Ce que les Bretons ont trouvé à Rocamadour, et pas Houellebecq (quoique…)

04/02/2015 ‑ 07H00 Camaret (Breizh-info.com)Soumission, le nouveau roman de Michel Houellebecq, a failli s’appeler Conversion. L’auteur lui-même l’a dit a plusieurs journaux. Il avait d’abord prévu de relater une conversion au catholicisme. Et puis finalement, le roman a pris une autre voie, celle de la soumission à l’islam. Houellebecq prêche-t-il pour cette paroisse-là ? Certains le pensent, prenant le livre au premier degré. D’autres, au second degré, considèrent (assez paradoxalement) que décrire une France musulmane est un geste islamophobe. Et les uns et les autres de crier haro sur le malheureux écrivain. Mais n’y a-t-il pas dans ce livre un troisième degré plus subtil ?

Le lieu de la conversion aurait été Rocamadour.  François, le narrateur, en qui beaucoup voient l’alter ego de Houellebecq, y séjourne à l’hôtel Beau Site (merci Best Western !) au printemps 2022. Chaque jour, il se rend à la chapelle Notre-Dame et contemple la célèbre Vierge noire, qui tient sur ses genoux un enfant Jésus représenté en « roi du monde ». La plupart des commentateurs chrétiens se sont focalisés sur ce passage. Sans insister sur la dernière visite du héros à la statue : « Au bout d’une demi-heure je me relevai, définitivement déserté par l’Esprit ».

C’est le tournant du livre. Un musulman modéré vient d’être élu à la présidence de la République ; François se soumettra sans trop de difficulté au régime islamique qui va s’instaurer. En fait, un autre événement survenu au même moment le perturbe davantage : Myriam, sa maîtresse juive, l’a quitté pour s’installer en Israël. Les trois religions du Livre participent ainsi aux désarrois du narrateur. La plus ancienne se recentre pour survivre, la plus jeune gagne du terrain, la troisième s’est tarie.

La possibilité d’une automobile

Pourquoi le narrateur se trouve-t-il à Rocamadour ? Par crainte d’événements insurrectionnels lors de l’élection présidentielle, il a fui Paris au volant mais interrompt sa route par manque d’essence. L’auteur de La Carte et le territoire connaît le réseau routier français. Il aurait pu stopper le trajet de son personnage à Reims, à Vézelay ou au Mont-Saint-Michel. Il a choisi le Lot.

Là, François rencontre fortuitement une connaissance parisienne, Alain Tanneur. Ce personnage-clé du livre est un ancien agent de la DGSI viré pour avoir trop bien analysé les événements à venir. Il annonce au narrateur, quelques jours à l’avance, comment les islamistes vont prendre le pouvoir en France. Cette conversation « fortuite » se déroule dans un village appelé… Martel. Et Tanneur de souligner : « Tout le monde sait que Charles Martel a battu les Arabes à Poitiers en 732 (…) Les envahisseurs ne se sont pas repliés immédiatement, et Charles Martel a continué de guerroyer contre eux pendant quelques années en Aquitaine. En 743 il a remporté une nouvelle victoire près d’ici, et a décidé en remerciement d’édifier une église ; elle portait son blason, trois marteaux entrecroisés. Le village s’est construit autour de cette église ».

Puis Tanneur incite François à visiter Rocamadour, à 20 km de là. « À Rocamadour, vous pourrez vraiment mesurer à quel point la chrétienté médiévale était une grande civilisation », insiste-t-il « La Révolution française, la République, la patrie… oui, ça a pu donner lieu à quelque chose ; quelque chose qui a duré un peu plus d’un siècle. La chrétienté médiévale, elle, a duré plus d’un millénaire. (…) La véritable divinité du Moyen âge, le cœur vivant de sa dévotion, ce n’est pas le Père, ce n’est pas même Jésus-Christ ; c’est la Vierge Marie. Et, ça aussi, vous le ressentirez à Rocamadour. »

Le camp des seins

Cette précision n’est pas neutre. Le narrateur a un problème avec les femmes. « Je dois être une sorte de macho approximatif », admet-il lui-même. Plaqué par Myriam, il deviendra polygame sans déplaisir. Une divinité féminine n’est pas faite pour lui. Or, dans un contexte d’islamisation de la France, Notre-Dame de Rocamadour est doublement sulfureuse. D’abord, c’est une femme. Ensuite, son intervention miraculeuse a donné la victoire aux croisés à Las Navas de Tolosa, la bataille décisive de la Reconquista espagnole, le 16 juillet 1212, à l’issue d’une campagne à laquelle un contingent breton a participé sous la conduite de Geoffroi, évêque de Nantes.

À cette époque, Rocamadour était une grande étape de pèlerinage. On s’y arrêtait en route vers Compostelle, en Galice, où l’on allait prier saint Jacques Matamore, c’est-à-dire « tueur de Maures ». Et de nos jours encore, on peut y voir Durandal, l’épée de Roland, comte des Marches de Bretagne, tué à Roncevaux en 778 au retour d’une campagne contre les Sarrasins.

Chapelle N.-D. de Rocamadour à Camaret

Chapelle N.-D. de Rocamadour à Camaret

Certains des pèlerins qui faisaient halte à Rocamadour étaient bretons. C’était pour eux une étape géographique et culturelle. Comme l’a savamment montré Gaël Milin(1), plusieurs légendes bretonnes sont directement apparentées aux recueils de miracles de Notre-Dame-de-Rocamadour et de Saint-Jacques-de-Compostelle. Et Notre-Dame de Rocamadour est honorée en Bretagne, en particulier à Camaret, où une chapelle lui est dédiée depuis 1183. Elle est révérée comme une protectrice des marins alors que Rocamadour se trouve à plus de 200 km des côtes. On sait par exemple que le Malouin Jacques Cartier l’invoquait dans le danger.

Devant une montée de l’islam que beaucoup voient comme un danger, Houellebecq a-t-il indiqué vers qui se tourner ? L’affirmer serait hasardeux vu le caractère aboulique de cet auteur. Mais les Bretons auront peut-être leur idée à eux sur la question.

Erwan Floc’h

 

(1) Gaël Milin, « De Saint-Jacques-de-Compostelle à Notre-Dame-du-Folgoët : les voies de l’acculturation », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1994, n° 101-3, p. 7-47.

Crédit photo  : Rocamadour, [cc] dynamosquito via Wikimedia. Notre-Dame-de-Rocamadour, [cc] Thesupermat, via Wikimedia [cc] Breizh-info.com, 2015, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

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Une réponse à “Ce que les Bretons ont trouvé à Rocamadour, et pas Houellebecq (quoique…)”

  1. Olivier Marie Vé HL dit :

    Une idée personnelle est que la schizophrénie de l’auteur semble être créée artificiellement pour en effet agir secrètement, sur un plan plus inconscient, sur l’esprit du lecteur. Ainsi, le livre soumission pourrait il convertir au christianisme ses lecteurs égarés par les appels du bas du ventre que propose l’Islam à défaut d’Amour du prochain. Il y a donc un sens caché, selon moi, dans ce livre. La manière dont Houellebecq s’est dit déçu par le pape, sur la liberté d’expression et de critique d’une religion, est un signe, selon moi

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