Drogues en Bretagne. Plongée dans l’univers d’un toxicomane (KD des Psy.k.d.lik tribe) [exclusif]

02/04/2015 – 09h00 Bretagne (Breizh-info.com) ‑ Pas un mois ne se passe en Bretagne sans qu’un trafic de drogue soit démantelé, ici en campagne, comme récemment à Callac, là dans les grandes villes. comme à Brest il y a peu. Mais pour un réseau démembré , combien d’autres passent entre les mailles du filet ? Si ces réseaux organisés prospèrent, c’est bien entendu qu’ils trouvent en Bretagne des consommateurs.

La région (5) est en effet particulièrement en pointe dans la consommation de drogues, mais aussi d’alcool. Du traditionnel « apéro » au « bedo du soir », ils sont nombreux , notamment au sein de la jeunesse, qui s’y adonnent, avant de devenir, pour certains, dépendants, avec toutes les conséquences sociales, économiques, sanitaires et même judiciaires que cela peut avoir. En 2010, 28% des Bretons (24% dans les Pays de la Loire) déclaraient avoir connu au moins une ivresse parmi les 15-75 ans, et ils étaient 56% chez les 15-30 ans, faisant de la région la 1ère de France dans ce domaine. (source INPES).

En 2010 toujours, 36% des Bretons de 15 à 64 ans déclaraient avoir consommé du cannabis, entre 6 et 8% du poppers,  5% de la cocaïne, 5% de l’ecstasy. La Bretagne est également en tête pour la consommation de champignons hallucinogènes. Quant à l’héroïne, si sa consommation est pour le moment moins forte que dans d’autres régions, elle est rapidement apparue en développement ces dernières années et sa consommation est en augmentation au sein de la jeunesse, sachant qu’en 2005, on recensait déjà 6 000 Bretons (B4) sous substitut (méthadone ou Subutex).

Si les forces de police et de gendarmerie enquêtent au quotidien sur les réseaux de trafic de drogue, afin de les mettre hors d’état de nuire, la politique de prévention mise en place par les pouvoirs publics, mais aussi par les responsables associatifs, ne semble pas porter ses fruits.

Il ne se trouve par exemple aujourd’hui pas un festival de musique en Bretagne où l’on ne puisse trouver son « rail de coke » ou ses cachets divers et variés et cela à la vue et au su de tous. Comment est-ce possible, alors même que ces festivals sont censés être sécurisés, tout en étant subventionnés par le contribuable ?

« Les dealers sont des tueurs en série »

Si les consommateurs de drogues dures se voient eux-aussi occasionnellement sanctionnés, ils se retrouvent souvent pris dans un engrenage infernal : prison > perte d’emploi > mauvaises fréquentations en prison > consommation de drogue pour oublier > aucune possibilité de s’en sortir à la fin de la peine. Nous passerons sous silence les stages de sensibilisation qui font plus rigoler qu’autre chose ceux qui y participent. Quant aux hôpitaux, ils voient désormais augmenter le nombre de nouveaux patients, cherchant désespérément à sortir d’un engrenage infernal.

Pourtant, malgré les ravages occasionnés sur la santé, malgré les campagnes de prévention, malgré la répression, le phénomène ne semble pas se tarir. « En Bretagne, ces consommations à outrance sont quasiment devenues culturelles » souligne Patrick, propriétaire d’un établissement de nuit dans le Finistère. « Un lycéen qui se prendrait une gifle par ses copains parce qu’il rigole de la cuite qu’il a pris le samedi d’avant ou de la défonce qu’il s’est faite, réfléchirait à deux fois avant de le refaire.  C’est dès l’enfance qu’il faut expliquer que la drogue, comme l’alcool, entraînent la mort, physique, sociale, économique …». Avant de conclure « Il faut arrêter avec l’angélisme, et les dealers doivent être traités judiciairement comme des assassins, comme des tueurs en série, car c’est ce qu’ils sont à terme . Il faut aussi sanctionner tous les acteurs publics qui tolèrent, qui acceptent que des gens se droguent dans leurs établissements, dans leurs soirées, dans leurs concerts». Sans équivoque.

