Breizh-info vous propose désormais une chronique hebdomadaire intitulée « 7 films à voir ou à revoir » et réalisée par Virgile pour le Cercle Non Conforme, qui nous a donné son accord pour reproduire le texte.
Cette semaine, 7 films à voir ou à revoir sur le thème de la Guerre comme expérience intérieure
A propos de la guerre, Ernst Jünger écrivait : « Oui, le soldat, dans son rapport à la mort, dans le sacrifice de sa propre personne pour une idée, ignore à peu près tout des philosophes et de leurs valeurs. Mais en lui, en ses actes, la vie trouve une expression plus poignante et plus profonde qu’il n’est possible en aucun livre. Et toujours, de tout le non-sens d’un processus extérieur parfaitement insensé, ressort une vérité rayonnante : la mort pour une conviction est l’achèvement suprême. Elle est proclamation, acte, accomplissement, foi, amour, espérance et but ; elle est, en ce monde imparfait, quelque chose de parfait, la perfection sans ambages. «
Il y a un siècle, la Première Guerre mondiale inaugurait le combat moderne en même temps qu’elle propulsait sur des centaines de théâtres d’opération des millions de jeunes âmes volontaires ou contraintes de vivre leur guerre « comme expérience intérieure ». Des hommes, tel Ernst Jünger, héraut de l’aristocratie guerrière allemande, René Quinton ou Joseph Darnand, frères d’armes français, naquirent pour la seconde fois sous la tempête des Orages d’acier. Mais combien d’hommes marqués à jamais par l’indicible effroi de l’expérience du combat ?
Eux qui clamèrent plus volontiers, non la Guerre notre mère mais la Guerre notre mort. Le thème de la guerre figure parmi les plus explorés du cinéma. Excellente occasion de découvrir ou redécouvrir, sous de nombreux aspects, de brillantes réalisations abordant plus généralement la perception psychologique des conflits.
LES CHEMINS DANS LA NUIT
Titre original : Wege in der Nacht
Film allemand de Krzysztof Zanussi (1979)
1943, des soldats du Reich prennent possession d’une grande ferme polonaise. La chasse aux alentours est l’occupation favorite des officiers de la Wehrmacht, parmi lesquels deux universitaires, Friedrich et son cousin Hans-Albert. Friedrich se distingue de son cousin par sa passion pour l’art et la littérature. Il tombe bientôt amoureux d’Elzbieta, fille du baron propriétaire, qui est animée des mêmes goûts artistiques. Un amour nullement réciproque. Elzbieta juge Friedrich trop peu critique à l’égard de la barbarie de la guerre. Et patriote polonaise ardente, Elzbieta est bien décidée à utiliser l’amour de Friedrich pour aider l’action militaire des partisans polonais…
Pas tout à fait un film de guerre, la réalisation de Zanussi explore de manière admirable la collaboration par l’inaction. Si Friedrich n’est pas un national-socialiste convaincu, son inaction pour combattre le régime et son acceptation de la barbarie le transforment en complice actif. Et c’est toute la faiblesse morale du héros, présenté comme un personnage affable et sympathique mais obéissant aveugle à un régime qu’il ne cautionne pas, que souhaite mettre en exergue le réalisateur. Tourné en 1979, Zanussi, de nationalité polonaise, ne manque pas d’établir un parallèle fort avec l’intelligentsia polonaise, de même, complice du régime communiste par sa lâcheté. Le film, en outre servi par de brillants interprètes, est un petit bijou.
