Le nouveau capitalisme criminel, de Jean-François Gayraud

Chronique par Auran Derien, via Metamag
L’analyse de l’occidentisme, appuyée sur l’observation de la réalité, ce n’est pas du tout fréquent. On voit, dans cet ouvrage, que des hommes d’affaires sont laissés sans surveillance, que la finance est abandonnée à des groupes mondiaux, qu’il n’y a pas d’autres règles que celles dont ils décident eux-mêmes. Le résultat ? Une gigantesque potentialité criminelle, avec passage à l’acte. Les preuves sont présentées en détail.

La finance globalitaire présente cinq caractéristiques


1.Il n’existe aucun lien entre les activités productives qui nécessitent des échanges monétaires et les volumes de monnaie de singe et de titres ronflants que l’on trafique dans cette sphère.

2.Tout est fait pour que personne – sauf les initiés – ne puisse savoir ce qui se trame. Comme dans les sociétés primitives, la divinité doit rester mystérieuse et les miracles de la multiplication des gains demeurer opaques.

3.Il est impossible de surveiller les canailleries des financiers et personne n’est en mesure de les réguler correctement. A l’image d’une caste sacerdotale – dont ils n’ont toutefois pas les devoirs – ils ne rendent de compte à personne.

4.La structure globalitaire de la finance s’appuie sur de multiples centres. Les lieux de culte sont diversifiés afin de ne jamais être détrônés collectivement. Il est toujours possible qu’un pays se rebelle, mais la fragmentation de l’extorsion de fonds entre places différentes signifie que le centre récalcitrant sera vite soumis à des sanctions en représailles à une telle impudence. Pour l’heure tout va bien : chacun se prosterne devant la race supérieure des financiers transcendantaux.

5.Puisque émettre de la monnaie et s’approprier les richesses de tout un chacun est désormais un jeu d’enfant, les financiers ont acheté le monde politique. Leurs affidés siègent dans les centres de décision, d’autres cornaquent les politiciens qui ne sauraient être abandonnés à leur libre-arbitre au cas où la nostalgie du service public n’en ramènent quelques-uns à ces époques où les intérêts des peuples étaient primordiaux.

Jean-François Gayraud propose de regarder ce monde là avec des outils différents de ceux de la banque mondiale, du FMI et autres centres de la finance mondialiste. 

Il se moque de concepts creux comme les effets asymétriques, car il parle en criminologue et nomme les fraudes et autres tromperies. Il rappelle que des historiens, notamment Fernand Braudel, ont insisté sur le rôle des voyous dans le basculement, à la fin du XVIème siècle, des centres de pouvoir économique vers le Nord. Si les brigands eurent tant d’importance, ils n’ont certainement pas disparu et agissent sous d’autres vocables.

L’auteur redonne vigueur au vocabulaire créé par Gabriel Tarde : le crime organisé et le crime en col blanc. Le crime organisé est défini aujourd’hui par l’origine sociale modeste de ceux qui s’y adonnent, la capacité d’organisation en bandes plus ou moins étendues, la nature violente et visible des crimes perpétrés. Par contraste, le crime en col blanc est commis par des cadres ou des entrepreneurs et il est peu visible aux yeux de la société et des magistrats puisque les actes délictueux se déroulent dans l’exercice de la profession. La thèse fondamentale qui prend corps au fur et à mesure des chapitres réside dans l’affirmation que les deux types de criminalité ont fusionné à l’occasion des crises financières – depuis l’époque Reagan – en raison d’une convergence d’intérêts entre les deux catégories. La globalisation est désormais le fait d’une bourgeoisie criminelle. Une oligarchie  est en possession de l’occident.

Crise financière et criminalité


La société globalitaire du crime organisé en col blanc est évidente dans le cas japonais, lorsqu’éclate la bulle spéculative des années 1990. Les pyramides de Ponzi albanaises mélangeaient politiques et crapules. Le processus se répète de manière régulière, quoique chaque fois quelques spécificités locales donnent plus d’importance à un crime qu’à un autre. Au Mexique, entre 1990 et 2000, l’essentiel était le recyclage de l’argent de la drogue. En Espagne intervinrent la corruption par le biais des caisses d’épargne et des fonds structurels européens.

Les critères des criminels sont au nombre de trois : chercher de bonnes opportunités ; dissimuler les forfaits et agir à la manière des avions furtifs. Donc, le blanchiment d’argent sale pousse à déplacer les activités financières vers la spéculation. Reprenant une excellente citation de Galbraith, il est affirmé qu’il n’existe aucune voie de développement qu’un marché des capitaux libre, libéré, sans entrave ne puisse ravager. Ainsi, avoir convaincu de la nécessité de déréguler la finance est une parfaite escroquerie dont le monde entier souffre aujourd’hui.

