28/06/2015 – 07H30 Nantes (Breizh-info.com) – A partir de lundi, les salons Mauduit, lieu emblématique des fêtes et des meetings politiques à Nantes, mais aussi ensemble Art Déco exceptionnel sera la proie des pelleteuses. Les œuvres d’art intérieures ont été enlevées et mise à l’abri par la ville. Mais Nantes Patrimoine, qui avait déjà déposé un recours contre la démolition et s’était faite débouter, a déposé une nouvelle demande de suspension des travaux, avec des arguments nouveaux.
« Mercredi, tout sera par terre ». Cet ouvrier du chantier est catégorique : « il faut que ça soit par terre, sinon on ne tiendra pas les délais ». C’est d’ailleurs la même période de démolition qui a été signifiée aux riverains et aux voisins immédiats des salons Mauduit. Mais Me Bascoulergue, avocat nantais expérimenté en matière de droit du patrimoine et d’urbanisme qui a repris le dossier, prévient : « je ne peux empêcher la démolition ; mais le recours a été déposé vendredi en début d’après-midi et notifié dans la foulée à l’aménageur et la ville : c’est eux qui prennent le risque, y compris la responsabilité de reconstruire si ils y sont condamnés ». Seule la partie historique sera détruite – l’extension des années 1990 contient encore de l’amiante ; après désamiantage elle sera aussi mise à bas.
Le premier référé suspension de l’association nantaise Nantes Patrimoine mettait l’accent sur l’absence de permis de démolir, le classement de l’ilot Désiré Colombe – Bourse du Travail – Mauduit au patrimoine nantais, l’absence possible d’intérêt général du projet puisque en grande partie constitué de logements privés et divers articles du PLU. Ces prétentions ayant été déboutées en première instance, Me Bascoulergue, qui a repris le dossier, a trouvé de nouveaux moyens.
L’erreur curieuse de l’architecte des Bâtiments de France
Quand on sait qu’un particulier qui a le malheur de vouloir mettre un velux à 100 mètres d’une église classée peut en avoir pour deux ans de procédures avant de se le faire refuser, le laisser-aller extraordinaire de certains ABF en matière de projets publics interpelle, voire exaspère. Il y avait déjà eu l’affaire du château d’Ancenis : un massacre à la bétonneuse sous les bons auspices de l’ABF, du Département et de la Justice, tous unis pour laisser construire un bâtiment outrageusement carré et typique d’une zone industrielle dans la cour d’un château médiéval et Renaissance qui figure parmi les fleurons de l’architecture militaire bretonne. Et ce bien que l’Histoire bafouée a fini par se venger puisque le bâtiment avait une solidité douteuse et surtout la cour administrative d’appel a déclaré la construction illégale début 2014.
Le successeur de l’ABF qui a laissé passer Ancenis semble vouloir continuer dans la même veine – en même temps, il ne risque pas d’être condamné à reconstruire lui-même avec une truelle et des pierres ce qu’il aura laissé abattre. Consulté en novembre 2014 pour le projet sur l’ilot Mauduit-Bourse du Travail – Désiré Colombe qui est à 120 mètres de l’église Notre-Dame de Bon Port (classée), Dominique Bernard, chef du service territorial de l’architecture et du patrimoine (STAP) fait une réponse étonnante datée du 26 janvier 2015. Celui qui fut précédemment en poste – à la même fonction – dans les Côtes d’Armor, estime en effet que « ce projet n’est pas situé dans le champ de visibilité » de l’église. Donc il n’y a pas de covisibilité : ce qui veut dire que selon l’ABF, le projet n’est pas visible depuis l’église et il n’y a pas d’endroit situé sur la voirie publique d’où on voit à la fois le projet et Notre-Dame de Bon Port. Fort logiquement l’ABF estime donc que « ce projet n’appelle pas de recommandation ou d’observation au titre du patrimoine, de l’architecture, de l’urbanisme ou du paysage ».
Le seul problème, c’est que les règles de la covisibilité sont très précises et simples. Il se trouve que la Bourse du Travail, immeuble repère de l’ilôt Mauduit-Désiré Colombe, se trouve à l’angle des rues Leloup et Désiré Colombe à 100 m pile de l’église, sur une voirie qui y conduit tout droit – la rue Arsène Leloup. Les salons Mauduit sont plus en arrière dans le prolongement de cette même voie. Donc on voit l’église depuis cette rue qui longe l’ilôt sur sa face ouest. Depuis les voiries au pied de l’église, sur son côté nord (angle Dobrée / Leloup) on voit aussi la Bourse du Travail, tandis que de la rue Leloup, à 50 m du projet et de l’église, on voit les deux.
Une covisibilité que Me Bascoulergue n’a pas eu de peine à établir. Deux constats d’huissier joints au recours plus tard, une question se pose : pourquoi une telle erreur de l’ABF ? Complaisance ou étourderie d’un service surchargé, les deux hypothèses sont également inquiétantes lorsqu’on pense aux milliers de permis traités chaque année par le service, puisque toute modification extérieure (permis de construire, démolir, aménager ou déclaration de travaux) à 500 mètres d’un monument classé ou inscrit doit passer sous les fourches caudines de l’ABF.
