03/09/2015 – 07H00 Paris (Breizh-info.com) – La ratification de la charte des langues régionales ou minoritaires a du plomb dans l’aile. A la veille des élections régionales de décembre et en prévision de l’élection présidentielle de 2017, François Hollande ressort du frigo cet engagement de 2012 (promesse de campagne n°56).
Au moins cette dernière présente le mérite de ne pas coûter cher !
« L’Elysée compte sur cette initiative pour séduire régionalistes et autonomistes. Et calmer certains élus socialistes, qui ont fait du catalan, du breton ou du picard leur cheval de bataille : comme le président de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, le bretonnant Jean-Jacques Urvoas, qui a affiché sur son blog une adresse Internet en «.bzh» et non en « .fr ».
C’est la mobilisation des Bonnets rouges, en Bretagne, qui incident l’exécutif, fin 2013, à remettre l’ouvrage sur le métier. Une proposition de loi constitutionnelle – devant nécessairement être adoptée par référendum – est d’abord examinée à l’Assemblée nationale en janvier 2014. La voie du Congrès ayant été jugée préférable, c’est un projet de loi que l’exécutif entend soumettre au Parlement.
La ratification de la Charte exigera donc une réforme de la Constitution. La procédure, pour aboutir, nécessitera la convocation d’un congrès (Assemblée nationale + Sénat à Versailles) sans doute en 2016, donnant à François Hollande l’occasion d’achever son quinquennat dans les habits très régaliens du réformateur de la Constitution.
A moins de deux ans de l’élection présidentielle, un ministre décrypte cette stratégie : « François Hollande va jouer au Mitterand de 1988 : la France unie face à la menace, le président qui protège et qui apaise face à une droite qui attise les tensions. » ( Le Monde, samedi 1er août 2015).
7 mars 2013. Dans un avis très fouillé, le Conseil d’Etat a sorti les gros mots. Il a ainsi qualifié de « venin » le contenu de la Charte et estimé qu’elle était incompatible avec les principes mêmes de la République. « Certains volets de ladite Charte donnent de violentes crises d’urticaire aux tenants d’une République une et indivisible. Lesquels soulignent que la mise en oeuvre intégrale du titre II sera obligatoire dès la ratification. Et que cette partie du texte énumère des « objectifs et principes » qui risquent d’alimenter une interminable guérilla juridique.
Par exemple, la notion de « respect de l’aire géographique de chaque langue » pourrait être utilisée devant les tribunaux pour réclamer la création d’un département basque ou catalan. De même, la clause prévoit « la facilitation et ou l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales dans la vie publique « pourrait servir de prétexte pour multiplier les revendications loufoques. Des citoyens demanderont ainsi à être jugés en breton. D’autres que tous les enseignants d’Alsace parlent la langue locale. Ou que les débats du conseil municipal de Nice soit bilingues …
Autre soucis : la Charte ne définit pas vraiment ce qu’elle entend par « langue régionale ou minoritaire » En métropo;e et en outre-mer, les spécialistes en ont recensé la bagatelle de 75 …Certes, le gouvernement a prévu de s’en tenir à une liste plus restreinte, mais rien n’empêchera les adeptes du picard, du gallo, du poitevin ou du palikur (idiome amérindien de Guyane) d’exiger devant le Conseil d’Etat que Bercy traduise le code général des impôts ou les débats parlementaires dans leur propre langue …» (Le Canard Enchaîné, juillet 2015)
13 décembre 2013 : Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, s’engage, à Rennes, à hâter le processus législatif en vue de la ratification de la Charte datant de 1992, signée par la France en 1999, mais dont la ratification par le Parlement n’est jamais intervenue, en raison d’obstacles constitutionnels. M. Ayrault était venu signer le pacte d’avenir pour la Bretagne.
28 janvier 2015 : Jean-Jacques Urvoas (PS), député de Quimper, et président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, fait voter une proposition de loi visant à modifier la constitution afin de ratifier la Charte. Elle a été approuvée par 361 députés contre 141. « Le gouvernement sait désormais que ça n’est pas le lubie de deux Basques, d’un Corse et de trois Bretons » fait valoir Urvoas (Libération, 28 juillet 2015).
A cette occasion, Thierry Benoît (UDI), député de Fougères, récite un poème en gallo à la tribune de l’Assemblée nationale. Pour lui, la ratification de la Charte européenne des langues régionales « ne portera nullement atteinte aux valeurs d’unicité de la République. Elle reconnaître à chacun le droit de préserver et de transmettre un héritage, de construire l’Europe des peuples ».
Pour Paul Molac (EELV), député de Ploërmel, « une langue ne peut vivre que si elle est parlée. La ratification construira une relation apaisée entre la République et une partie de ses citoyens, elle donnera plus de poids à la France quand celle-ci voudra défendre le français dans les instances internationales. »
Une majorité des députés de droite a rejeté la proposition de loi émanant de Jean-Jacques Urvoas, à la fois inspirateur et rapporteur du texte. « tous les députés UMP de Bretagne, y compris Christophe Priou, de Loire-Atantique, et les députés UMP directement concernés par une langue régionale dans leur territoire, ont voté le texte », rappelle Marc Le Fur (UMP), député de Loudéac.
« Nous ne sommes pas préoccupés de ce que pensait notre formation, nous avons fait le choix que nous pensions le bon pour la Bretagne. Une position non partisane que n’avaient hélas pas su prendre des députés PS en 2008 en refusant de voter une révision constitutionnelle » note Marc Le Fur (Ouest-France, janvier 2014).