Les Banques : une planque pour les narco-traficants


Se plaindre de l’impossibilité de contrôler le crime n’a pas beaucoup de sens quand on affirme, comme les escrocs intellects d’aujourd’hui, qu’il convient d’éradiquer toutes les mauvaises pensées, source de tous les maux. Dans une société qui cherche à améliorer les conditions de développement de tout un chacun, le vice et le crime s’endiguent en s’organisant et en restant sous contrôle.

L’objectif n’est jamais atteint lorsqu’il s’agit d’argent sale, pour trois raisons: on ne lui accorde pas d’importance car il est alors proclamé que d’autres problèmes sont plus importants que cette lutte. Les Etats-Unis ont réussi ce tour de magie grâce au 11 septembre 2001, lorsque le « voyou » Bush déclara que tout devait être concentré sur le terrorisme, de sorte que les tenants de la finance furent libres de laver leurs saletés.

Mais l’impuissance s’organise aussi de manière volontaire. Rien de tel que de créer des paradis fiscaux, comme le fit l’oligarchie anglaise, pour que disparaissent des sommes difficiles à mesurer à travers des sociétés écrans et des instruments juridico-financiers spécifiques. Enfin, troisième explication, les politiciens n’ont jamais envie de savoir ce qui se passe.

Par nature, l’oligarchie anglo-saxonne veut contrôler l’argent. Le blanchiment massif d’argent sale par les gangsters de la finance leur permet de vivre agréablement, de contrôler des territoires sans la présence polluante des politiques au service du bien commun, sans oublier les quantités de publications niaises par lesquelles ces voyous se font désigner classes supérieures en raison de leur argent si mal gagné. L’obsession de perpétuer la corruption, le meurtre et le trafic transforme avec le temps l’argent de l’horreur en richesse bourgeoise. Dans le monde globalitaire, les cabinets – anglo-saxons – d’avocats, de conseillers fiscaux, d’agents immobiliers sont devenus des acteurs à plein temps de l’activité criminelle puisqu’ils acceptent à la fois des clients louches, de la corruption systématique à travers pots de vin, prêts de complaisance et avantages en nature. Il leur arrive aussi de piller les fonds qu’on leur a confiés en utilisant le principe des rémunérations extravagantes pour conseils ou services rendus, aussi ridicules soient-ils.

La nouvelle crapulerie : le trading à haute fréquence


Le trading à haute fréquence (THF) est du vol organisé, de la déviance institutionnalisée. Les algorithmes qui servent de modèle donnent de fausses idées du risque sur les produits financiers et permettent le pillage légal, sans intervention humaine. Le THF repose sur l’idée qu’il convient de détecter les ordres sur les “marchés” avant leur exécution pour pouvoir spéculer sans risque et voler en toute quiétude. Les banques qui le pratiquent ont mis en place diverses tactiques de vol dont la saturation (quote stuffing), le brouillage, tout cela pour banaliser le délit d’initié car il n’existe pas d’historique des transactions.

Avec l’honnêteté intellectuelle d’un savant européen traditionnel, Jean-François Gayraud rappelle que l’absence de preuve de fraude dans le cas du THF ne signifie pas la preuve de l’absence de fraude. Il est simplement impossible de vérifier quoi que ce soit, donc de réprimer. Les manipulations sont quotidiennes, depuis les taux d’intérêt jusqu’aux types de contrats, en passant par les ventes privilégiées d’informations.

Il semble qu’en occident il soit impossible de se demander si le THF est ou non une vaste fraude, alors que Gayraud montre clairement que, dès son origine, ce système de Trading a été organisé par des criminels en col blanc. Il en résulte un découragement de l’esprit d’entreprise, car peu à peu il devient stupide d’entrer sur les marchés financiers où la cotation d’une action n’a rien à voir avec les activités de l’entreprise. Puis, avec le THF se développe les produits liés, comme le système des Dark Pool, opérations financières de gré à gré, où les clients, des investisseurs institutionnels, sont anonymes, preuve que le concept de marché et celui de concurrence sont les ennemis de l’oligarchie actuelle qui n’a de cesse de s’émanciper de tout contrôle et de réaliser le rêve d’Al Capone : mettre en accusation les Etats qui voudraient surveiller ses activités.

Le XXIème siècle s’annonce comme le temps des criminels 

C’est le siècle du crime économique, du crime du bien en soi, lorsque tout est permis. Les pauvres sont pillés au profit des riches, les Etats au profit des soviets de la finance. Au niveau des sociétés, chacun prend conscience de deux classes de personnes: les humbles qui vont en prison avec, chaque année, de nouvelles législations obscurantistes ; l’oligarchie crapuleuse qui n’y va jamais malgré ses crimes.

L’oligarchie s’est constituée. Elle est intouchable malgré son ignominie et cherche à faire entrer dans son cercle d’horreur les nouvelles puissances asiatiques. En cas de succès, l’absence de régulation, de répression, de problèmes de réputation assurera le monopole du parti des trafiquants pour mille ans. Sauf si le monde asiatique refuse le strapontin…

Jean-François GAYRAUD, Le nouveau capitalisme criminel, Editions O.Jacob, 2014, 360p. , 24,90€.

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