur de jazz, avoir subi les enseignements d’un professeur aussi dur que Fletcher.
Ce film justifie-t-il le harcèlement moral ? La question mérite en effet d’être posée. Ce professeur, partisan de la violence psychologique, humilie l’élève en public comme s’il s’agissait à ses yeux d’une vertu pédagogique. Il cherche à imposer une compétition acharnée.
Et l’on comprend le véritable thème du film : le dépassement de soi. Pour atteindre la perfection, faut-il subir tous les sacrifices ? La question vise tous les domaines (musique, sport, armée, études…) et toutes les époques. Certains pensent que le jeu n’en vaut pas la chandelle, d’autres que la perfection n’a pas de prix.
A la fin du film, à force d’épreuves, Andrew devient un génie de la batterie. Et après le dernier coup de cymbale, un regard complice unit l’élève et le maître, comme si le réalisateur justifiait les épreuves endurées.
Ce film ne justifie donc ni le fascisme ni le nazisme. Il n’en parle d’ailleurs à aucun moment. On ne peut que dénoncer la grille de lecture idéologique de trop nombreux médias qui restent obsédés par les années 1930. Le thème du dépassement de soi reste une question philosophique, qui ne doit pas être polluée par des réactions politiques.
Kristol Séhec
Whiplash, DVD 17 euros, Blu-Ray 19,71 euros, Editions Ad Vitam.
Photo : DR
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