Pour étayer notre enquête, nous avons rencontré KD des Psy.k.d.lik tribe, un trentenaire qui a plongé tôt dans le monde de la drogue, de la dépendance, et qui a dû lutter avec acharnement pour sortir de cet engrenage terrible. Il souhaitait témoigner de l’enfer qu’il a vécu et de son inquiétude sur le devenir de la jeunesse dans sa région. Un témoignage poignant, à vocation pédagogique.

Breizh-info.com : pouvez-vous raconter votre première rencontre avec la drogue .

KD : C’est en troisième que j’ai la première fois fumé un pétard, c’était l’étape suivante à la consommation d’alcool fréquente que nous avions depuis la sixième…
Les mercredis après-midi dédiés à l’association sportive du collège était bien souvent l’occasion de boire jusqu’au jour où un autre élève a apporté une barrette de shit et proposé aux autres de goûter. Sans être influençable c’est plutôt le « faire comme tout le monde » qui m’a poussé à essayer.

Breizh-info.com : Qu’est ce qui vous a fait continuer, diversifier, plonger ?

KD :  Ce qui m’a fait continuer, le fait qu’après cette expérience d’autres ont régulièrement commencé à en consommer et donc en à acheter. Des anciens du collège arrivés au lycée à Lorient venaient régulièrement en proposer à leurs anciennes connaissances. Il y en avait donc souvent et quand une soirée se préparait il fallait toujours de l’alcool et du shit.
Ce qui m’a fait diversifier… Malheureusement comme les gendarmes l’expliquent souvent en prévention dans les collèges, un jour on arrive chez le revendeur et à défaut d’avoir du shit ce dernier nous propose autre chose, en l’occurrence cette fois-là c’était un acide. La veille de mon oral d’histoire au bac… Un mal-être certain comme beaucoup de jeunes qui ne trouvent pas leurs marques m’a fait recommencer et c’est devenu quelque chose d’assez régulier.

Ce qui a fini par m’y plonger ce sont les raves party. Je ne supportais pourtant pas la techno mais le fait d’être tombé en BTS avec un colocataire qui les fréquentait assidument m’a fait m’intéresser à ce mouvement et petit à petit les « teufs » sont devenus la seule chose qui nous faisait supporter la semaine.

On attendait impatiemment les weekends pour pouvoir « s’évader ». J’ai d’ailleurs lâché mon BTS en milieu de seconde année et aujourd’hui avec du recul nul doute que cela est lié au fait que plus rien ne m’intéressait à part la défonce et la teuf .

Et dans le milieu des teufs c’est la porte ouverte à tous les produits, exta, acide, coke, mdma, kétamine, héro et on finit par tout tester… Parce qu’on bosse régulièrement et qu’on n’est jamais dans l’excès on  se dit qu’on est pas non plus un toxico, mais c’est exactement la même chose que pour le mec qui boit quelques verres tous les jours et qui ne se considère pas alcoolo…

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Breizh-info.com :  Quand vous étiez enfant, quelle image aviez vous de la drogue ?

KD : Fils de militaire, élevé dans le respect de la discipline et de certaines valeurs j’avais une très mauvaise image de la drogue. Cela me faisait même peur vu tout ce qu’on nous racontait dessus pour nous mettre en garde. Mais comme pour la clope, on a beau dire qu’on y touchera jamais malheureusement le jour où on nous en propose, pour faire comme tout le monde et pas être mise en marge de « la bande », eh bien on fait le con et on se laisse tenter.

Breizh-info.com :  Mettez-vous toutes les drogues dans le même panier ? Comment fonctionne le deal en Bretagne ?

KD : Je mets l’alcool et le cannabis dans le même panier et toutes les autres drogues d’un autre côté. Pour les champignons hallucinogènes, joker, les druides en préparaient, les vikings en consommaient pour être plus proche de leurs dieux, il y a là dedans quelque chose d’assez mystique et c’est quelque chose que l’on trouve dans toutes les contrées et ce depuis l’aube des temps… C’est une expérience assez insolite avec une découverte de son soi intérieur, j’ai trouvé ce genre d’expérience quand elle ne devenait pas régulière plutôt curative…

Pour de ce que j’en connais, le deal commence parce que pour avoir sa barrette de shit gratuite on achète une plus grosse quantité à moins cher et après la revente il nous reste de quoi fumer… Il en va de même pour l’extasy, la coke et le reste… Le consommateur fait en fait le boulot du gros dealer qui lui en général ne consomme pas ou très peu et qui au lieu de se récupérer sa consommation récupère tous les bénéfices…
Donc dans ce système un consommateur devient vite un petit revendeur qui finit par être partie intégrante du rouage. D’où l’intérêt pour les gros revendeurs de toucher des jeunes de plus en plus tôt pour développer leur commerce de mort et ainsi augmenter leur mainmise sur ce business.