Des moyens tirés du code de l’urbanisme et de l’état des bâtiments
Deux autres moyens de Me Bascoulergue sont tirés du Code de l’urbanisme. Le premier s’appuie sur l’article L 421-6 de ce code, qui précise qu’un permis de démolir peut être annulé s’il est contraire à la mise en valeur du patrimoine bâti. Or l’îlot est classé parmi le patrimoine urbain remarquable. Le second s’appuie sur la possibilité offerte par le code de l’urbanisme de refuser un projet s’il porte atteinte aux perspectives monumentales ou à l’environnement urbain. « Le passage Mauduit est à lui seul une perspective monumentale », estime l’avocat nantais. L’îlot aussi – placé au coin de deux rues, dominé par la masse de la Bourse du Travail, elle même tout droit au nord de Notre-Dame de Bon Port, c’est un paysage urbain remarquable qui risque d’être rayé de la carte dans les jours qui viennent.
Enfin le dernier moyen s’appuie sur le fait qu’on ne peut légalement refuser un permis de démolir si le bâtiment est en ruine. « Cet état de ruine de l’ensemble, il va falloir le prouver », clame l’avocat. Reste à espérer que les salons Mauduit seront sauvés par le droit avant d’avoir été mis par terre. Il n’y a pas qu’à Ancenis que la justice a statué bien après le massacre du patrimoine ; il y a quelques semaines la justice n’a estimé absolument pas urgent de statuer sur la démolition de la mairie-poste de Pluméliau – elle ne l’a fait qu’une fois le bâtiment rasé, et pour rejeter les recours devenus inutiles. Ce qui sonne comme une incitation aux élus et aménageurs à s’asseoir sur le patrimoine : peu importe la loi, puisque le droit n’est pas appliqué.
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5 réponses à “Nantes. Recours de la dernière chance pour les salons Mauduit”
Bonjour. Je ne connais pas ce bâtiment. Néanmoins, les quelques informations que j’ai pu glaner en quelques minutes sur ce dossier ne vont pas du tout en votre faveur. J’ai donc appris, notamment, que la structure de la charpente métallique est largement sous dimensionnée, qu’elle a subit des désordres irrémédiables, ce qui a motivé la fermeture au public de ce bâtiment.
Alors, la question que je me pose est « peut-on tout garder » ?
Ce bâtiment a t’il un quelconque cachet historique ? NON , strictement aucun, des constructions de ce genre, il y en a des dizaines de milliers dans toutes nos villes et villages de France, anciens restaurants, salle de danse, vieux cinéma ccinémas etc…
Alors, pourquoi donc vouloir, à tout prix, conserver celui-ci, si ce bâtiment est complètement pourris et que sa réhabilitation coûterait une fortune, pour un résultat minable
Lorsque je vois que le Château Queyrras est mis en vente sur leboncoin, je pense qu’il nous faudrait nous fixer des priorités. Et ce château en est une. À l’inverse je ne vois aucune intérêt à conserver cette salle.
Oh, bien sûr, il se trouvera toujours quelques agités du bocal prêts à défendre tout et n’importe quoi. Il y a des jours ou il faudrait arrêter d’être con, et ouvrir un peu les yeux, regarder autour de soi, voir ce qui est important, et faire les bons choix.
Une blague sur les Bigoudens nous raconte qu’il n’y a que chez eux ou l’on voit le P.Q. sécher sur les fils à linge. J’ai bien l’impression qu’à Nantes, certains sont aussi prêts à s’y mettre…
@disqus_SWa5EVU2jj:disqus
Avant de traiter les autres de cons, il faudrait se demander ce qu’on peut penser de vous en la ramenant affirmant qu’on ne connait rien du bâtiment et qu’on a étudié le dossier quelques minutes sur l’internet.
Les Salons Mauduit ne sont pas exceptionnels en eux-mêmes mais sont exceptionnels pour Nantes, ville sans grand patrimoine architectural (vous ne devez pas connaître non plus). Il y a aussi une histoire de gestion administrative pitoyable du dossier qui dure depuis des années. Un processus d’opposition sert aussi à dévoiler des errements, pas seulement à arriver à un but. Un peu comme NDDL. Que l’on mette de côté l’utilité d’un nouvel aéroport, la question écologique, l’opposition a permis de révéler le caractère technocratique du projet et sa gestion plus qu’erratique.
Enfin, venir sur commenter sur un article de Nantes, sur un site breton, venir parler du château de Queyras, c’est être agité du bocal.
je n’ai pas l’impression que ce bâtiment soit HS. Pour y avoir fait un tour (et même participé à une soirée informelle) il y a un à peine il est tout à fait correct. La Duchesse Anne est en ruine en revanche, clairement. Y a des photos en ligne, pas de doute.
@jacadi
Effectivement, l’hôtel est en ruines.
L’attentisme municipal est d’ailleurs un autre exemple frappant du dédain pour le patrimoine nantais. On préfère investir dans des jeux de construction ou des manèges.
On parle, comme on aime le faire à la mairie de Nantes, de conserver la façade. Celle-ci ne sera certes pas patrimoine de l’Humanité mais reste remarquable pour Nantes.
Ce qui est surtout remarquable c’est le décalage entre les intentions et les réalisations.
L’hôtel Duchesse Anne se trouve dans le secteur historique de Nantes, face à son monument, le Château de Bretagne, le plus apprécié.
Cela ne fait pas très sérieux de laisser ce bâtiment tomber en ruine quand on prétend séduire les touristes.
Mais comme il appartient à des particuliers, c’est compliqué. Beaucoup plus facile de jouer avec les terrains publics, il n’y a pas de risque de contradiction.
Ce bâtiment vient d’être rasé ce lundi 29 juin.
Fin de la polémique.