Nantes. Rénovation urbaine : encore des millions pour les « quartiers » malgré un bilan limité

03/07/2015 – 07H30 Nantes (Breizh-info.com) – Plusieurs quartiers nantais ont été retenus pour le second plan national de rénovation urbaine (PNRU). Il s’agit notamment de Bellevue, Bottière – Pin Sec, Dervallières et Nantes Nord (Bout des Pavés, Chêne des Anglais, Boissière, Petite-Sensive). Plusieurs dizaines de millions d’euros seront versées par l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) et par des collectivités locales comme la ville de Nantes, la métropole et la région Pays de Loire. Pourtant, le bilan des précédentes opérations urbaines, s’il est visible sur le plan monumental, ne fait pas consensus sur le plan social et judiciaire.

Il n’en reste pas moins que rénover les quartiers sera bien accueilli par le BTP alors que même à Nantes les chantiers privés et publics ralentissent. Les investissements sur les voiries ont notamment largement chuté en ville comme dans le département à cause de la baisse des dotations publiques aux collectivités locales. Cinq milliards d’euros seront dépensés pour 200 quartiers dans le second PNRU censé compléter le premier commencé en 2002. Au cours de ces opérations de rénovation, l’urbanisme a été bousculé : démolition de logements vétustes, reconstruction, mais en moins dense, introduction de mixité avec des locatifs privés ou des logements d’accession à la propriété, suppression des courettes et impasse, coupures des corps de bâtiments trop longs comme au Sillon de Bretagne. Mais les quartiers ont aussi été développés avec la création de zones franches, l’implantation d’entreprises ou le passage d’équipements de transports structurants comme le tram ou, à Nantes, des lignes de bus à haut niveau de service (C3 et C5 à Malakoff par exemple). Résultat, à certains endroits, l’opération semblerait réussie : baisse nette de la délinquance et suppression de poudrières urbaines.

Des dizaines de millions pour les « quartiers » des grandes villes de Bretagne

A Nantes, plusieurs quartiers ont bénéficié du premier plan de rénovation urbaine. Une publication de la région Pays de Loire rappelle que 3,7 millions d’euros ont été attribués à plusieurs opérations à Nantes – Malakoff, Dervallières, Bruyères, Bout des Landes – mais aussi Saint-Herblain à Sillon de Bretagne et Bellevue. Selon l’atlas de la rénovation urbaine celle-ci a bénéficié aux Dervallières et aux Quartiers nord de Nantes dès 2007, Malakoff / Pré Gauchet à partir de 2004, Bellevue à partir de 2006, Sillon à partir de 2008 et Certé à Trignac dès 2007. Dans les Côtes d’Armor, les rénovations ont concerné le Roudourou à Guingamp dès 2008, les quartiers Europe, Balzac et Croix saint Lambert dès 2006. En Finistère, ce sont Pontanezen à Brest (2005) et Kermoysan à Quimper (2006) qui y ont eu droit. Dans le Morbihan, ce sont les quartiers Kessler et Devillers à Lanester (2009), plusieurs opérations à Lorient (2005) et Ménimur à Vannes (2009) qui en ont profité. Enfin en Ille-et-Vilaine l’ANRU est passée par les quartiers sud de Rennes (2007) et La Découverte à Saint-Malo (2008). A cela s’ajoutent les grandes opérations de régénération et de reconquête urbaine, comme sur l’Ile de Nantes, qui conduisent elles aussi à faire des efforts en faveur des poches locales de pauvreté.

A Malakoff, les aménagements réalisés ont largement changé le visage du quartier en le reliant à l’espace urbain au nord, par delà les voies ferrées, et au sud, sur l’île de Nantes. Deux lignes de chronobus (C3 et C5) ont été tracées, un pont jeté sur la Loire et de nombreux équipements publics créés : maison de quartier des Haubans, centre de loisirs Ange Guépin, collège Sophie Germain, piscine de la Petite-Amazonie, gymnase du Pré-Gauchet… sans oublier la mosquée. Au bout des Landes ce sont 5,2 millions d’euros qui ont été dépensés pour requalifier l’ensemble des logements de ce quartier excentré, sans compter la construction d’une salle des fêtes polyvalente.

Aux Dervallières, ce sont 75,2 millions d’€ qui ont été investis dans des opérations lourdes : 420 logements restaurés, 400 construits à neuf, sans compter les équipements publics. La cartographie des travaux indique aussi les opérations en matière d’aménagements publics : rénovation et extension de l’école primaire, construction d’un pont, d’une maison de l’Emploi, d’un lieu dédié à la science, réfection des voiries, réfection de la maison de quartier, EHPAD en prévision, transformation de l’ancienne école Dervallières-Chateau en squat artistique, installation d’aires de jeux et passage d’une nouvelle ligne de bus à haut niveau de service (Chronobus C3).

