27/01/2015 – 07H30 Athènes (Breizh-info.com) – Le Syriza, qui s’auto-définit « gauche radicale », a remporté les élections législatives en Grèce. D’aucuns qualifient cette victoire, à 36,3 % des suffrages, de séisme de grande magnitude. Or, voilà bien une exagération méditerranéenne, car il s’agit simplement d’une victoire attendue. Si séisme il y a eu, il faut en chercher les marques ailleurs :
- Au Pasok, surtout, centre-gauche historique, encore au pouvoir il y a 3 ans, temple que Georges Papandréou, fils de son fondateur, a fait imploser (à peine plus de 4 % des voix aujourd’hui) en créant, deux semaines avant les élections, son propre (micro) « Mouvement des socialistes démocrates » (2,4 %) qui ne sera pas représenté au Parlement (La Vouli).
- Dans la demeure ravagée des Verts, dans les décombres du Parti Communiste (même si l’on doit objectivement constater qu’à 5,4 %, il a grappillé 1 point en 3 ans), dans les débris des groupuscules marxistes-léninistes et autres « forces démocratiques », aucun de ces derniers n’atteignant 1 %…
- Dans le fait, apparemment paradoxal, que la Nouvelle Démocratie (centre droit conservateur) d’Antoni Samaras, bien qu’elle ait perdu les élections – donc le pouvoir- enregistre un score de 27,8 %. Cette diminution de 1,5 % de son électorat par rapport à 2012 a été mise sur le compte d’une « mauvaise communication » lors de la campagne électorale : il n’en demeure pas moins que ce parti garde quasi intactes les colonnes de son palais.
D’autre part, pour filer la métaphore, on peut constater, comme souvent dans les secousses telluriques, l’émergence d’îlots :
- « Le Fleuve » (en grec « Potami ») – fondé voilà un an – gauche libérale, pro-européen, qui a obtenu 6 % des voix et 17 sièges.
- Les « Grecs indépendants », parti – créé il y a 11 mois seulement – qui se dit « droite patriotique », « eurosceptique », voire partisan d’un retour à la drachme, d’une sortie de la zone euro, bref, du Grexit… Bien que passé de 7,5 % (2012) à 4,75 % aujourd’hui, il bénéficie de 13 sièges.
- L’Aube Dorée, 3e parti de Grèce, franchement anti-européen, réunit des nationalistes fervents et un certain nombre d’extrémistes ethnocentristes qui le font considérer comme néo-nazi : il va occuper 17 sièges à la Vouli. Né de groupuscules qui végétaient depuis 1993, il obtient un succès significatif avec 7 % aux législatives de 2012 avec 21 sièges sur 300, succès conforté en 2014 aux Européennes avec 10 % des voix et 3 eurodéputés. Avec presque 6,5 % aujourd’hui, les autres partis commettraient une erreur de le considérer, à cause de cette légère baisse, comme une force en déclin.
On constate donc ici, avec la quasi disparition des partis traditionnels et l’arrivée de mouvements récents et dynamiques, que le paysage politique grec est complètement bouleversé.
« L’espoir arrive »
Tel était le slogan du Syriza pour ces élections. De fait, son chef Alexis Tsipras, futur premier ministre, a fait naître de nombreux espoirs, dans un pays ravagé par le chômage, les augmentations et les créations d’impôts, les fermetures d’entreprises, la diminution des salaires et des retraites…
Or, il s’est engagé dans des promesses qui semblent aujourd’hui difficiles à tenir dans leur ensemble. S’il peut éventuellement parvenir à une séparation de l’Église et de l’État, à réduire la corruption, à récupérer au moins partiellement les 120 milliards d’impôts dus précisément par l’Église, les gros armateurs, et autres grandes entreprises, on voit mal, dans la situation actuelle des finances grecques, comment il pourrait créer 300 000 emplois, engager de nouveaux enseignants, réembaucher les personnels – licenciés en 2013 – de l’ancienne télévision nationale, augmenter le salaire minimum et les retraites, supprimer les taxes foncières en vigueur depuis 3 ans… Par ailleurs, il a prévu, pour plaire à son aile gauche, de naturaliser les immigrés légaux ou clandestins, ce qui est loin de faire l’unanimité chez ses électeurs et chez la majorité des Grecs. Dans divers partis, des voix s’élèvent pour demander des référendums lorsqu’il s’agira de prendre des décisions sur des sujets considérés comme majeurs, en particulier celui de l’immigration.
