Réalisé il y a 100 ans par Cecil B. DeMille, Forfaiture (The Cheat) reste l’un des premiers films à avoir subi la critique, ô combien infamante, de xénophobie. Visionner ce chef d’œuvre permet de comprendre que cette critique était, comme bien souvent, infondée.
Edith Hardy (Fannie Ward), femme frivole et dépensière de la haute société, dilapide des fonds destinés à l’organisation caritative dont elle est trésorière. Elle emprunte alors une somme à un riche collectionneur japonais, Hishuro Tori (Sessue Hayakawa). Epris d’elle, il accepte de payer la dette si elle se donne à lui. Malgré sa répugnance, elle accepte ce marché. Mais son mari, Richard Hardy (Jack Dean), rembourse la dette de son épouse. Le japonais, devenu furieux, tente de la violer et, comme du bétail, la marque à l’épaule avec le fer rouge qui lui sert de poinçon de collectionneur. En se défendant, elle le blesse par balle et s’enfuit. Pour sauver son épouse, le mari s’accuse de la tentative de meurtre. Lors du procès, Edith dévoile son épaule marquée, se justifiant ainsi d’avoir tiré sur le japonais. Le japonais échappe de peu à un lynchage par le public. Le jury acquitte le mari…
Ce film muet américain, d’une durée de 59 minutes, a été réalisé par Cecil B. DeMille en 1915. Dans Forfaiture, De Mille s’impose comme un très grand cinéaste. La sobriété du décor lui permet de se concentrer sur les visages expressifs des acteurs. Pour mettre en valeur l’opposition entre le Bien et le Mal, De Mille joue avec les ombres chinoises de personnages vus à travers des paravents. Cette utilisation de clairs-obscurs est novatrice. De Mille montre le risque que font peser sur un couple les relations extra-conjugales. Il dénonce la cruauté du japonais qui marque de son sceau chauffé au fer rouge l’épaule gracieuse de Fanny Ward. L’étranger d’origine asiatique, empreint de perversions, désire sexuellement l’Américaine. L’acteur Sessue Hayakawa restera célèbre pour son rôle du colonel Saito dans Le Pont de la Rivière Kwai (1957). Après les protestations d’associations japonaises dénonçant ce film comme xénophobe, le producteur modifia le film en 1918, le personnage japonais Hishuru Tori devenant le birman Haka Arakau…
Certes, ce réalisateur reste connu pour ses célèbres péplums. Mais ses premiers films muets méritent d’être découverts. On y retrouve ses idées conservatrices. Cecil Blount DeMille (1881-1959) entre au collège militaire à l’âge de quinze ans. Il tente de s’engager dans la guerre contre l’Espagne, mais est refusé en raison de son jeune âge. D’abord acteur, il fonde une société de production (ancêtre de la Paramount) et réalise en 1914 le premier film tourné à Hollywood, Le Mari de l’Indienne. Après des comédies vaudevillesques, il devient le spécialiste des superproductions historiques (Jeanne d’Arc, Les Dix Commandements, Le Roi des rois, Le Signe de la Croix, Cléopâtre, Les Croisades, Les Tuniques écarlates, Les Naufrageurs des mers du sud, Les Conquérants d’un nouveau monde, Samson et Dalila, Les Dix Commandements…). Républicain défendant les valeurs morales de l’Amérique puritaine, il transgresse pourtant les règles de moralité imposées au cinéma par le code Hays dans Le Signe de la croix ou Cléopâtre. Profondément croyant, il espérait par ses films religieux amener les foules à croire en la Bible.
Kristol Sehec
Les éditions Bach Films sortent un coffret Cecil B. DeMille de quatre DVD, soit six films muets : Forfaiture, The Girl of the Golden West (1915, La fille du Far West), Saturday Night (1922, Le détour), Adam’s Rib (1923, La rançon d’un trône), The Volga Boatman (1926, Les bateliers de la Volga) et Godless Girl (1929, La fille sans Dieu). Chaque film est présenté par Patrick Brion. Collection hommage à Cecil B. DeMille, Bach films, 25 euros.
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