Vendredi 10 juillet 2015 : en visite à Ouessant, Manuel Valls, Premier ministre, déclare : « je souhaite que nous avancions sur la question des langues régionales, défendue par le président breton de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas. Soyons fiers d’être à la fois Bretons, Républicains et Français. ».
Jeudi 30 juillet 2015 : Le Conseil d’Etat expose les raisons pour laquelle il « n’a pu donner un avis favorable à ce texte ». L’argumentation reste la même : la Charte mettrait en cause les principes d’indivisibilité de la République, et d’unicité du peuple français. Certes Hollande et Valls ne sont pas tenus de suivre cet avis. Mais les arguments avancés par la haute juridiction tombent à pic pour les opposants. Les magistrats reprennent à leur compte la sévère analyse réalisée par le Conseil constitutionnel en 1999. En résumé, la charte européenne des langues régionales ou minoritaires mettrait à mal les principes d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.
Les conseilles d’Etat poursuivent sur le même ton en torpillant la « déclaration interprétative » de la charte qui sera annexée à la Constitution et qui devrait, selon le gouvernement, régler tous les problèmes; Ils la jugent carrément inopérante et la dénoncent comme une source de « contradictions internes, génératrice d’insécurité juridique ».
De quoi multiplier les procédures contentieuses et les contestations avec les autres pays signataires.
Vendredi 31 juillet 2015 : Lors du dernier conseil des ministres avant les vacances, Christiane Taubira, ministre de la Justice, a présenté un projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Ce texte ajoute un article 53-3 à la constitution qui permet la ratification de la charte. Selon le gouvernement, l’objectif de celle-ci est de « consacrer le droit d’employer, une langue régionale ou minoritaire, que ce soit dans la vie privée ou dans la vie publique. Elle vise à protéger ces langues dans tous les domaines de la vie des citoyens qui souhaitent en user notamment l’enseignement, la justice, les services publics » (Le Figaro, 1 er août).
Août 2015 : Le projet de révision de la constitution qui autorise la France à ratifier la Charte des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe est mal barré. « Les parlementaires ont déjà en main l’avis négatif (et public) rendu par le Conseil d’Etat. Mais ils ignorent encore le contenu du rapport préliminaire (et secret) rédigé par le conseiller d’Etat Francis Delon.
Ce juriste y dénie la valeur de « la déclaration interprétative » ajoutée par le gouvernement pour calmer les opposants de droite comme de gauche. Ce texte, brandit comme un talisman, entend limiter le champ d’application de la Charte en France à quelques mesures symboliques d’ailleurs déjà en vigueur. Comme l’enseignement facultatif des langues régionales du primaire à l’université.
Dans son rapport secret, Francis Delon explique que cette déclaration n’a pas été approuvée par le Conseil de l’Europe et reste donc inapplicable . Il précise même que cet accord du Conseil – loin d’être garanti – ne pourra pas être donné tant que la Charte n’aura pas été ratifiée elle-même par le Parlement hexagonal. Bref, le serpent des langues régionales se mord la queue : sans déclaration, pas de ratification, et sans ratification, pas de déclaration possible. » (Le Canard Enchaîné, 19 août 2015).
Conclusion :
Selon l’exécutif, ce clin d’oeil appuyé aux locuteurs des 75 langues régionales pourrait s’avérer utile dans certains territoires lors de la campagne des régionales de décembre. « La droite est divisée, la gauche plutôt unie, lancer ce débat en pleine campagne n’est pas inintéressant » se réjouissait un conseiller ministériel début juillet. (Le Figaro, 1er-2 août 2015)
Il parait qu’à l’Elysée, on anticipe déjà un échec. Mais Hollande ne prend pas les choses au tragique. « Il s’agit avant tout de diviser la droite » explique un ministre. Et de préciser sa pensée : « Si la majeure partie des sénateurs et des députés républicains sont contre le texte, leurs élus et leurs militants bretons sont à fond pour. » Une remarque qui vaut également pour la plupart des Alsaciens, des Basques, des Corses ou des Flamands du parti.
Soulignons que le problème ne se posera pas en Bretagne puisque Marc Le Fur (UMP-LR) ardent défenseur de la langue bretonne, milite pour la révision constitutionnelle. Or c’est lui qui est la tête de liste de la droite aux régionales de décembre en Bretagne.
Mais c’est principalementdu côté des sénateurs que les blocages sont à attendre. Gérard Larcher (UMP-LR), président de la Haute-Assemblée, est opposé au projet; De même que Bruno Retailleau, président du groupe UMP-LR, qui dirigera la liste de droite aux élections régionales de décembre dans les Pays de la Loire.
Reste à savoir si les 35 candidats qui figureront dans la section départementale de Loire-Atlantique se situeront sur la même ligne.
Bruno Retailleau a déjà brandi le risque « d’affaiblissement de notre unité nationale » voir de « communautarisme linguistique ». Mais les sénateurs représentants des territoires, sont aussi moins sensibles aux consignes de leurs états-majors. Quoi qu’il en soit, la loi doit être votée conforme par l’Assemblée nationale et le Sénat. La Haute Assemblée sera la première à examiner le texte à la rentrée.
Conclusion d’un conseiller ministériel :« on va voir comment Henri Guaino s’oppose à Marc Le Fur » (Libération, 28 juillet). Intéressant également d’observer l’attitude des sénateurs de Bretagne. Le compte rendu intégral et les votes seront disponibles sur le Journal Officiel, en octobre donc.
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