En ce qui concerne la politique économique étrangère, son programme a connu une évolution au cours des derniers mois. À l’origine partisan d’un abandon de l’euro, d’une sortie de la zone euro et d’un retour à la drachme, cette position s’est infléchie, vers une renégociation de la dette de la Grèce avec ses partenaires européens.
À l’heure où sont rédigées ces lignes, et où le décompte des voix est encore en cours, le Syriza dispose de 149 sièges, alors qu’il lui en faut 151 pour avoir la majorité absolue, ce qui ne semble pas envisageable. Dès lors, on comprend pourquoi, dès ce matin, 26 janvier 2015, M. Tsipras a engagé, dans la perspective d’un gouvernement de « collaboration » sinon de coalition, des discussions avec les « Grecs indépendants » (centre droit « eurosceptique ») de M. Kamménos. Ce dernier, concernant l’Europe, est résolument contre le Mémorandum du FMI, ce qui le rend plus proche du Syriza que ne l’est la gauche modérée du « Fleuve » (« Potami »), et par ailleurs nullement opposé aux propositions de M. Tsipras sur l’amélioration des conditions de vie des classes sociales les plus défavorisées.
Enfin, M. Tsipras semble avoir intérêt à ne pas disposer d’une majorité absolue, autonome : au cas fort probable où les promesses qu’il a faites ne seraient pas toutes tenues, il pourrait en faire partager la responsabilité à ses « collaborateurs » issus d’un autre parti.
Les résultats
Syriza d’Alexis Tsipras 36,34% 149 sièges
Nouvelle Démocratie, d’Antoni Samaras 27,81% 76 sièges
Aube Dorée, de Nicolas Michaloliakos 6,28 % 17 sièges
Le Fleuve (Potami), de Stavros Theodorakis 6,05% 17 sièges
Parti communiste de Dimitris Koutsoubas 5,47% 15 sièges
Grecs indépendants, de Panos Kamménos 4 ,75% 13 sièges
Pasok, de Vénizelos 4,68% 13
Mouvement des socialistes démocrates de Georges Papandréou 2,46% 0
Photo : DR
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3 réponses à “Grèce : la victoire du Syriza bouleverse l’échiquier politique du pays”
Merci pour cette synthèse claire et directe. M. Tsipras est-il finalement un démagogue irresponsable ou un homme d’Etat qui tente de sauver ce qui peut l’être ? En tout cas, la situation illustre autant les aberrations de l’Union européenne que les carences grecques. La Grèce a pu s’endetter au-delà de toute raison parce qu’elle faisait partie de la zone euro. La prospérité artificielle ainsi obtenue temporairement a eu pour contrepartie naturelle une austérité bien réelle. Ce coup d’accordéon était politiquement intenable pour une démocratie. Résultat des courses, la plupart des créances sur la Grèce seront quand même perdues (facile : à présent, la perte sera pour les Etats et non plus pour les banques), la vie politique grecque aura tourné à l’aigre et l’Union européenne, qui gronde mais cède quand même, aura perdu l’essentiel de son autorité.
L’alliance de Syriza avec les Grecs indépendants de Panos Kamménos donne des boutons à certains. Voilà un joli pied de nez au politiquement correct. Question : est ce que cette alliance va fonctionner ?
Pour moi aussi, c’est la première synthèse claire que je lis, merci.
Cette alliance Syriza / droite eurosceptique a soudainement calmé NPA, Fdg et les verts en France … , dimanche c’était les cris de joie. Au préalable, Hollande a invité Tsipras.
Au vu des promesses, ce n’est pas exagéré comparé à ce qui se passe en France.