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[Lecture] Le Traité transatlantique et autres menaces

C’est sous ce titre qu’Alain de Benoist a publié très récemment un ouvrage consacré, entre autres sujets importants, au projet de traité économique transatlantique (TAFTA) que les dirigeants de l’Union européenne et ceux des Etats-Unis espèrent pouvoir signer en 2015 et qui a pour objectif de créer un grand marché euro-américain.

Un projet typiquement libéral

Le projet de traité transatlantique est en cours d’élaboration depuis février 2013 mais il était « dans les cartons » depuis le début des années 1990. Son élaboration se fait dans le plus grand des secrets ; les élus n’ont pas accès au dossier à la différence des représentants des compagnies transnationales qui participent aux travaux de la Commission. La méthode utilisée par la Commission de Bruxelles pour gérer ce projet dont les conséquences probables seront considérables, illustre parfaitement le fait que l’Union européenne est une organisation non démocratique qui fait le jeu des oligarchies financières et industrielles mondiales.

Ce traité aura pour conséquences de supprimer les dernières barrières tarifaires et réglementaires qui existent entre l’Union européenne et l’Amérique du Nord, « mais il y a pire encore. L’un des dossiers les plus explosifs de la négociation concerne la mise en place d’un mécanisme d’ « arbitrage des différends » entre Etats et investisseurs privés. Ce mécanisme dit de « protection des investissements » doit permettre aux entreprises multinationales et aux sociétés privées de traîner devant un tribunal ad hoc les Etats ou les collectivités territoriales qui feraient évoluer leur législation dans un sens jugé nuisible à leurs intérêts ou de nature à restreindre leurs bénéfices – c’est-à-dire chaque fois que leurs politiques d’investissement seraient mises en cause par les politiques publiques -, afin d’obtenir des dommages et intérêts ».

Cette idée n’est pas nouvelle. Elle figurait déjà dans le projet d’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) lequel avait été rejeté par la France. Grâce à cette disposition du TAFTA, « les firmes multinationales se verraient donc conférer un statut juridique égal à celui des Etats ou des nations, tandis que les investisseurs étrangers obtiendraient le pouvoir de contourner la législation et les tribunaux nationaux pour obtenir des compensations payées par les contribuables pour des actions politiques gouvernementales visant à sauvegarder la qualité de l’air, la sécurité alimentaire, les conditions de travail, le niveau des charges et des salaires ou la stabilité du système bancaire ». Ce projet d’inspiration typiquement libérale vise à contourner les pouvoirs démocratiques et étatiques (ce qui est une constante des pratiques des libéraux lesquels ont toujours été pour le moins méfiants à l’égard de la démocratie ; les prétendues démocraties libérales sont d’ailleurs des systèmes représentatifs et pas du tout des démocraties).

Bien entendu, l’oligarchie bruxelloise nous assure que cet accord va avoir des conséquences positives pour tout le monde et qu’il va générer une augmentation du PIB européen comprise entre 86 et 119 milliards d’euros (c’est-à-dire moins de 0,7%). On nous a déjà fait le coup avec l’euro qui devait générer des millions d’emplois ! On sait ce qu’il en est advenu.

La gouvernance

La caste qui  « «manage » l’Union européenne  mais aussi, de plus en plus fréquemment, ses « agents nationaux » utilisent le terme « gouvernance » en lieu et place du mot « gouvernement ». Ce qui pourrait sembler n’être qu’un effet de mode n’est pas anodin ; l’introduction de ce terme traduit une évolution essentielle des « démocraties libérales » dont l’objectif est de s’émanciper du politique et de mettre en place un système d’arbitrage entre intérêts privés (le rôle attribué par les libéraux à l’Etat n’est pas celui, politique, d’un acteur du Bien Commun mais celui, impolitique, d’un arbitre entre intérêts privés).

Commission européenne

Pour le professeur Anne-Marie Le Pourhiet la conduite de l’Union européenne «est entre les mains d’une Commission dont on persiste à célébrer l’indépendance, comme si le fait d’échapper à l’influence d’instances démocratiques était une qualité politique».