Des montants similaires ont été dépensés dans les autres quartiers de Nantes ou de Bretagne bénéficiaires de l’ANRU. Des sommes qui peuvent faire rêver d’autres quartiers de grandes villes moins abonnés aux faits divers ou des communes rurales qui pourraient vivre un quart de siècle  avec ce qui a été dépensé pour les Dervallières. Même si ces quartiers dits « sensibles » cumulent de nombreuses problématiques et sont chacun comparables à un gros chef-lieu de canton – comme le Sillon de Bretagne (2500 habitants) – voire plus : 20 000 habitants habitent Bellevue, à cheval sur Nantes et Saint-Herblain. A quand un « plan Marshall » pour cette France périphérique disparue des radars politiques,  qui concentre les difficultés, les exclusions et les défis sans avoir, pour y faire face, les ressources des grandes métropoles ?

La rénovation urbaine est-elle partie sur de mauvaises bases ?

Pourtant, si les interventions se voient vraiment pour la voirie et l’architecture, des voix critiques s’élèvent quant à l’absence ou le peu de visibilité des améliorations sociales. Seules elles sont le signal que la bataille pour donner de l’avenir aux habitants de ces quartiers est gagnée. Renaud Epstein, de l’université de Nantes, estimait ainsi dans Les Echos que « l’argent de la rénovation urbaine a acheté le consensus et dépolitisé le débat », faisant sortir les banlieues des sujets politiques de premier plan alors qu’elles y étaient en 2007, et surtout en 2005, année où Sarkozy fait la une avec son « karcher » à la Courneuve et les « racailles » sur la dalle d’Argenteuil. Des paroles qui des années plus tard n’ont pas été traduites par un recul tangible de l’insécurité en France.

C’est justement cette mise à l’écart politique du sujet que souligne l’universitaire nantais : « le programme de rénovation urbaine a permis aux maires de tous bords de mener des opérations qui frappent l’opinion. Faire exploser une tour, c’est plus spectaculaire et plus facile qu’améliorer le fonctionnement des services publics dans ces quartiers. La rénovation urbaine a produit des réalisations visibles, mais pas de résultats tangibles sur le plan social. » En clair, il est plus facile de donner de l’argent pour permettre aux maires de se faire mousser et faire reluire les quartiers que de prendre les problèmes sociaux à bras le corps. Y compris ceux qui fâchent. Par exemple l’implantation tous azimuts des réseaux de la délinquance – qui peuvent s’étendre jusqu’aux structures publiques, comme le contrôle d’un marché ou plus classiquement les « médiateurs » de rue, parfois liés dans le passé aux groupes délinquants. Ou encore le poids des communautarismes – qui continuent à exister parallèlement à la République, constat d’échec durable. Comme dans la France périphérique qui, elle, ne fait pas l’objet de toutes ces attentions, l’Etat peine à trouver un avenir aux jeunes générations. Pourquoi travailler à l’usine, si elles ferment, ou sur les chantiers,  quand un dealer gagne en une semaine ce que leur père gagne en un mois en se levant à quatre heures du matin et en accumulant les heures supplémentaires ? Ce sont à ces questions basiques que les pouvoirs publics préfèrent refuser de répondre.

« euphémiser les paramètres ethniques et communautaires »

D’autres critiques ont été formulées par Philippe Genestier, architecte-urbaniste en chef de l’Etat, dans une tribune libre au vitriol. Il pointe notamment la fixation des élus sur la dimension spatiale des quartiers : les lieux, l’architecture. Quitte à plaquer des discours standardisés comme « l’enclavement », véritable marronnier du renouvellement urbain, même si les « cités » concernées peuvent être au carrefour de plusieurs lignes de transports en commun (comme Bellevue à Nantes) ou être dans un environnement favorable comme Malakoff, entre la Loire et l’espace vert exceptionnel de la petite Amazonie. Philippe Genestier souligne « l’inversion des facteurs » dans les discours et les politiques de rénovation urbaine  « considérant qu’un espace déficient induit des problèmes sociaux, et non que les problèmes sociaux entraînent toutes sortes de déficiences » et qu’il appelle « spatialisme ». Celui-ci a un autre mérite : rejeter les problèmes sociaux, ethniques et culturels : « la sur-spatialisation dont celui-ci procède a le mérite d’euphémiser les paramètres ethniques et communautaires en les assimilant à des faits géographiques ».

Puisque tout le mal réside dans l’architecture et l’état des voiries, peu importe la composition de la population que l’on met dedans ou les dérives sociales enregistrées. Surtout, pour des raisons idéologiques ou électorales – surtout si les « quartiers » sont une réserve de voix cruciale – des élus n’ont aucun intérêt à se lancer dans ce débat. Donc ils appliquent un discours standardisé que l’urbaniste démonte, tenant du do something syndrome, c’est à dire qu’il « faut faire quelque chose », même hors de propos, pour justifier l’existence des élus, qui met en œuvre une histoire logique racontée, le storytelling, avec une fin heureuse (happy end) rejetant les réalités contraires ou négatives, et portée par une pensée qui prend ses désirs pour des réalités, le Wishful Thinking. Du beau boulot de communication payé avec l’argent des contribuables. Et qui fait l’affaire des médias, des communicants, du BTP, des élus – souvent liés aux trois secteurs précédents – ou des militants associatifs. Tout le monde s’y retrouve (sauf le contribuable, mais il n’a pas voix au chapitre) donc tout le monde se tait.

