Avec la CRPC, aperçu sur le quotidien de la justice à Nantes

02/04/2015 – 09h00 Nantes (Breizh-info.com) ‑ Créée par la loi Perben II du 9 mars 2004, la CRPC – comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – dite procédure du « plaider-coupable » est une innovation tirée des pays anglo-saxons qui a fini par prendre toute sa place dans l’édifice juridique français. Ici passent toutes les infractions mineures où le prévenu reconnaît sa faute, et le nombre de CRPC ne cesse d’augmenter, offrant une lecture intéressante du quotidien du droit grâce à cet instrument qui désengorge les cours mais reflète aussi la banalisation de certaines infractions.

La CRPC ne s’applique qu’aux délits, excluant les crimes et les contraventions, mais aussi les violences punissables par une peine de 5 ans et plus de prison, les délits politiques et ceux de la presse. Si le prévenu accepte le principe de la CRPC, il reçoit deux convocations. L’une pour la CRPC et l’autre pour une audience en correctionnelle, qui devient caduque si la première est honorée ; le tribunal correctionnel est réputé être moins coulant, surtout avec les mois de prison ferme ou avec sursis prononcés.

Le prévenu doit être obligatoirement assisté d’un avocat et comparaître en personne. Il va alors attendre une heure ou deux dans l’étroit couloir rouge et gris anthracite – les glauques couleurs de l’architecte Jean Nouvel – puis être reçu dans un petit bureau par le procureur. Qui lui proposera soit une amende, soit une peine de prison inférieure ou égale à un an, soit un TIG, le tout pouvant être assorti de sursis. La peine est le plus souvent aménagée (bracelet électronique ou semi-liberté). Le prévenu dispose alors de dix jours pour accepter, après quoi sa peine est homologuée. Le plus souvent, l’homologation a lieu dans la foulée. Puis, comme pour les autres audiences, le prévenu doit payer un droit de juridiction fixe établi à 127 euros depuis le début de l’année, réduits d’un cinquième s’il est payé dans le mois.

Dans certains tribunaux la salle d’homologation est un auditoire de petit format – parfois celui réservé au tribunal des enfants ou au jugements des affaires familiales. A Nantes, c’est un grand bureau rectangulaire, avec une grande table. A gauche, le procureur, au fond, le juge. Devant, plusieurs chaises où prennent place les prévenus et leurs avocats. L’audience est ouverte au public mais il n’y a jamais personne. Le bureau est petit et l’atmosphère intimiste. La place manque sur la table encombrée par un ordinateur, des papiers et une imprimante, les dossiers des absents s’entassent sur la moquette grise.

Ce matin, alors que les réparations de la toiture – éternellement fuyante – du tribunal de Nantes emplissent le hall de bruit, la première affaire concerne Mme D, une jeune d’origine subsaharienne employée dans un magasin d’habillement pendant trois jours en août 2014. Elle a subtilisé 27 pièces de vêtements, a été licenciée pour vol et son employeur a porté plainte. Le juge homologue sans ciller les 4 mois avec sursis sur lesquels elle et le procureur se sont mis d’accord. C’est d’ailleurs beaucoup dire. Généralement le procureur indique la peine et elle est retenue, l’avocat ne corrigeant les choses qu’à la marge.

Dans le couloir c’est la foule, deux avocates se glissent les bras chargés de dossiers. Un prévenu écroué mis en cause dans deux affaires a refusé de venir et donc la CRPC n’aura pas lieu. Les dossiers rejoignent une pile dans un coin. Une avocate ironise : « tout ce qui est stups, ils ne sont pas matinaux, donc pas convoqués le matin. Commentaire du parquet« . Elles sortent, affaire suivante.

Deux jeunes qui rigolent bêtement et leurs avocates. En janvier et février 2014, ils ont squatté deux caravanes appartenant à leurs voisines, à Treillières, et emporté une cafetière, des clés, et autres menus objets. « Vous reconnaissez les faits? « , demande le juge aux deux jeunes, B. et C. « Ouais« , répondent-ils sans s’en faire plus que ça. B. a déjà un casier avec une mesure éducative et du sursis, mas ça a été prononcé après les faits pour lesquels ils passent en CRPC donc n’entre pas en ligne de compte. Le parquet avait proposé 2 mois avec un sursis mise à l’épreuve de cinq ans, susceptible de tomber à la moindre infraction, mais B. a préféré 70 heures de TIG. « Louable raisonnement » note le juge : « je vois que les questions de peine sont réfléchies, discutées, pesées, c’est le but aussi« , estime-t-il devant les ados qui rient. Il les reprend : « vous avez l’air un peu décontractés« . Le TIG (travail d’intérêt général est homologué) et le juge passe à C. qui est encore plus décontracté. Et qui accepte 2 mois de sursis, « en plus des 4 mois que j’ai pris en septembre » mais qui une fois de plus n’influent pas sur le jugement de la CRPC, établi selon le casier judiciaire qu’avaient les prévenus au moment des faits.

Ils ressortent, le procureur est soulagé. Une autre avocate se glisse pour signaler l’absence d’un prévenu convoqué pour avoir fumé du shit. Et pour cause : il vit près de Grenoble et n’était que de passage à Nantes quand il a été interpellé. Au suivant. O, un jeune Breton de la Chapelle-sur-Erdre, passe pour voir dégradé tris vitres et un visiophone. Il accepte deux mois avec sursis. Le juge se souvient de lui : O. est passé quelques mois avant en correctionnelle et a reçu 9 mois avec sursis dans une affaire concernant un gros réseau de stups dont il n’était pas, et de loin, le plus important acteur. L’avocat de la société de logement dont le visiophone a été dégradé alors que le prévenu avait bu et ne parvenait pas à rentrer chez lui étaye les demandes d’indemnisation à hauteur de 3628 €. La société se trouve avenue des Sassafras. « Les Sassafras, je ne sais pas ce que c’est. Déclare la demande irrecevable car je ne sais pas çà quoi correspond le nom de la rue« , ironise le procureur. L’ivresse d’O. lui coûtera cher, la demande est acceptée. Il s’en va la mine basse. Au passage, la CRPC évite un écueil qui touche bien des procédures : si le prévenu ne trouve rien  à redire à la peine, il conteste souvent les demandes d’indemnisation.