Breizh-info.com : parlez-nous de l’ambiance dans les technivals 

KD : Concernant l’ambiance en teknival , c’est une beuverie et la défonce à ciel ouvert tout un week end, une véritable zone de non droit.

Suite à la loi de 2003, les tecknivals qui ont suivi se sont transformés en compétitions pour les sound system, c’était à qui avait le plus gros son (puissance), la plus belle décoration, donc forcément le but d’un son était d’engranger un maximum de bénéfices avant le tekos, en organisant de petites teufs mais aussi en jouant en discothèque pour les meilleurs afin de réunir la somme nécessaire à l’organisation du teknival.

Parce qu’un teknival c’était en fait un rassemblement de plusieurs sons venus de toute la France mais parfois aussi des pays limitrophes comme l’Italie ou l’Angleterre. En général avant 2005 y’en avait 3 en France, celui du 1er mai, celui de Bretagne et celui du sud… Sinon à côté c’était de simples teufs (qui pouvaient quand même rassembler 2 à 3000 personnes) ou des soirées en boites. Les teknivals d’avant 2005 rassemblaient bien souvent, eux, entre 25 et 40 000 personnes.

Les participants qui n’appartenaient pas à un son venaient souvent planter leurs tentes pour le week-end.  Un peu comme le festival de Carhaix, sauf qu’en tekos c’était à l’arrache, les tentes étaient plantées n’importe où, il arrivait bien souvent que des personnes ne puissent pas repartir le samedi ou le dimanche matin tellement le lieu du tekos avait changé durant la nuit.
Les voitures étaient bloquées par d’autres voitures ou des camions arrivés dans la nuit, les gens posaient leur campement à l’arrache ou tentaient quand ils n’arrivaient pas trop tard de se rapprocher d’un son qu’ils connaissaient, ça créait bien souvent un sacré bordel…
Une fois le son, le camp posé, ou la voiture garée, pendant 2 jours les gens allaient d’un son à l’autre en retournant régulièrement à leur voiture pour la prise de produits et ensuite retourner danser sur un dancefloor quand ces derniers commençaient à monter. C’était exactement comme une festival sauf que la drogue ne circulait pas sous le manteaux parce qu’il n’y’avait ni sécu ni force de l’ordre, ces dernières se contentant à partir de 2005 d’entourer le terrain sans y faire d’incursions.

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Breizh-info.com : beaucoup rapportent qu’une chasse aux dealers se fait (ou faisait) naturellement à chaque gros rassemblement , info ou intox ? Pourquoi le faire tout en consommant de la drogue dès lors ? 

KD : Mon sound system était un des précurseurs en matière de chasse aux dealers pour le coup ! Ça s’est fait entre 2000 et 2004 mais avec la fin des « Free partys » en 2003 et la loi Vaillant encadrant de plus en plus les teufs, les racailles sont moins descendues faire du business vu que le nombre de participants en simple teuf a également commencé à descendre.

Si y’a eu des chasses de faites c’est parce que les racailles arnaquaient pas mal, rackettaient des gens et vendaient pas mal de merde ce qui débouchait souvent sur des malaises… Du coup au petit matin certains sons avaient pris l’habitude de couper la musique pendant une heure pour aller vers l’entrée des terrains et des parkings pour chasser en masse les derniers dealers des cités qui étaient venus se faire de l’argent dans un monde qui n’était pas le leur.

Sans doute aussi parce que le son organisateur avait ses potes qui dealaient et ne voulait pas laisser le terrain à des concurrents ...

Breizh-info.com :  Pourquoi avez-vous décider d’arrêter ? Quel a été le processus mis en place ?