« Du point de vue idéologique, la théorie de la gouvernance se rattache en fait directement au projet libéral, dans la mesure où elle repose sur un double postulat : celui de la rationalité intéressée des agents et celui de la supériorité paradigmatique du marché. Sur le premier point, les tenants de la gouvernance s’appuient sur la doctrine libérale classique, telle qu’elle a pu être reformulée dans les années 1970 par les théoriciens de l’école néoclassique du rationnal choice, théorie qui fait de l’homme un être motivé par la seule recherche, égoïste, de son meilleur intérêt matériel, c’est-à-dire un être qui se comporte en permanence comme un négociant au marché (un agent ne prendra une décision d’agir que s’il trouve un intérêt dans cette action). Ce  postulat est ensuite généralisé à l’ensemble des faits sociaux, les actions non intéressées, fondées sur la générosité ou la solidarité, étant elles-mêmes « décomposées » en actions intéressées grâce à des modèles inspirés de la théorie des jeux ou des concepts mathématiques de type ontologique…..L’idée générale est que, compte tenu de la « complexité » des problèmes, les acteurs politiques ne doivent plus avoir le monopole de la responsabilité, que celle-ci doit désormais être aussi le fait de la société civile et du marché, et que seuls des experts aux compétences spécifiques peuvent parvenir à des résultats. C’est, à peine actualisée, la vieille idée libérale selon laquelle toute forme de souveraineté politique empêche les mécanismes de régulation spontanée de produire pleinement leurs effets…Les décisions publiques ne résultent plus dès lors de la délibération ni du vote, mais de transactions et de négociations entre les acteurs sociaux. La société étant posée d’emblée comme fonctionnant sur le modèle du marché, les conflits d’intérêts dont elle est le lieu sont censés se résoudre à la façon dont s’ajustent l’offre et la demande ou dont se déterminent les prix, l’idée de base étant que, si les agents sont mus par des intérêts différents, ces intérêts ne sont pas contradictoires, en sorte que le « marchandage politique » peut toujours permettre de les concilier. La question des valeurs – qui, au contraire des intérêts, ne sont pas négociables – est ainsi évacuée. Les membres de la société sont moins considérés comme des citoyens que comme des clients ou des consommateurs. La bonne « gouvernance » se ramène à un « débat partenarial » se légitimant par crédit et débit au vu des résultats économiques obtenus ».

Les tenants de la « gouvernance » ayant bien compris que les défauts rédhibitoires de la démocratie représentative alimentent la revendication « populiste » concernant la mise en place d’une véritable démocratie, ils ont créé un nouveau concept destiné à enfumer les peuples : la démocratie représentative. « Mettant l’accent sur la société civile, la gouvernance cherche fréquemment à se légitimer en se réclamant de la « démocratie participative », espérant sans doute ainsi exploiter à son profit les déceptions nées du fonctionnement de la démocratie représentative. Mais cette démocratie participative n’est pas celle qui, pour remédier à la dé-liaison sociale, s’emploierait, en s’appuyant sur le principe de subsidiarité, à redonner aux corps intermédiaires la possibilité de s’organiser de manière autonome pour peser en tant que tels sur les prises de décision publiques. Elle n’a rien à voir non plus avec une véritable démocratie directe (ou « démocratie de base ») qui favoriserait une plus large participation de tous à la vie publique. Elle vise tout au contraire à réduire la sphère publique au profit de la sphère privée, au moyen d’un « dialogue régulier » avec les associations représentatives et la société civile, considérée comme une simple addition de réseaux, de groupes d’intérêts et de groupes de pression’’. Cette pseudo-démocratie participative est un leurre d’esprit typiquement libéral (il s’agit non pas de questionner le peuple sur les préférences de la majorité mais de procéder à des négociations entre groupes privés défendant des intérêts divers) ; c’est une « démocratie » qui repose sur le principe de la négociation entre groupes d’individus en oubliant le commun et donc le Bien Commun. Cette « démocratie représentative » est tout sauf républicaine (res publica : le Bien Commun) ; elle est par contre tout à fait en accord avec l’individualisme libéral.

L’idée de gouvernance a été mise en œuvre par l’Union européenne laquelle impose ses décisions sans que ces dernières ne soient jamais soumises pour validation aux peuples de la dite union. Anne-Marie Le Pourhiet a écrit  que la conduite de l’Union européenne «est entre les mains d’une Commission dont on persiste à célébrer l’indépendance, comme si le fait d’échapper à l’influence d’instances démocratiques était une qualité politique». Voilà où nous en sommes et voilà une des raisons pour lesquelles la cote de popularité de l’Union européenne s’effondre.

La gouvernance, idée libérale par excellence, mise en œuvre par les libéraux de droite et de gauche, est la négation de la république authentiquement populaire c’est-à-dire démocratique.

La mondialisation

« La mondialisation généralise le type de la vie sociale hors-sol, de l’homme en apesanteur. C’est donc bien une mutation anthropologique totale….Plus spécifiquement, la mondialisation est d’abord et avant tout une marchandisation du monde, où le fétichisme de la marchandise et le primat de la valeur d’échange entraînent une réification généralisée des rapports sociaux ». La mondialisation est l’aboutissement ultime de la philosophie individualiste libérale et de son corollaire le libéralisme économique. Pour ce dernier, la mondialisation est un moyen d’améliorer le rendement des investissements lesquels tendent inexorablement à décroître et elle est la concrétisation de la vue-du-monde sans-frontièriste, qui est une conséquence de la première, pour laquelle l’humanité est constituée d’individus déracinés, désengagés à l’égard des communautés de toutes sortes : « La mondialisation fait du déracinement un idéal et une norme » et de plus « (…) la mondialisation généralise la dépossession de toutes les formes existantes de souverainetés, à la seule exception de la souveraineté des marchés. L’espoir est à terme d’aller vers ce que Kant appelait l’ « unification générale de l’humanité ».