Affaire suivante. G est né à Abidjan dans les années 1980, F est est Nantais de souche, tous deux ont été pris le 11 octobre 2014 pour usage de beu dans le centre-ville nantais. L’un prend 200 euros d’amende avec un stage de sensibilisation, l’occasion pour le juge d’expliquer que le stage – qui coûte 180 à 250 euros – doit être effectué dans le délai de 6 mois : « c’est mieux, comme vous ne travaillez pas, de payer d’abord le stage et de l’effectuer, puis les droits de procédure » puis se lance dans l’explication de la CRPC. F s’éclaire : « ah d’accord, vous êtes le grand Manitou ! » Le juge réplique « non, je ne peux que homologuer ou refuser, je ne peux pas changer le jugement donc j’ai moins de pouvoir que d’habitude« .   Le prévenu plaide la cause de la marie-jeanne : « y a le député là, j’sais plus comment il s’appelle… »; le juge le coupe : « pas sûr qu’il y ait une majorité. Et même aux Pays-Bas ils sont en train de revenir en arrière, ils veulent bien qu’on consomme sur place, mais pas qu’on reparte avec. » Son acolyte hésite avant d’accepter le stage et l’amende de 300 euros – un peu plus importante car il travaille. Comme il s’est expatrié à Nice, il fera son stage là-bas.

Apparaît Karim, arrêté fin octobre 2014 avec 2 grammes de beu et 30 grammes de shit (résine) séparés sur lui. Plus « une feuille de compte qui n’a pas été retenu« , explique le procureur. Jugé pour acquisition, usage et transport… mais pas cession (vente) il repart avec 70 heures de TIG l’air visiblement soulagé Et pour cause. Selon un policier nantais habitué des interpellations pour stups « quand on chope quelqu’un avec des produits de différente nature sur lui, par exemple de la résine et de l’herbe, ou de la résine et de la poudre, dans 95% des cas il apparaît que c’est un dealer« .

Une avocate se glisse. Un dossier où la victime est sous curatelle ne peut être jugé, faute d’expertise psychologique. Renvoyé au 24 juin, la preuve que les allongements des délais touchent aussi la CRPC. Selon le ressort judiciaire où l’on se trouve, entre la date de la transmission de la procédure au parquet et le jugement définitif, il s’écoule facilement de trois à sept, parfois neuf mois.

L’affaire suivante est révélatrice des surprises de la CRPC. Issa est né en RD Congo en 1994. Son casier porte déjà deux mentions en 2012 – une admonestation du juge des enfants – et 2014 – une ordonnance pénale. Il comparaît pour avoir mis le feu à sa voiture, l’incendie dégradant la voiture voisine, afin d’escroquer son assurance Axa. Mais il n’a pas pu se faire rembourser car il n’était plus à jour de ses cotisations. Déterminé à s’enrichir néanmoins il a volé une voiture appartenant à un handicapé soit dit en passant, établi pour elle de faux documents, obtenu une carte grise frauduleusement puis déclaré qu’elle lui a été volé et a escroqué une autre société d’assurance, la Macif. Or, notre prévenu est maladroit : « mette le feu sans avoir vérifié qu’on est à jour de ses cotisations,  ça fait un peu amateur« , note le juge, mi-amusé, mi-consterné.

Normalement, Issa il encourt dix ans rien que pour le feu de voiture (et cinq ans pour la fraude aux assurances, peine confondue avec l’autre). Mais il s’en sortira avec… 10 mois avec sursis, peine assortie de l’interdiction de détenir une arme pendant deux ans, ce qui est maintenant une peine automatiquement assortie à certaines infractions. Dans le même genre des justiciables qui s’en sortent très bien avec la CRPC, passe M, originaire du Vignoble. Pour avoir vendu du shit et volé dans une maison avec des complices demeurés introuvables pour la justice il risque jusqu’à cinq ans de prison. Il repartira avec 4 mois de sursis.

Le soleil approche du zénith et rebondit sur les structures en aluminium d’un immeuble voisin pour entrer à pleins flots dans la salle. L’audience tire à sa fin. Entre Mme E., née à Bénin City au Nigeria. Du 1er août 2011 au 1er août 2014 elle s’est maintenue sur le territoire français et a obtenu un titre de séjour en utilisant un passeport sierra-leonais et une identité différente. Risque-t-elle l’expulsion? Non, car entre-temps elle a donné naissance à des enfants sur le territoire français. Elle n’écope que d’une amende de 300 euros. Même si elle encourt des poursuites de la part de la CAF et d’autres organismes sociaux pour avoir perçu des aides sous une fausse identité, elle est quand même assurée d’avoir un avenir en France. Pour ce genre d’infractions, il n’y a pas grande différence entre la CRPC et la correctionnelle : l’après-midi même, Souleymane D, un malien de 21 ans qui a tenté d’obtenir des papiers avec un faux document, n’écope en correctionnelle que d’un mois avec sursis sans aucune mesure l’obligeant à quitter le territoire.
Crédit photo : DR
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