EMPIRE DU SOLEIL
Titre original : Empire of the Sun
Film américain de Steven Spielberg (1987)
Shanghai en 1941, la zone anglaise de la ville connaît un destin singulier quand le reste de la Chine est occupée par l’armée japonaise. James Graham est le jeune fils d’un riche industriel britannique et mène une adolescence insouciante. Mais James est bientôt rattrapé par la guerre. L’aviation japonaise vient d’attaquer Pearl Harbour scellant la déclaration de guerre nippone aux forces alliées. L’armée impériale envahit la Concession internationale de Shanghai. Séparé de sa famille, le jeune garçon erre et découvre la peur et la mort avant de se retrouver prisonnier dans un camp dans lequel il doit apprendre à survivre. Ses rêves de révolte et de guerre perdent leur sens. Aidé par le prisonnier Basile, James n’a d’autre possibilité pour évader son esprit que de transformer sa détention en aventure extraordinaire…
Si le talent de Spielberg est largement surestimé, le présent film constitue l’une de ses meilleures réalisations avec Rencontres du troisième type. Bien que non soldat, James est contraint de mener et vivre sa guerre sans fusil comme un parcours initiatique qui le révèlera et le conduira à l’âge adulte. L’image émouvante d’un antihéros qui se représente la guerre et la barbarie comme son nouveau terrain de jeu. Le film est une adaptation du récit semi-autobiographique de l’écrivain de science fiction James Graham Ballard. Une œuvre lyrique et envoutante.
LE FAUBOURG OKRAINA
Titre original : Okraina
Film russe de Boris Barnet (1933)
1er août 1914, l’Allemagne mobilise et déclare la guerre à la Russie tsariste. Un vent patriotique souffle dans tout le pays, aussi sur le faubourg d’une petite ville menacée par l’avancée des troupes du Kaiser. Gresin, le fabricant attitré de bottes pour l’armée est le plus fervent patriote et enjoint tous les hommes en âge de combattre du quartier à monter au front. L’ouvrier Nikolaj Kadin est mobilisé et rejoint par son frère Son’ka qui se porte volontaire. Ces modestes ouvriers et paysans vont bientôt découvrir les horreurs des tranchées et la gestion irresponsable d’officiers généreux en chair à canon. A l’arrière du front, l’effervescence patriotique cède la place à la contestation d’un conflit engraissant les marchands de canons. Les thèses bolchéviques trouvent un terreau favorable à leur éclosion…
Certes, il s’agit d’un film de propagande stalinienne qui ne fait guère l’économie d’un certain nombre de poncifs. C’est le lot des films de propagande après tout… Barnet livre néanmoins ici une vision douce-amère de la guerre, éloignée de la grandiloquence d’autres productions bolcheviques. L’autre particularité du film réside également en une présentation de la perception du conflit par l’ensemble des classes sociales, limitant un point de vue uniquement prolétaire. Bref, une réalisation assez iconoclaste au sein du monolithisme du cinéma soviétique. A voir !
FLANDRES
Film français de Bruno Dumont (2005)
De nos jours en Flandre, Demester doit quitter son exploitation agricole, accompagné d’autres jeunes Flamands, pour être propulsé sur un théâtre d’opération lointain. Demester menait jusqu’alors une vie pauvre et simple. Il aime secrètement Barbe, son amie d’enfance avec laquelle il partage de longues ballades. Il aime Barbe malgré ses mœurs libres et ses amants, parmi lesquels Blondel qui la séduit. Attendant le retour de Demester, Blondel et leurs compagnons, Barbe s’ennuie au village. Quant à Demester, de nature aussi taciturne et morose que l’était son ciel de Flandre, il fait face à la guerre avec une parfaite tenue au feu et se mue en véritable guerrier. Une guerre dont il ne sortira pas indemne psychologiquement…
Afrique du Nord ? Moyen Orient ? Rocailleux et écrasé par un lourd et brûlant soleil, le théâtre d’opération défini par Dumont est imaginaire et filmé avec un ton glacé. Le film n’épargne rien au spectateur plongé au cœur d’un voyage au bout de l’enfer. Une descente aux enfers qui se poursuit après le retour du champ de bataille et maintient le spectateur dans une position inconfortable sublimée par d’interminables moments de silence. Bruno Dumont ne cesse d’étonner et de confirmer l’étendue de son incroyable talent. A voir absolument !