KD : Je me suis réveillé un matin en prenant conscience que tout ça c’était de la merde, que dans le monde des teufs les gens étaient faux et complètement perdus. J’en ai eu marre de la vie que je menais et qui ne tournait bien souvent qu’autour de ça. Je me suis fixé des objectifs et j’ai repris le sport de façon intensive.

Dans mon cas je n’ai pas eu beaucoup de mal à arrêter, en coupant les ponts avec les personnes qui continuaient, en ne fréquentant plus certains milieux et en osant en parler à mon médecin en très peu de temps je n’avais plus aucune envie de retoucher à toutes ces merdes. Je me suis rendu compte de tout le temps que j’avais perdu, de ce que j’aurai pu construire à coté et surtout du mal que j’avais imposé à mon corps pendant toutes ces années.

Après c’est du cas par cas, si on ne se retrouve pas des repères et si on arrive pas à se dire qu’on a un problème avec tout ça eh bien certains ne prennent jamais conscience du mal qu’ils se font.  J’ai eu un très bon ami avec qui je mixais qui n’avait jamais pris d’exta ou autres avant ses 25 ans et qui en rencontrant sa copine est tombé dans l’héro. Il a commencé par en sniffer, puis à en fumer et a fini par se shooter. Aux dernières nouvelles que j’ai eu de lui il avait tout perdu, son job, ses amis et même sa copine…
A contrario j’en connais un autre qui consomme beaucoup de cannabis, qui est ingénieur et qui coure son semi marathon en 1h36.

Breizh-info.com :  Quel message auriez-vous à faire passer à ceux qui l’utilisent, pensent-ils,  «seulement de façon festive» ?

KD : On croit s’évader le temps d’un weekend mais la descente elle ne dure pas que 2 ou 3 jours. C’est tout notre comportement qui est modifié. Les rapports entre les gens que l’on croit plus cordiaux au début sont en fait faux. Les gens deviennent paranos, dépressifs en semaine, y laissent une bonne partie de leur argent et surtout  ne calculent pas qu’un jour ils le paieront de leur santé.

On ne se fixe pas d’objectifs dans sa vie, ou alors bien souvent tout est question d’utopie mais au fond rien n’est vrai. On se croit en marge de la société parce que cette dernière nous déplait mais prendre de la drogue est une façon de contourner les obstacles au lieu de les affronter et un jour où l’autre on retombe forcément sur ces obstacles quand on a préféré les éviter plutôt que de les franchir.

On y perd son temps, son argent et la motivation de sa jeunesse à vouloir faire avancer les choses ou les changer. On se créer un monde archi faux entourés de gens aussi pommés qu’on l’est à ce moment-là et on en oublie bien souvent l’essentiel, que le bonheur est en fait à portée de main en sachant en fait profiter des choses simples de la vie qui apportent bien plus de réconfort que toutes ces merdes synthétiques.
On commence de « façon festive » mais cela devient vite une habitude que l’on prend tous les week-end et on finit par passer à côté des choses essentielles.

Breizh-info.com :  la drogue et l’alcool, particulièrement présents en Bretagne font des ravages. Comment endiguer ce fléau ?

KD : Par une politique de répression beaucoup plus lourde au niveau des sanctions, pour les drogues, pas seulement pour les dealers mais aussi pour les consommateurs. Au niveau de l’alcool des lois sont déjà en place mais très peu appliquées, comme la vente interdite aux mineurs par exemple. Il n’est pas très compliqué de se fournir une bouteille, tout le monde le sait.
La prévention ne fonctionne pas, la répression beaucoup plus.
Ensuite si la société proposait autre chose qu’une vie de compétitions et de travail les gens prendraient peut être plus de plaisir à en profiter.
Je peux comprendre que, comme en Angleterre par exemple, quand on dit aux jeunes qui ont moins de 30 ans qu’il faudra qu’ils bossent jusqu’à leur 70 ans et bien ils aient plutôt envie d’aller se défoncer que d’attendre une retraite qu’ils ne verront jamais, pour certains, ou, qui pour d’autres, n’auront plus la force d’en profiter.

Crédit photo : breizh-info.com
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