Juncker

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. Au service de la mondialisation libérale

 Les libéraux, qui oeuvrent depuis toujours au dépassement du politique, ont trouvé un moyen de le réduire au quasi-néant : « Transférer les décisions à une échelle où les citoyens se retrouvent nécessairement impuissants parce que la démocratie ne peut plus s’y exercer est le moyen qu’a trouvé la Forme-Capital pour s’émanciper de tout contrôle politique ».

Contrairement aux altermondialistes et à tous les «réformistes » qui veulent améliorer la mondialisation en cours, Alain de Benoist envisage de manière positive la formation d’un monde multipolaire et le retour des frontières car « c’est seulement à l’intérieur de frontières que des valeurs communes peuvent s’imposer, des règles sociales de solidarité être mises en place et la confiance s’instaurer » et il ajoute : « A l’échelle globale, agir sur les causes signifie aller vers un monde multipolaire, fondé sur l’existence de blocs régionaux autonomes, afin de garantir le maintien de la diversité collective et la possibilité de la décision politique. Mais cela signifie aussi qu’il faut promouvoir le localisme ».

Et l’Union Européenne ?

Alain de Benoist est partisan , depuis très longtemps, de la construction d’une fédération européenne mais, bien qu’il revienne dans ce dernier livre sur l’idée d’Empire qu’il a déjà explorée dans le passé (idée certes intéressante parce qu’elle s’appuie sur la notion d’unité dans la diversité mais dont on ne voit absolument pas comment elle pourrait se concrétiser aujourd’hui, ce qu’il reconnait en admettant que tous les projets d’approfondissement politique ne sont que des « perspectives lointaines »), il admet que, non seulement l’Union européenne est dans une impasse libérale dont on ne voit pas comment elle pourrait sortir, mais qu’en plus, compte tenu des divergences de tous ordres qui existent entre les différents peuples européens, il ne peut pas y avoir « d’unanimité entre les Etats membres, c’est le moins que l’on puisse dire ».

Il souligne très justement que pour ce qui concerne le domaine de la défense, l’Union Européenne sert clairement la cause des Etats-Unis lesquels refusent toute émergence d’une puissance continentale qui échapperait à leur hégémonie et ce, bien que la position pro-OTAN de l’oligarchie ne reflète pas du tout l’opinion majoritaire sur le continent : « Tous les sondages montrent que la grande majorité des Européens veulent une Europe indépendante des Etats-Unis. Il ne faut pas hésiter à le dire : l’Europe ne se fera que contre les Etats-Unis, car ceux-ci n’admettront jamais l’émergence d’une puissance rivale » (notons que sur ce sujet essentiel, il y a de grandes divergences au sein de l’UE, ce qui rend impossible la concrétisation d’un système de défense indépendant de l’OTAN et regroupant l’ensemble des peuples de l’Union).

Alors, quid de l’Europe ? On peut certes penser avec Nietzsche que « l’Europe se fera au bord du tombeau », mais est-ce certain et est-il raisonnable de ne rien essayer d’ici là? Non, bien sûr. A défaut de pouvoir associer plus étroitement des peuples européens (qui sont beaucoup plus différents qu’il n’y parait à première vue malgré la base anthropologique commune et les échanges culturels en tous sens qui ont eu lieu au cours des deux derniers millénaires) dont la coopération étroite est indispensable pour faire face aux puissances financières et à la thalassocratie anglo-saxonne, il ne reste guère qu’une seule solution susceptible de permettre une coopération de plus en plus étroite entre ces peuples : ce que certains appellent l’Europe en anneaux olympiques, solution qu’Alain de Benoist n’évoque pas, à tort parce qu’elle permettrait des avancées considérables. Contrairement à ce qu’il écrit, les pratiques intergouvernementales ne sont pas limitées au marché ; des projets militaires (pacte de défense indépendant de l’OTAN et projets conjoints d’armement), industriels (comme cela a été le cas avec Airbus et Arianespace qui ne doivent rien à l’Union Européenne), de recherche et développements…..pourraient être menés dans un tel cadre. Comme il le suggère très justement , et compte tenu de la situation de blocage dans laquelle nous sommes, il faudrait reculer d’un pas avant de reprendre de l’élan, démanteler une bonne partie de l’Union Européenne tout en conservant le marché commun dont il faudrait revoir la configuration et faire de la monnaie unique, qui crée une situation insupportable et malsaine, une monnaie commune. Tout cela devrait être fait avant que nous y soyons contraints par la dégradation générale de la situation. Après cela, il sera possible de construire une Europe des coopérations multiples (à géométrie variable) qui n’aurait sans doute pas le panache d’un nouvel empire mais dont il sous-estime les potentialités. Quoiqu’il en soit, mieux vaut un ensemble de coopérations intelligentes plutôt que rien du tout ou qu’une organisation qui dresse les peuples les uns contre les autres sans régler aucun problème de fond, comme c’est le cas aujourd’hui.

 B. Guillard

Alain de Benoist – Le Traité transatlantique et autres menaces – Editions Pierre – Guillaume de Roux

Crédit photos : DR
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