La rénovation urbaine entraîne-t-elle la baisse de la délinquance ? Il est permis d’en douter.

A Blois, où 253 millions d’euros ont été versés pour la rénovation de la ZUP Nord (dont 60 millions d’€ de l’ANRU, 15,6 de la région Centre, 17 de la ville de Blois, 5 de la communauté d’agglomération) les voiries et les équipements sont les plus neufs de toute la ville. Pendant ce temps dans le centre-ville, certaines voiries du quartier du Foix tombent littéralement en ruine. Tout comme au sud de la Loire dans le Bas-Rivière. Le second PNRU versera encore 56 millions d’euros à la ZUP-Nord, comme le relève le média d’extrême-gauche tourangeau la Rotative, qui n’a pas spécialement cru au discours de com’ qui vend ce nouveau plan de rénovation urbaine. Les blésois n’y croient pas non plus et se demandent qu’est-ce qui va bien encore pouvoir être rénové. On peut les comprendre : la ZUP Nord reste un paradis de la délinquance, bien connu des drogués qui s’y approvisionnent en shit, beu et coke, ou encore des bracos qui y connaissent un bar en particulier où l’on peut aller, et repartir avec une kalach ou un fusil à canon scié si le client a les moyens et affiche la gueule de l’emploi.

Lorsque l’on voit certains faits divers, comme les coups de couteau récemment au Bout des Landes ou les émeutes de 2010 à la Boissière, il est aussi permis de douter de l’efficacité socio-judiciaire des millions déversés sur les quartiers de Nantes. Et ce, quoi qu’en disent les chiffres : les statistiques sont à la police ce que les lampadaires sont au clochard, ça soutient plus que ça n’éclaire.

Du côté judiciaire, c’est en revanche très clair. La plupart des affaires de drogue à Nantes – côté vente ou organisation de réseaux – concerne les « quartiers » .

Ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent : Bellevue, Malakoff, le Breil-Malville, les Dervallières, le Chêne des Anglais. En matière de délinquance de voie publique, de dégradations, de vandalisme, de vols avec violence, là encore, une grande partie des figurants – acteurs principaux ou rôles secondaires – vient des quartiers. Le constat peut être fait dans tous les tribunaux bretons ou français : la « cité » locale alimente mécaniquement la délinquance. C’est là que brûlent les poubelles, c’est de là que se forment des bandes qui règlent leurs comptes dans les mêmes quartiers ou en pleine ville, comme hier à deux pas du palais de justice de Nantes. Dans les prisons, c’est pareil : « la plupart de nos clients locaux viennent des quartiers sensibles », nous explique ce surveillant qui préfère rester anonyme : « ce n’est pas politiquement correct de le dire, mais c’est un fait ; il n’y a que trois exceptions, les affaires de mœurs, les infractions routières et les cambriolages à répétition ; ces derniers sont essentiellement trustés par les réseaux de l’est, même s’il y a aussi des voleurs locaux ».

C’est encore les « quartiers » qui restent particulièrement fragiles du point de vue socio-économique, même quand ils sont collés à des zones économiques dynamiques, comme Bellevue, proche d’Atlantis et de ses boutiques et commerces qui embauchent de nombreux vendeurs peu ou pas qualifiés. Le taux de chômage de Bellevue oscille de 19 à 30% que l’on prenne en compte toute la zone entre Saint-Herblain et Nantes ou la seule ZUS. A l’échelle du quartier qui couvre tout le périmètre allant des Salorges à Roche-Maurice et de la ZIP de Cheviré à Mendès-France le taux de chômage est de 25% (contre 18% des actifs à Nantes), la densité et le nombre de jeunes supérieurs et le nombre des bacheliers nettement inférieur à l’ensemble de la ville (28% contre 43%). Et ce, après des années de rénovation urbaine et des millions investis. L’INSEE rappelle les données de 1999 pour le chômage : 11,6% dans le quartier contre 8,1% à Nantes et en 1990 (9% dans le quartier, 6,1% sur toute la ville de Nantes). Du point de vue politique enfin, ce sont les quartiers qui ont été les plus choyés par les élus, là où il y a le plus d’équipements, qui sont les plus enracinés dans l’abstention. Comme les Dervallières en mars 2014.

Voilà des données et des réalités qui font réfléchir. Alors que le nouveau PNRU se fonde sur les mêmes discours et la même communication que le premier, il est peut-être temps de se demander si cela ne va pas être encore de l’argent jeté par les fenêtres, faute d’avoir le courage de s’attaquer aux causes sociales profondes. Celles qui touchent à la population et pas seulement au cadre de vie. Et si, quitte à utiliser cet argent, il ne serait pas plus utilement et efficacement dépensé par toutes ces communes rurales et périurbaines qui luttent avec bien peu de moyens contre la désertification démographique, économique et médicale, l’abandon des campagnes par les services publics et la montée de la délinquance.

Crédit photo : breizh-info.com
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