Pour une fois, Edwy Plenel a raison : « Soumission » est moins un événement littéraire qu’un brûlot politique. Houellebecq n’est sans doute pas un grand styliste. Son écriture (on ne dit plus style, en tout cas à France Culture, cela fait vieillot) est du genre lisse, un peu terne. Avec des emprunts un peu lourds aux langages sectoriels dédiés à la haute technologie, ce qui fait tendance. Donc, « Soumission » se lit très bien, plutôt vite et on passe un bon moment.
Le narrateur est universitaire, auteur d’une thèse magistrale sur Joris-Karl Huysmans (1848-1907), écrivain passé du naturalisme matérialiste à la foi catholique la plus ardente. A Paris, ce double de Houellebecq traîne un ennui profond, existentiel. Il n’a qu’indifférence à l’égard de ses contemporains. Il garde ses distances. Une vie qu’il essaie de pimenter auprès des femmes qu’il traite comme de simples partenaires sexuelles. Autant dire que ce personnage n’a rien de très sympathique. Son rejet du temps qui passe et qu’il vit n’est pas celui d’un autre Bardamu. Même si Houellebecq est dans une filiation célinienne mais il lui manque, dans ses livres en tout cas, l’humanité douloureuse, exaspérée du docteur Destouches. Cette prise de distance lui permet l’ironie mordante, l’amusement glacé presque pince-sans-rire.
En cette année 2022, tout montre que la France bascule. La paix civile n’est plus. Des activistes identitaires, islamistes, s’affrontent dans un décor à la Mad Max. Les élections présidentielles mettent face à face Marine Le Pen et l’islamiste « modéré » Ben Abbas qui, avec le renfort de l’UMP et du PS, l’emporte au second tour. Il désigne alors François Bayrou comme Premier ministre… Rien ne change, tout change… Les femmes incitées au retour au foyer, le chômage régresse, les Etats du Golfe investissent… les conversions se multiplient. La Sorbonne, achetée par l’un d’entre eux, les enseignants doivent se convertir.
Notre homme se retrouve mis à la retraite. Il ne le restera pas longtemps. Le parcours du narrateur est à savourer. La soumission au nouvel ordre, raisonné, paisible, attractif (en tout cas financièrement) chemine en lui comme un doux poison. Pourquoi ne pas goûter de cet islam, français, si propre, si simple à vivre ?
Ce qui pourrait tourner au procès, à l’exécution en règle, de nos élites politiques, médiatiques ne se lira pas ici. Houellebecq ne juge pas, il dresse un procès-verbal et le signe, fortement. C’est terrible et puis c’est tout car « c’est ainsi qu’Allah est grand ! ».
Jean Heurtin
Photo : Mariusz Kubik/Wikimedia (cc)
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