LA HONTE
Titre original : Skammen
Film suédois d’Ingmar Bergman (1968)
Jan et Eva Rosenberg vivent reclus sur une île et vouent une passion inconditionnelle pour la musique dans un monde en proie à une guerre lointaine. Une panne de radio suivie d’autres incidents mineurs précipitent progressivement l’île dans le conflit. Les comportements de chacun se modifient radicalement. Jan se montre ainsi de plus en plus agressif envers Eva. Arrêtés tour à tour par les conquérants et les libérateurs, les amoureux sont relâchés sur ordre de leur ami, le colonel Jacobi. Eva s’offre au colonel bientôt fusillé sous leurs yeux. Les musiciens prennent la fuite en compagnie d’autres fugitifs en barque sur une mer jonchée de cadavres. Ils savent que, désormais, plus rien ne sera comme avant…
L’histoire de deux civils ordinaires plongés dans un conflit imaginaire aussi banal qu’insoutenable. Avec brio, le réalisateur démontre l’intrusion de la violence et les irréversibles bouleversements qu’elle engendre. Les deux individus sont littéralement pris au piège et otages d’un monde qui ne les concerne pas. Une anomalie dans la filmographie de Bergman qui parvient à montrer la guerre avec un indéniable talent conjugué à une parfaite psychologisation des protagonistes. Un chef d’œuvre !
LA LIGNE ROUGE
Titre original : The Thin Red Line
Film américain de Terence Malick (1998)
1942, la bataille de Guadalcanal fait rage dans le Pacifique. Le cadre paradisiaque est trompeur. Au milieu de tribus amérindiennes otages d’un conflit étranger, soldats américains et nippons se livrent une lutte sans merci, dont aucun combattant ne sortira indemne. Au sein de la Charlie Company, le fantassin Witt, accusé d’avoir déserté, bénéficie de la clémence du sergent Welsh. Le chemin menant à l’objectif, la colline 210 défendue par un solide bunker, semble interminable et la préparation d’artillerie semble bien mince. De nombreux soldats gisent déjà au sol. Les survivants sont assoiffés. Il n’y a plus d’intendance… Le capitaine Staros refuse de poursuivre l’assaut commandé par sa hiérarchie, estimant qu’il s’agit d’une mission-suicide. Après de longues heures d’attente, une patrouille de sept hommes est chargée d’effectuer la reconnaissance des abords de la colline 210. Le G.I. Witt en fait partie…
Witt et ses compagnons d’armes étaient de simples civils peu auparavant. Qu’a-t-il bien pu s’opérer pour qu’ils se muent en bêtes de guerre ? Malick livre ici une formidable réalisation sur le vécu d’une troupe et mêle très habilement l’alternance de scènes d’effroyables combats avec de longs plans sur la faune et la flore insulaires et le quotidien d’indifférentes tribus autochtones plongées, malgré elles, dans l’une des plus sordides boucheries. Autre habileté : l’utilisation de la voix off pour accentuer le caractère tragique de la guerre. A voir absolument !
SIGNES DE VIE
Titre original : Lebenszeichen
Film allemand de Werner Herzog (1967)
Pendant la Seconde Guerre mondiale, un jeune soldat du Reich, Stroszek, est blessé et envoyé en convalescence dans un dépôt de munitions dont il assure la garde sur l’île de Crète. Loin du tumulte de la bataille et réduit à l’inaction, le soldat occupe le temps en s’astreignant à d’inutiles tâches qu’il juge nécessaires à son équilibre psychique. Le conscrit pourrait mener une vie paisible dans cette forteresse que nul ne menace, en compagnie d’une jeune femme grecque dont il fait son épouse et deux autres camarades. Mais face à l’interminable attente, Stroszek sombre progressivement dans la folie et devient dangereux pour son entourage…
Premier long-métrage du génial Werner Herzog. Et c’est une réussite ! Stroszek, symbole du combattant déchu de sa guerre, orphelin de sa mort, que ses gestes dérisoires pour se maintenir parmi les guerriers attirent vers la déraison. Quel contraste entre la violence d’une guerre et le pacifique calme solaire de cette île du Dodécanèse où le temps semble s’être arrêté ! Herzog filme magnifiquement la lente dégradation des rapports entre ces êtes que la guerre a oubliée. Une œuvre oppressante !
Virgile / C.N.C.
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Une réponse à “7 films à voir ou à revoir sur le thème de la Guerre comme expérience intérieure”
et que dire de ces enfants pris dans ces guerres à l’âge où on croit encore, Dieu merci, à l’héroïsme ? http://t.co/QhIIe8ZjsE